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Октябрь
2024

Affaire Constanti, comment ce meurtre en Corrèze est devenu un cold case

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Son corps a été retrouvé à moitié immergé dans la Corrèze, qui coule le long du palais de justice de Tulle, « droit comme un I ». Nous sommes le 31 mars 1946, et la position du cadavre de Simon Constanti, dit « Béjo », découvert au petit matin est, a posteriori, fort en symbole et en paradoxe. L’homme de trente-deux ans est tourné vers les colonnes du tribunal de la préfecture corrézienne, où sont jugés les crimes et délits du département. Mais les causes de sa mort ne seront jamais élucidées.

Face à la nature suspecte de cette mort, le dossier a pourtant été confié à un juge d’instruction, qui décide d’ouvrir une information judiciaire pour « suicide, meurtre ou accident ».

Pour les enquêteurs saisis, au vu du positionnement du corps, la nature criminelle de l’affaire ne fait alors aucun doute. La veille, le trentenaire, célibataire, rescapé des camps de déportation, avait participé à un bal organisé aux halles de Tulle. La victime avait été vue en train de danser avec ses deux sœurs jusqu’à deux heures du matin. A-t-il fait une mauvaise rencontre?? Y a-t-il eu une dispute sur fond d’alcool?? Les policiers recueillent de multiples témoignages, mais constatent rapidement qu’ils sont dans une impasse. Le 3 janvier 1947, l’échec de l’enquête est officialisé, un non-lieu est prononcé.

Simon Constanti  

En 1954, l'affaire rebondit

En 1954, l’affaire rebondit. Un homme, emprisonné à Marseille répondant au nom de Marcel Leyrat, dit « Rounane », vient faire une déposition. Il déclare connaître les causes de la mort de Constanti. Dans son procès-verbal, il explique : « En janvier 1950, j’étais détenu au Vigeant, dans la Vienne. Un détenu nommé “Mignon” m’a fait des confidences. Il m’a déclaré notamment connaître Tulle, où il avait décidé, en 1946 de procéder au cambriolage de la bijouterie Tillac, en compagnie de deux complices, dont il n’a pas voulu me révéler les noms ».

« Rounane » poursuit son exposé. « Le cambriolage a échoué par la suite. Mignon m’a déclaré s’être rendu au bal qui avait eu lieu le soir de ce jour. Mignon m’a dit : “Il y en a un qui s’est dédit et le lendemain, on en a trouvé un tout droit noyé dans la Corrèze. C’est un nommé Béjo. Je connais qui c’est qui peut l’avoir fait (sic)” », relate l’ancien prisonnier.

Constanti aurait été victime d’un crime crapuleux?? Cette nouvelle piste, inexplorée, incite un nouveau magistrat à rouvrir le dossier. Des recherches sont menées pour retrouver le fameux Mignon. On diffuse un avis de recherche. L’homme est finalement retrouvé, mais donne un alibi certifiant qu’il était à Marseille le soir des faits. Il ne donnera pas non plus les noms de ses complices. Une confrontation est organisée avec son ancien codétenu. C’est un nouvel échec. En 1956, le dossier Constanti fait l’objet d’un second non-lieu. Il ne sera plus jamais ouvert.

Des centaines de dossiers non élucidés

Des dossiers criminels non élucidés comme celui de Simon Constanti, la justice en compte probablement des centaines. À vrai dire, la justice ne dispose pas de véritables statistiques en matière d’affaires classées. Mais on le présume, car selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, seul 74 % des crimes sont élucidés au bout d’un an d’enquête. « Pendant un an, on travaille, mais une lassitude peut s’installer. C’est à ce moment-là que les affaires peuvent devenir des cold case », constate Sabine Kheris, première vice-présidente et coordinatrice du pôle national des crimes non élucidés, sériels et complexes, plus sobrement surnommé, le pôle « cold case ». Cette cellule spéciale d’investigation, basée à Nanterre, s’intéresse aux crimes qui ont plus de 18 mois et qui se trouvent dans une impasse. La magistrate reprend les dossiers avec un regard neuf, ainsi que de nouvelles méthodes.

