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Октябрь
2024

Taxation des profits et ignorance économique

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L’obsession fiscale, dénoncés à juste titre par l’IREF, touche une fois de plus la France et notamment un grand nombre de députés. Au-delà des écrans de fumée, tout le monde est concerné, mais cette « créativité » fiscale concerne en priorité « les plus riches » en général et les profits en particulier. Il faut bien reconnaitre qu’une partie de l’opinion est sensible à cette haine anti-riches, sans doute par jalousie envers ceux qui ont réussi sur le plan économique, et par cette obsession anti-profit, produite par ignorance économique.

Salaire et intérêt, oui ; profit, non

Il y en en effet quelque chose de paradoxal. Qu’un salarié, en contrepartie de son travail, reçoive un salaire, prévu par le contrat de travail, n’est contesté par personne. Qu’un épargnant, qui a placé son argent sur un livret d’épargne ou dans une obligation, perçoive l’intérêt prévu par le contrat n’est guère remis en cause (sauf par quelques démagogues qui dénoncent l’argent qui fructifie en dormant, comme si cette épargne n’était pas le fruit d’une activité économique antérieure et ne rendait pas un service à l’emprunteur). Mais qu’un entrepreneur, individuel ou organisé en société, puisse percevoir un profit, contrepartie du service spécifique qu’il a rendu, est contesté par principe. Vouloir taxer les « superprofits » n’est qu’un prétexte pour remettre en cause la légitimité du profit en soi. Il y a là sans doute l’influence des théories marxistes de la lutte des classes et de « l’exploitation », encore très présentes en France, mais aussi une ignorance économique.

Le profit est d’abord associé à l’idée d’une grande entreprise, ayant de nombreux salariés.  Mais l’artisan qui est à son compte, la profession libérale, l’agriculteur, sont eux aussi rémunérés par le profit, même si on parle alors plus souvent de bénéfice. Ils ont des recettes, fruit de la vente de leurs services ou des biens qu’ils produisent, et des dépenses, et la différence entre les deux, qui permet leur rémunération, est bien un bénéfice ou un profit. Or il n’y a pas de différence de nature entre ce profit et celui de l’entrepreneur à la tête d’une petite ou grande entreprise, ayant des salariés, plus ou moins nombreux. Si la plupart des gens trouvent normal que l’agriculteur exploitant touche ainsi un bénéfice, qui est son revenu (et même beaucoup, ces temps-ci, jugent ce revenu « insuffisant »), ils dénient le même droit à l’entrepreneur, quand celui-ci est à la tête d’une société. Il y a là une négation du principe même du profit, comme si l’entrepreneur était le seul à ne pas mériter de rémunération pour son activité. Vision idéologique et ignorante, qui justifie ensuite le matraquage fiscal des profits.

Que devient le profit ?

L’ignorance se trouve d’abord à propos de l’usage du profit. Que devient-il ? Une part déjà très importantes-et que certains veulent encore accroitre- part en impôts. Donc l’entrepreneur est ainsi privé d’une partie de son revenu. Ensuite, une autre part du profit est laissé dans l’entreprise et sert à financer les investissements. C’est un rôle important du profit, car il réduit ainsi, par cet autofinancement, les besoins de financement externe et favorise, via l’investissement, l’innovation et le développement de l’entreprise. Rappelons la formule du chancelier social-démocrate allemand, Helmut Schmidt : « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les investissements de demain font les emplois d’après-demain ». Les hommes politiques français qui veulent taxer de plus en plus les profits ne semblent pas avoir compris ce rôle essentiel. Enfin, le reste du profit revient à l’entrepreneur et, en cas de société par action, aux actionnaires de l’entreprise.

Entrepreneur et profit dans la pensée économique[1]

Mais qu’est-ce qui justifie le profit lui-même ? Laissons de côté la thèse marxiste absurde de l’exploitation, très répandue en France chez les politiques et les syndicalistes : seul le travail serait productif et le profit ne serait donc que le fruit d’une exploitation des travailleurs par le patron ; il serait donc illégitime par nature. Mais que seraient les « travailleurs » sans capitaux et sans entrepreneur ? Une explication courante (David Ricardo, Franck Knight) légitime le profit par le risque pris par l’entrepreneur. Il y a une part de vérité car l’entrepreneur, qu’il apporte lui-même des capitaux ou seulement sa compétence, a une rémunération incertaine et donc variable, contrairement aux salaires et à l’intérêt, fixés par contrat. Il y a donc bien une incertitude, une prise de risque, qui justifierait le profit, qui est donc bien distinct de l’intérêt.

