"Des choses à dire à quelqu'un?" : ce facteur-là peut mettre des mois à livrer vos lettres, c'est même sa raison d'être
Ces plis-là n’arrivent jamais en retard, et pour cause : personne ne les attend. Ça tombe bien, le facteur chargé de les transporter n’est pas franchement pressé. « Notre seule mission, c’est que le message arrive à destination. Le “quand” n’est pas essentiel », confirme Vincent Berthelot depuis sa maison de Redon, en Ille-et-Vilaine.
Lorsqu’a sonné l’heure de la retraite, en 2015, cet enseignant s’est senti pousser des envies d’escapade sur son vélo couché, devenu son compagnon de transport au quotidien. « Je voulais partir trois mois, mais sans savoir où aller », se souvient-il. Lui vient alors l’idée de livrer, un peu partout en France, des lettres écrites par ses proches.
« Je leur ai posé une question simple : “Vous auriez des choses à dire à quelqu’un ? Si c’est le cas, vous l’écrivez, je me charge de le porter.” C’est parti comme ça. »
Important, oui, mais surtout pas urgentEt voilà notre homme embarqué, l’été venu, dans un périple au long cours, les sacoches remplies de dizaines d’enveloppes. De Lille à Marseille, des Pyrénées à Strasbourg, il avale 6.000 kilomètres de bitume et de chemins. À son rythme. « On fait une route, on voyage, on découvre, en étant ouvert à tout ce qui peut se passer entre un point A et un point B. Surtout, il y a un sens. »
La lenteur n’est plus une tare, mais presqu’une fin en soi. « J’ai plutôt l’impression qu’il faut ralentir, que le bonheur est peut-être là, à rebours de l’accélération permanente », glisse le cycliste-poète.
Aux deux bouts de la chaîne, expéditeurs et destinataires deviennent les premiers ambassadeurs de la démarche. Une livraison en amène une autre, puis une autre, puis une autre. De quoi nourrir de nouvelles tournées, de nouvelles rencontres. « Il m’est arrivé de rester deux jours chez des gens à qui j’ai amené un courrier, alors que je ne les avais jamais vus avant ! »
Les aventures de Vincent Berthelot intriguent. Son contre-pied tout en douceur (et en pédale) à la fureur du monde interpelle. La revue spécialisée 200 lui consacre en 2017 un papier remarqué, qui tape dans l’œil d’un réalisateur suisse. Lequel finit par tourner avec lui un documentaire de deux fois 52 minutes.
Le Breton est invité dans des festivals pour raconter son parcours, ou plutôt ses parcours. L’occasion d’une confirmation : ce projet par nature tourné vers les autres doit se vivre plus encore au pluriel. Objectif pleinement atteint en 2020, avec la création de la si bien nommée « Agence des facteurs humains », très officiellement spécialisée dans les « messages importants mais pas urgents ».
Depuis quatre ans, son site internet – tout ne peut pas se faire à bicyclette… – est devenu le lieu de connexion entre, d’une part, des « facteurs » prêts à distribuer des lettres sur un secteur donné ou le long d’un itinéraire ponctuel de voyage, et d’autre part des « épistoliers » désireux de leur confier un courrier. Et ça marche.
« A ce jour, nous avons 210 facteurs répertoriés et plus de 150 messages en attente de livraison. »
Des plis qui restent le plus souvent en France, mais parfois aussi bien au-delà (Islande, Inde, Danemark, Allemagne, Cuba, Corée, Roumanie…). Le trajet se compte alors en mois.
Malgré tout, le fondateur jure n’avoir rien renié du socle initial, qui tient en quelques mots : « partage, lien, hospitalité, gratuité et… bas carbone ». Pour remplir cette dernière ligne du “contrat”, le vélo n’est qu’une option parmi d’autres. « Le principe étant d’aller lentement, en prenant son temps, nos facteurs peuvent marcher, pousser une brouette, pagayer sur un canoë… Ils font comme ils veulent, à partir du moment où ils ne déposent pas les lettres en voiture. Cela n’aurait aucun sens, il ne se passerait rien ! »
L’amour plutôt que les facturesSuccès oblige, Vincent Berthelot passe désormais « une heure et demie par jour à gérer la logistique et trier les demandes. Je commence à être un peu débordé quand même… » Mais la magie, heureusement, opère (presque) toujours. « Très souvent, celui ou celle à qui l’on tend une enveloppe a d’abord une forme de sidération, d’incompréhension. Faire 200, 500, parfois 2.000 kilomètres juste pour apporter une lettre, ça n’existe plus et ça provoque forcément quelque chose ! »
Question indiscrète : le facteur connaît-il le contenu des messages qu’il délivre ? « Parfois on sait, parce que l’expéditeur nous met dans le secret, parfois pas. Il m’est arrivé par exemple d’être “missionné” par quelqu’un qui cherchait à renouer avec un(e) ami(e) d’enfance, par un grand-père qui voulait écrire à ses petits-enfants, par une amoureuse éconduite qui reprenait contact avec son ancien amant… Il y a vraiment de tout. »
Même des factures – non urgentes, cela va de soit ? « Ah non, je ne crois pas, se marre le Breton. A priori, nous, on transporte de l’amour, pas des factures ! »
Stéphane Barnoin
Photos : collection personnelle de Vincent Berthelot
Parution et web. Vincent Berthelot a publié fin 2023 un livre intitulé Le Facteur humain (éditions Paulo-Ramand, 18 euros).Si vous souhaitez lui confier un message, ou devenir facteur/factrice, toutes les informations sur l’agence qu’il a créée sont à retrouver sur son site internet : www. agencedesfacteurshumains.blogspot.com