Comme un samedi au marché Saint-Pierre à Clermont-Ferrand
À eux deux, ils ont l’âge du marché Saint-Pierre (*). Veste et gilet de laine sur le dos, Sonia et son mari viennent de Cébazat, retraités et amoureux du jardin. Et le samedi matin en toute saison, leur jardin c’est ici, adossés au marché. « On vient quand nous avons assez de produits, c’est la récolte qui décide de notre venue ou non. »À leur façon de rouler les « R », on reconnaît l’accent du Portugal. Les habitués défilent devant eux. Des carottes, des pommes de terre, du persil plat ou encore des figues. Pour une poignée d’euros en moyenne et des conseils au kilo… « Les petits oignons rouges, en salade, ils sont très bons, pensez à bien les faire tremper avant. Et pour la soupe, mettez bien que la feuille car la tige est trop filandreuse… ». Ainsi file le temps et les clients du jour devant leurs étals qui ne sont que des cagettes posées sur des palettes.Le couple ne faiblit pas. Quand madame fait les comptes, c’est à la main, sur un petit papier jaune. Une addition comme à l’école, interrompue par une trentenaire à vélo, visiblement impatiente de trouver deux céleris…
Le plaisir simple de se retrouver ensembleLa matinée suit son cours et l’on tourne autour des halles, en se laissant porter par les produits de saison des marchands du jour. Quand le vent se lève, c’est une odeur venue des bois qui se faufile au milieu de la place en béton. Ce matin-là, il y a deux coins à champignons. Très prisés. Les cagettes sont bien fournies et les clients gourmands ne s’y sont pas trompés. « Laissez comme ça, s’il y en a un peu plus, j’arriverai bien à les manger, je suis pas inquiet », lance à la cantonade ce quinquagénaire au cabas déjà bien garni. Trois euros les 100 grammes de cèpes de Bordeaux, de girolles, deux pour les pieds de mouton avec de plus en plus de monde à faire le pied de grue devant.Le vendeur n’a pas le temps de se tourner les pouces. Cette fois, c’est le charbonnier blanc et gris qui lui en fait voir de toutes les couleurs. « Vous allez voir, c’est un délice. Je m’en suis vu pour les nettoyer… Dans les bois, son chapeau colle un peu, donc il garde tout sur lui. Veillez à bien enlever les petites aiguilles ou mousses qui resteraient et régalez-vous ! »
Les vendeurs disposés en extérieur attirent beaucoup de gourmands.Il est 9 h 30 et à force de tourner en rond autour de la halle rectangulaire, on a les sens de plus en plus en éveil. D’autant qu’à quelques enjambées de là, c’est la rôtisserie qui fait tout son effet. Devant ses vitrines, à l’extérieur, la Table d’Italie est plus auvergnate que jamais. Poulet rôti à la broche, travers de porc, chorizo ou souris d’agneau, ça sent déjà le début de la faim.
On achète un peu, on discute beaucoupD’ailleurs, les premiers coups de fourchettes sont déjà donnés au Coq argenté. Ce matin, c’est tripes au vin blanc. L’imposante marmite est disposée pile à l’entrée. Immanquable. La tentation ici se sert à la louche. « Ici, c’est comme une place de village mais en centre-ville. Les gens ont besoin de ça. De venir se retrouver autour de plaisirs simples, être ensemble. Ils ont de plus en plus besoin de lien social et moi personnellement j’adore ça », s’enthousiasme Bruno, le patron des lieux.Du côté de la petite place Francis-Ponge, sorte d’annexe de la place du marché, ils sont huit maraîchers et vendeurs de fleurs à s’être regroupés… On achète un peu et on discute beaucoup. « Comment allez-vous ce matin ? Et la Marie, elle vient plus ? »La marchande en doudoune jaune fluo connaît ses habitués, comme Florence, aide comptable à Aubière le reste de la semaine, en jogging le samedi matin. « Si je viens là, c’est aussi pour cette petite ambiance… La semaine, je n’ai pas le temps alors que le samedi matin, je me force à me lever et à 9 heures je viens là pour faire mon petit tour. »
Photo Franck BoileauÀ une dizaine de mètres devant elles, deux compères se croisent et s’alpaguent tels des ados. Mais leurs voix rocailleuses et leurs pas lents dispersent aussitôt cette impression. Qu’importe. C’est poing contre poing en guise de salut. « Oh ! Ça va l’ami ? », demande le premier. « Ça fait bon et ça prend l’air va », répond le second. Pas besoin de plus, la discussion s’arrête là et chacun repart d’où il vient… L’instant est pour le moins éphémère mais le sourire est là. Parfois, le temps n’a pas besoin de s’étirer plus longtemps…Tout le contraire de celui qui semble se suspendre aux terrasses des cafés. Le Clairmont et le Coq argenté ont sorti les terrasses. 11 °C. Qu’importe. Ça bruisse et les premiers verres de blanc s’immiscent au milieu des cafés. Tenue de supporter jaune et bleu de la tête aux pieds, Emerick déguste son verre de chardonnay. Il est à peine 10 heures.
« Je ne sais même pas pourquoi j’ai pris ça… C’est un peu l’esprit du marché. Regarder les gens passer, avec ces odeurs, ça donne envie de se mettre à la calée. Je suis sur les chantiers toute la semaine, alors être en tee-shirt ne me dérange pas ! Je profite et franchement ça fait du bien, même si ce n’est pas la foule des grands jours. »
Une heure plus tard, plus aucune table n’est disponible. Ça bruisse et ça fourmille. La moyenne d’âge est plutôt élevée mais des étudiants et des familles ont pris place. « C’est notre rendez-vous avec les enfants et leur mamie… Comme un petit rituel. On croise d’ailleurs souvent les mêmes têtes aux mêmes horaires… On se reconnaît, on se dit bonjour sans même que l’on sache nos prénoms respectifs et c’est très bien aussi comme ça », s’enthousiasme Isabelle, une enseignante en pleine récréation.
Plus en retrait, du côté de chez Joachim le cordonnier, deux anciens refont le monde, assis sur un rebord de muret, appuyés sur leur canne, le sac de courses aux pieds. « C’est un peu comme pour nos ancêtres en Algérie… Le marché, c’est là où l’on aime se retrouver. Même si, ici, c’est trop calme, l’ambiance n’est plus la même », glisse Abdelakim, 88 ans.À l’intérieur, les allées sont un peu plus garnies qu’à l’accoutumée. C’est aussi ça l’effet d’une place qui s’anime vraiment, où tout le monde aura forcément à y gagner.
Carole Eon