Que savez-vous des 80 paramètres de l'air surveillés au sommet du puy de Dôme ?
Un jour vous le voyez, et le lendemain il disparaît. On le cherche d’en bas comme d’en haut. Ne reste visible que la ouate à trois pas devant soi. Et encore en luttant, parfois, contre des bourrasques inimaginables depuis Clermont-Ferrand. Pour atteindre la porte de l’Observatoire de physique du globe (OPGC) au sommet du puy de Dôme, une peau de glace peut encore vous mettre à terre avant l’escalier. Il y a des jours comme ça, où l’on ne se sent vraiment arrivé que quand la porte du chalet se referme sur le blanc, la pluie et le bruit.
Depuis plus de 150 ans, la science et l’université ont ici leurs quartiers : pour la routine et l’exception. Rien n’accroche pourtant le regard sur l’observatoire. L’antenne de 89 mètres derrière, c'est la télédiffusion. Pour les chercheurs, il faut viser plus sobre : l’étage du chalet touristique rénové par le Département (propriétaire) et une toiture de capteurs.Journées de patrimoine. L’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand au sommet du Puy de Dôme vous propose de découvrir ses laboratoires de mesures atmosphériques. - le 16 septembre 2023 photo Thierry NICOLAS
L’ensemble ouvre au grand public deux fois par an (pour les journées du patrimoine et la fête de la science). Le reste du temps, il sonde la planète, à l’écoute ce que l’air amène à sa portée. Tous les jours et toutes les nuits de l’année.Francis Campagnoni
Il y a même une cuisine et de quoi héberger dix personnes : étudiants ou chercheurs, quand ils sont coincés ici pour leurs protocoles ou par la météo.
Surveiller et explorerLe plateau technique et les compétences de l’OPGC permettent de surveiller en continu entre 70 et 80 paramètres indispensables à la surveillance et à la compréhension de la climatologie, de la météorologie, de la composition de l’atmosphère, de la volcanologie… Peu d’Auvergnats savent que ces données sont accessibles en open data sur le site de l’OPGC. Polluants, radioactivité…
« On veut tout savoir sur les propriétés physiques, chimiques et hygroscopiques des aérosols. »
L’observatoire du puy de Dôme fait partie des 22 Observatoires des sciences de l’univers de France (OSU) chargés de conduire des observations de longue durée dans le domaine des sciences de l’univers (astronomie, physique du globe, océanographie, environnement).
Maillon de la surveillance européenne et mondialeRéférencé sous le label Actris, il fait aussi partie des structures européennes dédiées à l’observation des aérosols, des nuages, des gaz et des processus atmosphériques. L’observatoire est enfin l’un des maillons du réseau international Gaw (pour Global Atmospheric Watch) chargé de la « surveillance et de l’observation globale du climat ».En plein vent alors que le temps est calme et dégagé au pied du puy-de-Dôme, Aurélie Collomb devant la pris d'air de l'aspirateur à nuages. Photo CampagnoniObservatoire de physique du globe de Clermont Ferrand au sommet du puy de Dôme avec Aurélie Collomb directrice de l'OPGC le 30 septembre photo Francis Campagnoni
Ce que la science explore ou enregistre au sommet du puy de Dôme a donc une valeur internationale. Et cela ramène presque invariablement à ce que le sommet connaît le mieux : les nuages (il y est plongé deux jours sur trois en été?; la moitié du temps en hiver), et la troposphère libre (c’est-à-dire l’air situé au-dessus de la couche qui interfère avec les émissions du sol).
Gaz à effet de serreEn surveillance, l’OPGC monitore les gaz à effet de serre, dont le CO2, le méthane et l’hexafluorure de soufre, une molécule hautement réfléchissante dont on scrute la contribution à l’effet de serre. Il contribue à la veille assurée par le réseau européen Icos.
Gaz réactifsPour les gaz réactifs, en plus des missions qui lui sont déléguées, le Laboratoire de météorologie physique (LaMP, unité mixte CNRS/Université Clermont Auvergne) travaille sur les oxydes d’azote (les NOx), l’ozone et les dioxydes de soufre. Il surveille aussi les composés organiques volatils.
Particules fines de l’airL’étude des particules fines de l’air (poussières, bactéries et autres aérosols) est une autre spécialité du LaMP au sommet. Très peu de sites ont la possibilité d’observer en milieu réel ces aérosols. L’urgence sanitaire et climatique impose pourtant de progresser dans la connaissance de leurs propriétés physiques, chimiques et hygroscopiques.l’OPGC permettent de surveiller en continu 80 paramètres. F. Campagnoni Les nuages sont, ici, monitorés par le LaMP depuis plus de 25 ans, dans cette approche à la fois physique, chimique et biologique. Un exemple d’application directe que cite Aurélie Colomb, enseignante-chercheuse et responsable scientifique des mesures gaz?? La mise en évidence de concentrations plus acides dans les flux en provenance du Nord-Est. Il y en a d’autres !
