Christophe Hay dédie un livre au fleuve royal : "Je veux redonner leurs lettres de noblesse aux poissons de Loire"
Des livres sur les poissons de mer, il en existe beaucoup. Sur les poissons d'eau douce, ces oubliés de la gastronomie moderne, beaucoup moins.
Depuis les bords de Loire, dans le Loir-et-Cher, le chef Christophe Hay a fait de son travail autour des poissons d'eau douce sa marque de fabrique. Dans un magnifique ouvrage, déclaration d'amour à la Loire, il livre ses techniques de désarêtage et offre 50 recettes à partir de 20 poissons d'eau douce, des plus connus aux plus mal-aimés.
"Je veux absolument que ce livre soit une référence pour les écoles, les foyers et les professionnels, insiste le cuisinier. Ce n'est pas un livre de cuisine de professionnel, c'est vraiment un livre référence qui est destiné à tous."
Ce n'est pas vraiment un livre de cuisinier, plus un livre sur la Loire, un livre d'amoureux de la Loire et des poissons de Loire. D'où vient cet élan ?
Christophe Hay. "Je suis né à Vendôme et j'ai fait mon lycée hôtelier à Blois. Je suis quelqu'un qui a grandi avec la Loire. Et j'ai notamment fait beaucoup de concours de pêche dans la région, puisque j'ai été champion cadet de pêche au coup en région Centre. Cela veut dire que j'ai pêché dans tous les étangs et les rivières, et notamment sur la Loire. C'est aussi ça qui m'a justement orienté vers ces poissons que je connaissais bien, pas au niveau culinaire, mais que je connaissais au niveau de la morphologie. Aujourd'hui, surtout dans un monde où l'on a défini que les poissons d'eau douce, ce n'était pas bon, ce livre était une façon de redonner leurs lettres de noblesse à ces poissons de Loire."
Les poissons de Loire, qu'ont-ils de plus ?
"La Loire, c'est le seul fleuve en Europe à avoir été classé. On a démonté des barrages, on a permis à ce que la Loire soit libre. Et donc, le lit de la Loire, c'est du sable et des galets."
"Quand on pêche, notamment les goujons l'été, à la gratte, ils viennent aussi vous gratter les doigts de pied, ça c'est super. On s'aperçoit que, justement, la Loire, elle est propre."
"Et je trouve qu'aujourd'hui aussi, ce sont des poissons qui sont méconnus, mais on s'y réintéresse de plus en plus, puisqu'il y a de plus en plus de chefs qui commencent à travailler les poissons d'eau douce."
Quelle place les poissons de Loire ont-ils sur la carte de vos deux restaurants ?
"Ils ont 100 % de la place. On vient chez moi pour manger des poissons d'eau douce. Ce qui est important au fond, c'est que, finalement, ces poissons, on ne les connaît pas, ou on les connaît trop peu. II y a aussi de nombreuses émissions de télé que j'ai faites autour de ces poissons, qui m'ont permis de les valoriser. Cela m'a permis de poser des goûts, de poser des textures, de poser des manières de les travailler, des cuissons, des recettes. Ce livre était un peu pour moi une manière de poser ces dix années de travail que j'ai pu faire avec Sylvain, mon pêcheur, avec Baptiste, mon chef exécutif, avec Suzanne [sous-cheffe de cuisine]. Je voulais écrire, enfin, un livre qui soit une vraie référence des poissons d'eau douce."
On lit dans les pages votre admiration pour les pêcheurs de Loire, Sylvain Arnoult par exemple. Quel est votre lien avec eux ?
"Je travaille avec Sylvain, qui est ici sur ma partie à Blois, et puis avec Bruno Gabris, qui est à Sigloy (Loiret). Ils sont pour moi plus que des fournisseurs, ce sont des amis ; surtout des gens avec qui je partage la même philosophie. Si j'ai pu travailler avec Sylvain, c'est parce que je lui ai expliqué que je voulais valoriser tous les poissons d'eau douce, pas que les carnassiers. "
Quel est aujourd'hui le poisson (ou la recette) qui est le plus emblématique de votre démarche ?
"Mon plat signature, c'est la carpe à la Chambord. La carpe, on l'a tous mangée quand on était enfants, farcie, en famille. Les carpes qui sont en Loire, elles ont une chair qui est magnifique, particulière, qui pourrait même s'apparenter à une chair de veau, tellement c'est une chair qui est dense. J'ai travaillé longtemps sur la façon de désarêter cette carpe. Aujourd'hui, je la partage à tout le monde. C'est-à-dire que ce livre, c'est aussi de la technique qui va permettre à chacun de cuisiner ces poissons : élèves d'école, mais aussi aux parents qui veulent cuisiner, aussi aux professionnels. "
"Je voulais donner les techniques qui m'ont permis aujourd'hui de désarêter des poissons qu'on estimait plein d'arêtes et qu'on ne pouvait pas travailler en restauration."
La carpe à la Chambord, truffe, écrevisses, sauce au vin de Cheverny ; carré d'esturgeon rôti, caviar de sélection, pressé de pak-choï ; friture de Loire, moutarde à l'ail des ours. Photo Guillaume Czerw
Quelle est la réaction de la clientèle, plus formée aux poissons de mer ?
"Quand j'ai démarré, il y a dix ans, je faisais un peu de mer et un peu de Loire. Et puis très vite, quand j'ai commencé à comprendre la pêche avec Sylvain et voir les poissons qu'il pouvait me fournir, j'ai arrêté complètement la mer."
"Et c'est vrai qu'au début, je me suis retrouvé avec des personnes qui venaient et qui me disaient : « Ah non, mais nous, on ne mange pas de poissons d'eau douce. » Et moi, j'aimais ça, parce que je me disais : « Mais qu'est-ce que vous connaissez des poissons d'eau douce ? C'est plein d'arêtes ? » Et souvent, je disais aux gens : « Mais vous n'êtes pas venus chez moi pour manger des arêtes ? Bon ben alors, goûtez et on verra. » Ils repartent super contents. Et c'est ça aussi la grande fierté d'un chef : les gens partent d’un a priori qu’on arrive à enlever complètement."
Ce que vous faites, qui est un peu la haute couture du poisson de Loire, comment chacun peut-il le reproduire à la maison, alors que c'est déjà très compliqué de se procurer ces poissons ?
"Si on faisait une étude de la consommation du poisson dans nos foyers, je pense qu'on serait vraiment surpris. Il n'y a plus de poissonnerie. Vous voyez bien, il n'y a plus de poissonnerie aujourd'hui."
"Toutes les poissonneries de villages, elles ferment les unes derrière les autres. Au final, on ne mange pas de poisson à la maison parce que ça sent mauvais, parce qu'on ne sait pas trop les cuisiner."
"Ce sont des poissons qu'on achète à un ami, c'est un ami qui nous les donne même, parce qu'il a pêché un poisson et il a envie de vous le partager.Là, c'est vraiment un livre de famille que j'ai voulu faire, parce qu'il y a plein de familles en France qui vivent au bord d'un étang. Il y a de nombreux livres sur les poissons de mer. Mais il n'y a pas vraiment de référence sur les poissons d'eau douce. "
La Loire, trésors culinaires. Christophe Hay avec la collaboration de Hélène Luzon et les photographies de Guillaume Czerw. Fiches techniques Bénédicte Bortoli.45 euros. Editions La Martinière.
Philippe Cros