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Октябрь
2024

Florence Robin [Limatech] : " Je suis devenue une sorte d'entrepreneure-influenceuse "

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" Du côté de ma mère, tous sont des chercheurs, et de mon père uniquement des entrepreneurs ", confie Florence Robin, fondatrice et PDG de Limatech, vraisemblablement prédisposée à l'entrepreneuriat dès son plus jeune âge. La start-up, née en 2016 à la suite d'un transfert technologique avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), conçoit des batteries au lithium pour le secteur de l'aéronautique. Le programme de financement France 2030, qui prévoit une enveloppe de 34 milliards d'euros d'aides publiques pour mieux " produire en France ", a récompensé Limatech en 2023 sur deux appels à projets : " Première usine " et " Batteries ". Un coup de pouce qui a permis à l'entreprise, dont le siège est situé à Toulouse, d'accélérer son développement et notamment d'inaugurer sa première usine de 1200m2 en Isère l'été dernier. La deeptech, qui a récemment rejoint la sixième promotion de l'Accélérateur Néo Startups Industrielles de Bpifrance, voit les choses en grand :  sa certification de commercialisation à présent obtenue auprès de l'Agence de l'union Européenne pour la Sécurité Aérienne (EASA), les batteries Limatech pourraient faire économiser 2 millions de tonnes de CO2 au secteur aérien. Déjà passée par le micro de Big média lors de la pose de la première pierre de l'usine, la PDG Florence Robin revient aujourd'hui sur le chemin parcouru et les nouveaux objectifs de son entreprise, qui ambitionne de produire 10 000 batteries par an à horizon 2030. 

" Notre but, c'est d'être un acteur qui compte "  Big média : comment en êtes-vous arrivée à créer Limatech ?  

Florence Robin : J'ai toujours eu la vocation de monter ma société. Déjà en école d'ingénieur, j'avais cette appétence et ça se traduisait dans le choix de mes cours complémentaires. Tout est parti d'une réflexion de mon oncle, chercheur au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et parallèlement pilote et constructeur d'avions amateur. Il a constaté qu'aucune solution pour l'aviation n'existait pour remplacer les traditionnelles batteries au plomb ou au nickel. L'idée lui est alors venue d'en mettre une au point fonctionnant au lithium pour cet usage particulier. Lors d'un diner familial, alors que je cherchais justement la bonne idée pour me lancer dans l'entrepreneuriat, il m'a montré son prototype. J'ai tout de suite compris l'intérêt du produit et lui ai proposé de s'associer. Limatech vient ainsi de fêter son huitième anniversaire. 

BM : Qu'apportent les batteries lithium par rapport aux batteries " traditionnelles " ?  

FR : L'intérêt est multiple ! D'abord, les métaux comme le plomb, le nickel ou le cadmium qu'on retrouve traditionnellement dans les batteries sont à la fois toxiques et cancérigènes. Le lithium, en plus de ne pas avoir ce problème, est de surcroit trois fois plus léger. Évidemment, le poids constitue un atout notable, puisqu'il influe considérablement sur la consommation énergétique. Concernant leur durée de vie, les batteries au lithium demandent deux fois moins de maintenance et fonctionnent deux à trois fois plus longtemps. Avec nos produits, on est sur une durée de vie d'environ dix ans. De ce fait, on n'est plus considéré comme un consommable à changer tous les deux ou trois ans.  

BM : Quelles sont les caractéristiques principales de vos batteries ? 

FR : Il existe plusieurs chimies de lithium. Les secteurs de l'automobile ou de la téléphonie vont chercher celles ayant une bonne densité d'énergie, car il y a un enjeu fort d'autonomie derrière. Chez Limatech, on mise plutôt sur la puissance de démarrage. En résumé, on choisit les chimies répondant à la densité de puissance et non à la densité d'énergie. Celles-ci sont plus stables, plus fiables et sécurisées. Le LFP (lithium-fer-phosphate) est la meilleure chimie pour répondre à ce besoin. Tout le monde ne peut pas aller dans l'aéronautique à cause des barrières à l'entrée du marché. Ça demande beaucoup de certifications et d'agréments à obtenir.  Il y a très peu d'acteurs et ce sont souvent des multinationales. Dans le monde, on en dénombre seulement sept - dont Limatech - et deux seulement font du lithium. 

BM : Quelles sont les innovations apportées par Limatech ?  

FR : On apporte plein de nouvelles choses, comme un bouton on/off permettant d'allumer et éteindre la batterie. Mais la révolution majeure tient aux performances de notre produit. Début 2023, on a conduit de premiers essais au sol sur la densité de puissance de nos batteries. Alors qu'on pensait obtenir, en termes de densité de puissance, des résultats 20 % supérieurs à ceux du marché, nos batteries se sont avérées 150 fois plus performantes. Sans rentrer dans les détails, jusqu'à présent les constructeurs fixaient des seuils afin d'éviter des problèmes d'emballement thermique. Or, avec l'usure, l'état de la batterie se détériore, mais le seuil reste le même. Ce qui explique notamment les problèmes d'incendies liés à l'utilisation du lithium. De notre côté, notre force est d'avoir inventé le seuil adaptatif. Celui-ci est plus sûr et permet d'exploiter pleinement son potentiel. Pour donner une idée du progrès que ça représente, une batterie traditionnelle permet de démarrer, consécutivement, un avion trois fois d'affilés. Avec une batterie lithium " classique ", le nombre de démarrages est passé à cinq. Notre technologie permet, elle, treize démarrages consécutifs.  