RadioactivitéPour finir, l’observatoire assure une veille de la radioactivité avec un protocole hebdomadaire pour le compte de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Réchauffement, antibiorésistance et autres travaux utilesL’antibiorésistance circule aussi dans l’eau des nuages. Les chercheurs du LaMP (laboratoire de recherche en météorologie physique CNRS/Université Clermont Auvergne) peuvent depuis peu de temps compter sur un nouveau dispositif nommé Pine (pour Portable Ice Nucleation Experiment), qui permet d’explorer les particules impliquées dans la formation des cristaux de glace. « Leur impact radiatif - réchauffement ou refroidissement - est l’une des grandes questions pour améliorer par exemple les modèles de prévision météorologique ou de compréhension du climat », explique Aurélie Colomb, enseignante-chercheuse et responsable scientifique des mesures gaz au LaMP. Une thèse est en cours, avec des premiers résultats attendus sous deux ans.Mise en bouteille pour les Journées de la science et du Patrimoine. Photo Thierry NICOLAS
L’équipe emmenée par Laurent Deguillaume a aussi fait parler d’elle en juillet 2023, en apportant la preuve que les nuages constituent une voie de dissémination importante de gènes de résistance aux antibiotiques. La revue Science of the Total Environment a publié ces résultats obtenus avec l’ICCF et l’Université Laval (Canada) en découvrant dans les nuages échantillonnés au sommet de puy de Dôme, la présence de gènes de résistance aux antibiotiques de bactéries. Exemple visible pour les bactéries collectées dans quelques millilitres d'eau des nuages: après trois jours d’incubation en étuve, à 15 °C, la vie prospère (photo sous la bouteille) . Encore mal connus et peu étudiés, les aérosols transportés par les nuages peuvent parcourir de grandes distances autour de la planète et se disséminer.
Le cadre et l'histoire. L’OPGC est une composante de l’Université Clermont Auvergne et un Observatoire des sciences de l’univers dépendant de l’Institut national (INSU, CNRS) de Clermont-Ferrand (OPGC/UCA). L'observatoire était, à l’origine, rattaché à la chaire de physique de la faculté de sciences. C’est en effet un professeur de physique à la faculté de sciences de Clermont-Ferrand, Émile Alluard, qui propose la création du « premier observatoire de montagne installé au sommet du puy de Dôme » en mars 1869. Il veut monter « observer au plus près ». 1Le premier observatoire construit par Émile Aluard, sur une carte postale conservée par l’OPGC Il imagine ce qui est, à ce moment-là pour l’observation météorologique, la toute première « station de montagne de France ». Il entend transmettre les informations par télégraphe à la station basse de l’université. Répondant à la station de montagne, une station de plaine est alors organisée 1.100 m plus bas, à 10 km de distance horizontale. Les deux communiquent par un fil électrique. Les observations météorologiques du sommet étaient transmises toutes les trois heures. Le site devient Observatoire des sciences de l’univers en 1986.
Étalonnages de référence pour le polluant NO2Le référencement européen de l’observatoire (Actris) vaut au puy de Dôme, depuis peu, de faire fonction de site test pour comparer et étalonner les technologies proposées par trois sociétés (française, allemande et américaine) pour la mesure du dioxyde d’azote (NO2) dans l’air.
Un espace a été récemment aménagé dans les locaux pour accueillir les appareils et moniteurs qui doivent permettre, notamment, d’évaluer les biais possibles des mesures en limite basse de présence de ce polluant nocif pour la santé humaine.Le nouvel espace dédié aux appareils et moniteurs qui doivent permettre, notamment, d’évaluer les biais possibles des mesures. Photo Francis Campagnoni
L’émission de NO2 est principalement liée au trafic routier et activités industrielles, ce qui le rend plus présent dans la couche basse de la troposphère (aussi appelée couche de mélange par ce qu’elle est en interaction avec le sol sur une épaisseur de 1 à 2 km). Au-dessus, dans la troposphère dite « libre », le N02 est à peine perceptible. À plus de 1.000 mètres au-dessus de Clermont, et à 1.465 mètres d’altitude : peu de N02 : le laboratoire y est idéalement situé.L'observatoire ouvre au grand public deux fois par an (pour les journées du patrimoine et la fête de la science. Photo d'archives Thierry NICOLAS
Anne Bourges anne.bourges@centrefrance.com