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Alger sur le divan

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Plus de soixante ans après la décolonisation, le pouvoir algérien cultive le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance.


Les psychanalystes du monde entier vous le diront, s’inventer des faux problèmes pour éviter de s’occuper de ses véritables priorités est un mal répandu. Certains pays en souffrent, dont l’Algérie. Ce pays se spécialise dans l’élaboration de doléances imaginaires à l’endroit de la France au lieu de répondre aux questions fondamentales et ô combien pressantes que lui pose la vie. Il fuit les problèmes du présent et ceux du passé. Ce faisant, il sacrifie ses intérêts et pollue au passage la perception qu’ont les Français de leur histoire récente.

Parmi les questions que l’Algérie fuit depuis 1962 : où va l’argent du pétrole et du gaz ? Pourquoi le pays est-il un enfer économique où entreprendre honnêtement relève de la gageure ? Où sont l’harmonie et la prospérité promises au peuple algérien en contrepartie des sacrifices consentis lors de la guerre de libération ? Où est la concorde nationale censée supplanter la décennie noire et réconcilier les Algériens entre eux ? La justice a-t-elle été rendue aux victimes de la guerre civile ? Incapables de répondre à ces questions difficiles, le régime et sa base électorale accusent la France d’être à l’origine de tous les maux.

La politique algérienne à l’égard de la France est le récit d’une fuite psychotique, devenue une sorte de névrose chronique. Ce qui n’était qu’un mensonge élaboré par des petits malins – idéologues du FLN et militaires usurpateurs du pouvoir – est devenu une sorte de récit fondateur dont on ne peut plus se passer. La haine de la France est l’identité algérienne par défaut, une identité de substitution à l’identité algérienne véritable. Une illusion qui permet à l’Algérie de fuir sa vérité. Autrement, elle admettrait que son identité est plurielle et hybride : arabe et berbère en même temps, saharienne et méditerranéenne aussi, musulmane bien sûr.

Le régime algérien est trop petit pour aider l’Algérie à assumer son identité. Il ne sait pas ce qu’être Algérien veut dire. Il a chassé la France, mais il n’a pas trouvé l’Algérie, il a plaqué à sa place des chimères qui ne correspondent qu’en partie à la vérité de l’âme algérienne. Il a essayé de convaincre les Algériens qu’ils étaient socialistes et collectivistes, puis arabes et panarabes. Les islamistes, ses opposants, ont voulu remplir ce vide identitaire par l’islam et ils ont échoué, car comme le FLN ils n’arrivent pas à définir l’Algérie. Alors tous, régime et opposition, braillent contre la France. Ils ne croient pas si bien faire dans un sens, car l’Algérie est aussi la fille de la France, une fille née d’un viol (la colonisation) et venue au monde lors d’un accouchement sanglant, une guerre de libération terrible, et une double guerre civile, entre musulmans et entre pieds-noirs et musulmans.

Devant un tel échec, il ne lui reste plus que la fuite en avant : insulte sur insulte, provocation sur provocation. Le régime, les islamistes et une partie du peuple sont prêts à tout pour détourner l’attention de leur impuissance.

Cette fuite en avant obsessionnelle concerne également le passé. Le régime algérien a peur que les victimes oubliées de la guerre de libération lui demandent réparation. Après tout, il est assis sur un tas d’or et n’aurait aucune difficulté à indemniser les juifs d’Algérie déracinés, les pieds-noirs spoliés, les harkis éradiqués, les entreprises françaises et étrangères qui ont tout perdu le jour de l’indépendance. Et qui dit réparation dit repentance, c’est-à-dire reconnaissance des erreurs commises. Impossible ! Le courage manque pour admettre que le FLN a tué plus de civils musulmans que de civils français, qu’il a éradiqué les autres mouvements armés sans pitié ni retenue (dont le MNA, éliminé physiquement en Algérie et en métropole), qu’il a fait enlever 3 000 Européens après l’accord de cessez-le-feu de mars 1962, qu’il a laissé faire sinon participé au bain de sang du 5 juillet 1962 à Oran (700 morts et disparus), qu’il a trahi les engagements pris à Évian, notamment envers les pieds-noirs qu’il devait protéger après le départ de la France. Et la liste des choses à cacher sous le tapis est longue malheureusement.

Plus Alger insulte Paris, moins l’on se souvient que l’armée des frontières, composée d’officiers et de soldats bloqués au Maroc et en Tunisie, a usurpé la victoire des combattants de l’intérieur. Une fois les frontières ouvertes, elle n’a fait qu’une bouchée des maquisards épuisés et largement affaiblis par huit ans de guerre contre la France. Comble de l’ironie, cette armée de l’extérieur était largement composée d’anciens de l’armée coloniale française qui ont déserté le jour où ils ont compris que de Gaulle allait abandonner l’Algérie. Plus tard, ils ont forgé l’Armée nationale populaire dans un moule qui rappelle étrangement l’armée française…

S’il ne s’agissait que d’un problème algéro-algérien, l’on pourrait s’en détourner, laissant aux principaux intéressés le soin de s’en occuper. Malheureusement, il s’agit aussi d’un sujet franco-français. En effet, les insultes des autorités algériennes et la repentance des élites parisiennes alimentent une sorte d’intoxication mémorielle qui fait beaucoup de mal aux Français, prisonniers d’un récit falsifié qui les démoralise.