« On travaille avec une équipe pluridisciplinaire avec qui l’on partage une expérience. On travaille aussi avec le FBI, avec des profilers, avec nos voisins belges qui ont une véritable expertise depuis l’affaire Dutrou », détaille Sabine Kheris.

La trace du tueur peut se trouver dans les pièces à conviction. photo SP  

"Au départ, un cold case n'en est pas un"

Cette équipe est aidée dans sa tâche par des enquêteurs qui ont une appétence pour les vieux dossiers. « Au départ, un cold case n’en est pas un. Il faut voir le travail réalisé et un meurtre, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne saute pas toujours aux yeux. Au départ, ça peut être une disparition inquiétante, une mort inexpliquée. Par conséquent, ce n’est pas toujours le service spécialisé en charge du dossier. C’est là qu’on peut avoir des trous dans la raquette. Et l’institution n’aime pas tant que cela qu’on puisse avoir ce regard-là, qui consiste à se désavouer », regrette Raphaël Nedilko, officier de police judiciaire à Chalon-sur-Saône, qui a notamment travaillé à la résolution de l’affaire Christelle Blétry, 20 ans, tuée de 123 coups de couteau.

L’aide de la technologie

Olivier Doudet, de la Section de Recherches de Grenoble, consacre tout son temps, aux affaires classées. Depuis l’affaire Maëlys-Nordal Lelandais, une cellule spécialisée travaille à temps plein sur les crimes non élucidés survenus dans leur zone de couverture.

« Nous sommes quatre enquêteurs à temps plein. C’est beaucoup et peu à la fois. Nous avons seize dossiers dont les plus anciens remontent à 1983. On regarde ce qui n’a pas été exploré. On utilise aussi les nouveaux moyens technologiques, comme la génétique ou les portraits-robots génétiques. Cela a aussi ses limites, confie l’enquêteur. Sur les dossiers de 1983 par exemple, il n’y avait pas de relais téléphoniques ni de vidéoprotection. Alors, on s’impose d’aller sur les lieux du crime quand ils existent encore. On refait du porte-à-porte et on s’aperçoit que 10 % des personnes que l’on interroge apportent des informations », explique le gendarme, motivé par la volonté d’apporter des réponses aux familles. « On peut avoir des tueurs qui ont commis deux crimes dans leur vie avant d’arrêter et de reconstruire leur vie. Mais il est important de les traduire en justice », justifie le gendarme grenoblois.

Travailler sur l'ADN pour retrouver un suspect

Ces réponses résident parfois dans les traces ADN, laissées par les auteurs, sur le lieu du crime. Des éléments invisibles à l’époque des faits, mais toujours présents sur les scellés encore conservés. Pour tenter de retrouver les auteurs présumés, les enquêteurs sont même amenés à contourner les règles en vigueur en France. C’est notamment le cas avec la « généalogie génétique », une pratique illégale en France, mais que plus de deux millions de Français pratiquent via des sites internet américains notamment. Ces plateformes de tests ADN récréatifs représentent une mine d’or pour les enquêteurs qui y voient une base de données extraordinaire. Ils permettent de retrouver des proches de personnes ayant laissé des traces ADN sur une scène de crime, qui ensuite, par recoupement, peuvent être identifiées.

Travailler sur le parcours de criminels

En plus de ces nouveaux moyens, la création du pôle de Nanterre a permis celle d’un nouveau cadre juridique, permettant de ne pas seulement travailler sur des faits, mais aussi sur des parcours de serial-killer. Le but : tenter par recoupement de voir si un crime non élucidé peut coïncider avec le passage d’un criminel. « On sait par exemple que Francis Heaulme, “le routard du crime”, avait pour habitude de fréquenter les Emmaüs et qu’il est même passé par Brive-la-Gaillarde », lâche Olivier Doudet, de la SR de Grenoble. Mais jusqu’alors, aucun crime n’a été attribué au tueur en série dans le département de la Corrèze, qui ne compte aucun vieux dossier rouvert par le pôle de Nanterre.

Quant au dossier corrézien de Simon Constanti, trop lointain, prescrit, il est condamné à rester une affaire classée. 

Pierre Vignaud