En Creuse, cette exposition plonge les visiteurs au cœur de la Lituanie soviétique
Papiers peints décrépits, peintures écaillées et vieux parquets. C’est dans un ancien appartement niché dans l’hôtel de ville de Bourganeuf, que sont présentés des clichés en noir et blanc du photographe lituanien Antanas Sutkus et des installations colorées de sa compatriote, la plasticienne Indra Marcinkeviciene, jusqu’à mi-novembre.
« Je voulais que le visiteur se retrouve dans le décor un peu passé d’un logement lituanien de l’époque soviétique », dit Neringa Miller, la commissaire de l’exposition organisée dans le cadre de la Saison de la Lituanie en France, programme culturel piloté par l’Institut français autour du pays balte de 2,7 millions d’habitants.
Antanas Sutkus, photographe humaniste derrière le Rideau de ferPour cause, Antanas Sutkus, aujourd’hui âgé de 85 ans, fut l’un des grands témoins artistiques des décennies de communisme que traversèrent les Lituaniens, dans la seconde moitié du XXe siècle. Et pouvoir contempler une vingtaine de ses œuvres en Creuse est un petit événement.
Neringa Miller, qui est elle-même d’origine lituanienne et Creusoise d’adoption, commente :
C’est un grand photographe humaniste, proche d’un Cartier-Bresson. Même s’il ne connaissait pas les photographes de l’ouest, il a développé une approche similaire, en s’intéressant avant tout aux gens et à leur vécu.
En témoignent les tirages visibles à Bourganeuf, qui sont en grande partie des portraits capturés dans les années 1950, 1960 et 1970. Des clichés touchants, et parfois décalés, d’hommes, de femmes et d’enfants, bien décidés à s’emparer de leurs existences, malgré un environnement politique et économique hostile. D’où le titre de l’expo, Résistance douce.
Photo d'Antanas Sutkus.
Photo d'Antanas Sutkus.
Un "soleil de bananes"Cette énergie vitale habite aussi une partie de l’œuvre d’Indra Marcinkeviciene. À l’image de ses bancs de poissons en tissus orange, rouge, violet ou bleu qui semblent mus par une force irrépressible.
Oeuvre d'Indra Marcinkeviciene (détail).
Mais, pour la créatrice née en 1969, les poissons peuvent aussi renvoyer aux effets délétères des mouvements de masse. Comme ceux, uniformément blancs, installés près d’une grande photo de Sutkus, montrant un jeune homme assis dans un bus et qui paraît être surveillé de près par un militaire posté derrière lui.
Indra Marcinkeviciene, qui a fait le voyage depuis la Lituanie pour accrocher ses œuvres et assister au vernissage, à Bourganeuf, le 25 octobre dernier, confie :
Nous étions enfermés. Je me souviens même de l’odeur de cette époque, celle de la moisissure.
Une œuvre de la plasticienne, composée de bananes en céramique assemblées sur un cercle métallique jaune, renvoie à cette période marquée par les restrictions, ces fruits étant alors considérés comme une denrée rare. Le dispositif fait ironiquement référence au “soleil soviétique” censé réchauffer les républiques du bloc de l’Est.
Une photo de Sutkus exposée à côté montre, quant à elle, des gens patientant calmement pour qu’on leur délivre de précieuses bananes. Pendant que veillent, au-dessus d’eux, des portraits de Lénine et de Léonid Brejnev.
Cliché d'Antanas Sutkus montrant des gens attendant une distribution de bananes.
Madone et de touchants portraits de femmesCe dialogue entre Sutkus et Marcinkeviciene ne manque donc pas d'humour. Mais également de tendresse. Notamment pour les femmes. Une salle entière de Résistance douce leur est d'ailleurs consacrée. Là, des clichés d’Antanas Sutkus rendent compte de moments de bonheur simple, passés au bord de l’eau, ou de complicité entre mères de famille. Alors qu'une grande madone, là encore confectionnée en textile par Indra Marcinkeviciene, semble rayonner sur l’ensemble de l’espace.
Photo d'Antanas Sutkus.
Une manière pour l’artiste de représenter « l’amour pour la mère mais aussi l’affection et la protection maternelles », confie-t-elle. Un propos résumant à lui seul les sentiments mêlés - joie, mélancolie, empathie - qui traversent cette touchante exposition.
Indra Marcinkeviciene devant l'une de ses madones.
Résistance douce. La majeure partie de l’exposition est présentée dans un ancien appartement situé au-dessus du cinéma (entrée libre par le cinéma) du 29 octobre au 3 novembre, du 5 au 8, et les 12 et 13 novembre, de 14 h 30 à 17 h. Une sélection d’œuvres d’A. Sutkus et d’I. Marcinkeviciene est également exposée dans la grande salle Marcel Deprez, dans l’hôtel de ville (accès libre aux horaires d’ouverture de la mairie). L’harmonie municipale de Bourganeuf donnera un concert de musiques lituaniennes, le 2 novembre, à 18 h, à l’église Saint-Jean-Baptiste (gratuit). Suivra une visite de l’exposition par Neringa Miller (entrée libre).
Texte et photos : François Delotte