Or, la colonisation n’a pas été une bonne affaire. Il n’y avait ni or, ni cuivre, ni coton. L’agriculture algérienne a été une déception. Le pétrole est arrivé trop tard, presque à la fin, et il n’était pas aux normes recherchées par les industries françaises. Personne ne s’est « goinfré » en Algérie, à part quelques adeptes du capitalisme de connivence. En réalité, le mode de vie des pieds-noirs était frugal dans l’ensemble et il aurait pu décrocher complètement sans le traitement favorable réservé par la métropole à sa colonie.

Alors, pourquoi la France est-elle restée en Algérie si c’était une mauvaise affaire ? Pour plusieurs raisons. Parmi elles, l’incapacité de l’État à évaluer les résultats de ses politiques, la crainte de perdre la face devant les autres puissances européennes et l’adhésion des pieds-noirs aux idées républicaines. Très vite, un pacte tacite a été conclu entre la IIIe République balbutiante et l’opinion publique pied-noir qui voulait étendre et approfondir la colonisation. Sous Napoléon III, c’est-à-dire jusqu’en 1871, la présence française était relativement limitée. Il était même question de dégager un espace pour un royaume arabe. Au-delà, la présence française est devenue massive. Et ce qui était un boulet s’est transformé en hémorragie.

Très bien relayés à Paris, les colons ont obtenu, dans les années 1870-1880, la spoliation des terres collectives des musulmans, repoussés vers les zones les moins favorables. Plus tard, ils ont réussi à geler une partie des rares crédits réservés par la métropole à l’alphabétisation des musulmans.

Si les Français ont envie de faire pénitence, qu’ils la fassent au moins pour les bonnes raisons. La gauche parisienne, en tandem avec le régime algérien, leur reproche la torture des années 1954-1962, mais la torture n’est pas le crime le plus grave commis par la colonisation. Celle-ci a commencé à saccager la société algérienne traditionnelle dès le premier jour en donnant des coups de pied dans les structures féodales et les confréries musulmanes qui la gouvernaient et lui donnaient sa sécurité mentale et psychique. Du début jusqu’à la fin, la France n’a eu de cesse de démanteler le Vieux Monde pour y installer le vide. Les anciennes élites légitimes aux yeux des Algériens ont été liquidées physiquement ou déclassées symboliquement. Personne n’a pris leur place. Dans les années 1950, des jeunes sans pedigree, mais extrêmement agressifs et déterminés, donneront le coup de grâce aux cheikhs et autres bachagas : le FLN. L’Algérie paye le prix à ce jour de cette grande déstabilisation, contrairement au Maroc et à la Tunisie qui ont eu la chance d’être conquis par des militaires français qui avaient le contre-exemple algérien en tête. Ces deux pays ont gardé leur colonne vertébrale. L’Algérie n’en a plus.

Le brouillard mémoriel empêche les Français de s’apercevoir qu’ils sont des pieds-noirs qui s’ignorent. À Crépol, il y a quelques mois, un commando surgi du maquis a distribué les coups de couteau et s’est évaporé dans l’obscurité de la nuit. Scénario maintes fois éprouvé dans la Mitidja et en Oranie où les villages européens étaient une cible facile des indépendantistes. Les pieds-noirs ont quitté les campagnes à cause de ce terrorisme. Aujourd’hui, plusieurs Français choisissent leur lieu de résidence en ayant à l’esprit le terrorisme du quotidien.

Nous sommes quittes en réalité. Les crimes de la colonisation ont été largement compensés par les horreurs infligées aux Européens entre 1954 et 1962. Et la France n’a eu de cesse de passer à la caisse depuis 1962. Elle accueille des millions d’Algériens, autant de bouches en moins à nourrir au sud de la Méditerranée. Elle forme gratuitement des jeunes Algériens dans ses écoles et universités, elle leur concède la citoyenneté. Elle admet même que Marseille devienne une autre Algérie. Ajoutez à cela la délinquance d’origine étrangère (algérienne, marocaine, tunisienne, etc.) et vous avez une idée de la réparation immense que la France réalise chaque jour…

Pour toutes ces raisons, il est impossible que les Français apprennent la vérité. Ils se rebifferaient sinon. L’alliance objective entre l’establishment parisien (de gauche par vocation et habitude) et l’establishment algérien veille au maintien du statu quo.

L’article Alger sur le divan est apparu en premier sur Causeur.