BM : La dernière fois que votre start-up était au micro de Big média, celle-ci remportait deux appels à projets du programme France 2030. Quelles avancées ont pu être réalisées grâce à cela ? 

FR : Pour commencer on a pu inaugurer notre usine, avec une première ligne de production certifiée aéronautique. C'était une étape clé. Aujourd'hui, on a tout l'outil industriel qui nous permet de commencer à produire et à vendre. On a déjà vendu trois batteries et avons d'ores et déjà de nouvelles demandes. La deuxième avancée, c'est sur l'appel à projet " Batteries ". C'est grâce à cela que l'on peut aujourd'hui poursuivre notre R&D. On est d'ailleurs passé de huit à douze brevets déposés. L'un d'entre eux nous permet notamment d'augmenter de 150 % la densité de puissance des accumulateurs grâce à notre électronique. Ce brevet est applicable à tout type de chimie, d'application ou de secteur. 

BM : Quelle est votre implication dans l'écosystème des startups industrielles ? 

FR : En ce moment je travaille beaucoup avec Start Industries, dont j'ai été élue membre du Conseil d'administration. Porté par France Industrie, c'est une organisation qui représente les 2 500 startups et scale-ups industrielles françaises. On travaille par exemple sur un guide de lecture pour trouver un langage commun aux fonds d'investissement et aux startups industrielles. C'est un secteur où les cycles sont forcément plus longs, avec beaucoup de CAPEX, ça peut faire peur aux fonds au premier abord. On a notamment couplé les échelles TRL [pour " technologie readiness level ", système de mesure employé originellement par la NASA pour évaluer le niveau de maturité d'une technologie, le niveau 9 correspondant à son intégration dans un système complet et son industrialisation, ndlr] et MRL [pour " manufacting readiness level ", sur le même principe, mais cette fois pour évaluer la maturité de la préparation à la fabrication d'un produit, ndlr]. Or, en termes de financement privés, on constate un vide avant un niveau de TRL 7 et de MRL 8. 

" J'ai aujourd'hui plus de 30 000 abonnés sur TikTok " BM : Comment avez-vous fait pour lever des nouveaux fonds ? 

FR : Il faut savoir qu'un niveau de TRL équivaut environ à un an dans l'industrie. On trouve certes du financement public, du financement européen, des subventions, des prêts ou des opérations de crowdfunding, mais aujourd'hui les startups industrielles se confrontent à cette problématique où ils n'arrivent pas à trouver des fonds privés. D'autant que des projets comme le nôtre [Limatech a lancé sa levée de fonds participative sur Crowdcube et y a déjà levé près de 800 000 euros, en vue de compléter une série de 20 millions d'euros, ndlr] sont moins attractifs que des startups plus " classiques ", que les gens connaissent mieux. L'astuce, ça a été d'abord de faire beaucoup de communication autour du projet et beaucoup de pédagogie. Pour ce faire j'ai utilisé les réseaux sociaux, et notamment TikTok. Je suis devenue une sorte d'entrepreneure-influenceuse. J'ai aujourd'hui plus de 30 000 abonnés sur la plateforme. J'y donne des explications directement depuis mon téléphone, je fais des visites de mon entreprise, présente mes salariés, etc. C'est ça qui m'a permis de faire une belle levée de fonds par rapport au contexte économique actuel.  

BM : Envisagez-vous de développer de nouveaux produits et de conquérir de nouveaux segments de marché ?  

FR : On vient d'être lauréats du plan France 2030 Export. Notre fil rouge est déjà bien abouti, mais on va travailler sur un deuxième fil rouge, dont l'objectif est de proposer nos batteries à d'autres secteurs, notamment dans les milieux sévères : robots de démantèlement de zones radioactives, batteries stationnaires dans des pays aux conditions climatiques extrêmes, etc. France 2030 Export va nous aider à finaliser cette étude de marché et à trouver des clients susceptibles d'acheter notre batterie immédiatement. 

BM : Quelles sont vos ambitions à court et long terme à ce stade de développement ? 

FR : L'idée est de substituer les batteries toxiques par nos batteries. Aller monter une usine, peut-être aux États-Unis et vers l'Asie pour être dans des endroits stratégiques où il y a une forte activité aéronautique. Notre but, c'est d'être un acteur qui compte. On prévoit de s'agrandir et de recruter, il va nous falloir entre 30 et 40 personnes supplémentaires pour la partie industrielle dans les prochaines années. Ce qu'on aimerait, c'est montrer une belle réussite de start-up industrielle, ce qui pourra ouvrir la voie aux autres et peut-être aussi rassurer les financiers. Enfin, par rapport au nouveau brevet qu'on a déposé, ce serait intéressant de pouvoir révolutionner le monde de la batterie grâce à cet électronique, qui pourrait être alors vendu sous forme de puce ou de licence aux autres fabricants de batteries.  

 

Cet article a été publié initialement sur Big Média Florence Robin [Limatech] : " Je suis devenue une sorte d'entrepreneure-influenceuse "