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Октябрь
2024

"C'est incompréhensible..." : le refus de grands journaux américains de choisir un candidat interroge et inquiète

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C'est une tradition. Aux États-Unis, à l’approche du scrutin, les journaux du pays se positionnent en faveur de l’un ou l’autre des candidats. Le New York Times a ainsi appelé à faire barrage à Donald Trump en désignant Kamala Harris comme le “seul choix patriotique” pour les Américains.

Comme à chaque élection présidentielle depuis 1976, le service opinion du Washington Post se préparait lui aussi à soutenir l'un des deux candidats à la Maison-Blanche. Sans grande surprise, dans un journal qui s'est opposé avec vigueur à l'administration Trump, les éditorialistes avaient choisi d'encourager leurs lecteurs à voter pour la démocrate Kamala Harris. Et puis vendredi, patatras : la direction générale annonce que le grand quotidien s’abstiendra de prendre position. 

"Lâcheté"

"C'est de la lâcheté, et la démocratie en est la victime," a hurlé Marty Baron, ancien rédacteur en chef du Washington Post, à propos de la décision de son ancien média. Des ex-journalistes, comme Bob Woodward et Carl Bernstein, célèbres pour leur rôle dans le scandale du Watergate, ont aussi accusé le journal d'abandonner ses responsabilités.

Les lecteurs également se sont indignés. Et en nombre. Selon la radio publique NPR, le Washington Post a perdu plus de 250.000 abonnés entre vendredi 25 et mardi 29 octobre à la mi-journée. Soit 10 % de ses 2,5 millions d’abonnés. Une chute inédite dans la presse en un temps aussi restreint. Le propriétaire du prestigieux journal, Jeff Bezos, fondateur de l’entreprise Amazon, est pointé du doigt, soupçonné d’avoir, au nom de ses intérêts, forcé la rédaction à choisir, pour la première fois depuis 1988, la neutralité dans le scrutin présidentiel.

Démission retentissante au Los Angeles Times

La question du soutien à Kamala Harris provoque par ailleurs une crise au “Los Angeles Times”. À chaque élection, le principal quotidien californien soutenait traditionnellement les candidats démocrates. Cette fois-ci, son propriétaire, le milliardaire Patrick Soon-Shiong, a bloqué la publication d'un éditorial en faveur de Kamala Harris. En réponse à cette décision, Mariel Garza, la responsable des pages éditoriales, a démissionné avec fracas.

Alexis Pichard, chercheur associé au Centre de recherches anglophones de l’Université Paris-Nanterre et auteur, en 2020, du livre Trump et les médias, l’illusion d’une guerre (VA Editions, 343 pages, 29 euros), ne cache pas son "étonnement" face à ces décisions des journaux américains. La neutralité du Washington Post l'étonne d'autant plus, explique-t-il, que le média avait bénéficié d’une augmentation notable de ses ventes en s’opposant fermement à Donald Trump.

Tournant numérique

"C’est incompréhensible. Ce journal, qui s'était posé en garant de la transparence, avait vu ses abonnements grimper en flèche en se présentant comme un rempart contre Trump : + 700.000 abonnés en quatre ans ! Il aurait pu à nouveau jouer ce rôle de premier opposant. Là, ce qui est à prévoir, c’est une hémorragie de son lectorat", souligne Alexis Pichard. 

En parallèle, la montée des plateformes numériques bouleverse le paysage médiatique. TikTok, les podcasts et autres médias alternatifs prennent de plus en plus d’importance dans la formation de l’opinion publique aux États-Unis, notamment auprès des jeunes électeurs. "Les médias traditionnels, bien qu'encore puissants et fédérateurs, doivent faire face à une concurrence accrue des médias numériques, qui captent l'attention de communautés de plus en plus marquées politiquement," analyse Alexis Pichard. Cette mutation reflète un déplacement progressif de l’audience vers des plateformes perçues comme plus proches et interactives.

Prolifération des déserts informationnels

Ce basculement vers les médias numériques n'est pas sans conséquences. "La droite et l'extrême droite ont pris une nette avance dans la blogosphère," poursuit le chercheur, évoquant la prolifération de contenus ultra-conservateurs en ligne. Cette fragmentation de l'information pourrait, à terme, accentuer la polarisation politique, en créant des "bulles informationnelles" où chacun reste dans son propre camp.

L'un des aspects les plus préoccupants du paysage médiatique américain actuel est l'apparition des déserts informationnels, des régions où les journaux locaux ont disparu. En 2023, plus de 130 publications ont fermé ou été absorbées. Plus de 200 des 3.143 comtés du pays sont maintenant considérés comme des « news deserts » (« déserts d’information ») : ils n’ont plus aucun journal local." Un Américain sur cinq vit dans une zone de sous-information.

Polarisation accrue

Or, les déserts informationnels entrainent une désagrégation de la démocratie. "Moins on a de médias locaux, moins on peut vérifier les faits et lutter contre la désinformation", alerte Alexis Pichard. Cette disparition crée un terrain fertile pour la désinformation, "en particulier dans les régions rurales et les États du Sud, où la défiance à l'égard des médias nationaux est déjà élevée. “

Les conséquences de cette désertification médiatique se font particulièrement sentir lors des élections. "Les électeurs se tournent vers les réseaux sociaux et des médias partisans, souvent conservateurs, qui donnent une image biaisée de la réalité”. En l'absence de médias locaux pour fournir une information fiable, le champ est laissé libre, poursuit l'universitaire, à des narratifs extrémistes, influençant la perception des électeurs sur des sujets cruciaux comme l'immigration ou les droits civiques.

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Nicolas Faucon