Mais l’explication est très insuffisante. Comme c’est souvent le cas, Jean-Baptiste Say fournit une explication plus complète. Ce qui légitime le profit pour Say, c’est l’apport spécifique du chef d’entreprise, qui réunit et combine les facteurs de production (travail et capital), et apporte ses propres qualités. En effet, pour Say, l’entrepreneur n’est pas un simple gestionnaire ; il n’est pas plus un savant (qui apporte sa science), ni un ouvrier (ayant un savoir-faire) ;il réunit un savoir et des qualités morales spécifiques « dont la réunion n’est pas commune », qui vont bien au-delà de la gestion ; c’est aussi un innovateur, quelqu’un qui a des capacités d’entreprendre, le génie des affaires, du jugement, de la constance, une connaissance des hommes et des c hoses, le sens de l’initiative et du risque et donc c’est au total un créateur net de valeur. Cette valeur n’aurait pas existé sans lui et il mérite une rémunération spécifique, qui est le profit.  Au total, l’entrepreneur selon Say est à la fois créateur de nouveaux marchés et force motrice de la loi des débouchés.

De nos jours Israël Kirzner va plus loin dans cette compréhension du rôle de l’entrepreneur. Pour lui, ce qui caractérise d’abord l’entrepreneur, c’est la vigilance : il sait repérer les opportunités qui n’avaient pas encore été exploitées. Cette vigilance joue un rôle positif sur les marchés en révélant les déséquilibres qui peuvent exister, ce qui diffuse à tous des informations, ce qui permet les ajustements nécessaires, notamment grâce aux prix. L’entrepreneur vigilant, en situation d’alerte, découvre sans cesse de nouvelles manières d’utiliser les ressources ; il a perçu une opportunité de profit avant les autres et il créé ainsi de la valeur, qui n’aurait pas existé sans lui, ce qui justifie le profit qu’il en tire. On est loin de certaines conceptions abstraites néo-classiques de l’équilibre ; l’entrepreneur est au contraire au cœur de la dynamique du marché et des économies réelles, comme le montre l’analyse autrichienne. Il donne un nouvel élan au marché et il aide à corriger les erreurs dues à notre manque de connaissance, car le marché est un processus de traitement de la connaissance. L’entrepreneur est donc à la source du progrès et il n’a évidemment volé personne ; son profit est donc parfaitement légitime.

Et la morale ?

Au-delà des raisonnements économiques, les partisans de la taxation toujours plus élevée des profits avancent des considérations « morales », qui révélant leur incompétence économique. Il faudrait surtaxer les profits, puisqu’ils viennent d’un vol (l’exploitation) ou en tous cas qui ne rémunèrent aucun apport spécifique de l’entrepreneur. Puisqu’ils invoquent la morale, rappelons-leur ce qu’écrit une « autorité morale », le pape Jean-Paul II, dans Centesimus annus (§ 35) : « L’Eglise reconnaît le rôle pertinent du profit comme indicateur du bon fonctionnement de l’entreprise. Quand une entreprise génère du profit, cela signifie que les facteurs productifs ont été dûment utilisés et les besoins humains correspondants convenablement satisfaits ».

La folie fiscale qui touche notre pays se pare de considérations morales, en utilisant des formules qui n’ont aucun sens économique, comme « superprofits » ou « profits excessifs ». Ils oublient que pour porter un jugement éthique sur une situation, il faut d’abord analyser cette situation et, en l’occurrence, les mécanismes économiques. Jean-Paul II l’avait compris, mais pas une large fraction de la classe politique française. Or il y a une faute morale majeure à parier sur l’ignorance économique d’une partie de l’opinion, en remplaçant la science économique par l’idéologie.  Faire un effort de connaissance de l’économie leur permettrait de comprendre le vrai sens de l’article de Milton Friedman dans le New-York Times magazine (13 septembre 1970) : « La responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroitre ses profits ».


[1] Sur la question du rôle spécifique d l’entrepreneur, tout au long de l’histoire de la pensée économique, on se reportera aux contributions de Jean-Pierre Centi, Pierre Garello et Serge Schweitzer, in Naudet Jean-Yves, L’éthique de l’entrepreneur, Collection du centre d’éthique économique, PUAM (Presses universitaires d’Aix-Masteille), 2015.