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"L’éducation positive dévoyée a menotté les parents dans l’exercice de leur autorité", selon la psychologue Caroline Goldman

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Pas de mode d’emploi livré avec les enfants, lorsqu’on devient parent. Mais de multiples injonctions contradictoires et courants, dont celui de l’« éducation positive ». Incompris, il a fait des ravages, selon la docteure en psychologie de l’enfant et psychopathologie clinique Caroline Goldman, autrice d’un « Guide des parents d’aujourd’hui » (Flammarion), issu de son podcast et sa chronique sur France Inter.

Incomprise ?

« Même si ce n’était pas très agréable, je n’ai pas été étonnée par les réactions suite à mon livre File dans ta chambre ! Je savais dans quelle époque j’émergeais. Je suis très consciente de l’air du temps qui est le nôtre parce que je suis sur le terrain de la clinique infantile et que j’entends les inspirations des parents. Je m’étais aussi immergée pendant deux ans dans les groupes de parentalité positive et de parentalité tout court sur les réseaux sociaux. J’avais pu constater l’expansion de ces messages d’extrême positivité.

Quant au qualificatif de “psy réac”, je sais que ce n’est pas ma réalité. Ça ulcère mes patients et ça cause des fous rires irrépressibles à mes enfants. »

Éducation pas si « positive » ?

« Je souscris à tout ce que l’éducation positive prône en matière de schémas éducatifs dans ses publications d’origine, à savoir la prise en compte des besoins affectifs de l’enfant, de ses besoins d’explications pédagogiques face au monde qui l’entoure, mais aussi de limites éducatives autorisant notamment le time out, tel qu’il est envisagé par le Conseil de l’Europe comme une option non violente. Mais des figures françaises comme Isabelle Filliozat et Catherine Gueguen ont décidé que toutes sanctions étaient dommageables pour les enfants et pouvaient avoir des effets traumatiques sur leur appareil psychique. De tels messages ont menotté les parents français dans l’exercice de leur autorité et on en voit les conséquences dramatiques dans les consultations en pédopsychiatrie. »

Quels dégâts ?Photo Jérémie Fulleringer

« Je me suis installée il y a 18 ans en cabinet libéral et je date de 10 ans l’arrivée exponentielle de ce type de patients jusqu’à constituer l’essentiel de nos consultations. Autrefois, les enfants souffrant de troubles du comportement venaient de familles maltraitantes, déprimées, insuffisamment tendres… Aujourd’hui, une grande portion d’entre eux vit dans des familles attentives, soucieuses de leur bien-être, joyeuses, nourrissantes… Parmi les effets négatifs de l’éducation positive dévoyée, on peut citer des troubles du comportement, des vécus d’exclusion parce que les enfants ont un défaut d’apprentissage des codes de bienséance et de positionnement relationnel.

Ils ne savent pas mettre en sourdine l’expression de leur désir, ni renoncer à l’écoute d’eux-mêmes pour donner de la place à l’écoute de l’autre. Or, on ne peut pas être à la fois tyrannique, dominant, autoritaire et être bien dans sa peau et dans sa vie sociale.

Ce sont des enfants qui ne sont plus invités aux anniversaires, que leurs grands-parents ou leurs nounous ne veulent plus garder. Ils se font tout le temps disputer par leurs enseignants et par leurs parents qui finissent par avoir des mots très blessants pour leur estime d’eux-mêmes. En grandissant, cet envahissement des rapports de force dans les relations peut aussi entraîner des situations de harcèlement ou du décrochage scolaire... »

Tous HPI ?

« Ce business est né avec un slogan inventé par une psychologue qui venait du monde de la publicité : “Trop intelligent pour être heureux”. La tentation d’expliquer la souffrance des enfants consultant par leur haut QI s’est ensuite imposée partout. Les parents étaient contents de ne pas être remis en question dans leurs propositions éducatives et les psy qui ne comprenaient pas bien les rouages subtils des conflits psychiques ont trouvé là une occasion de s’enrichir facilement en vendant ces tests de QI. Les enfants n’étaient plus malades, ils étaient sur-intelligents.

Vingt ans après, on sait que faire sauter des classes et alimenter ces enfants en leur offrant des livres n’a aucune vertu sur l’amélioration de leur souffrance.

Il fallait donc les appréhender comme les autres enfants souffrants. Cette industrialisation du test de QI a été créée en marge absolue du monde scientifique. »

Santé mentale

« Que la santé mentale devienne grande cause de 2025, c’est un premier pas. Mais je suis une psy qui se méfie des mots ! Donc nous verrons au-delà des effets d’annonce. Encore faudra-t-il que ces décisions aillent dans le bon sens car l’orientation actuelle des politiques de santé fait disparaître les postes publics où sont accueillis les enfants vraiment malades, mais aussi la psychologie clinique, qui seule sait prendre en compte le bien-être des parents et analyser les relations familiales. Ne traiter l’enfant que par des solutions pharmacologiques et des aménagements scolaires me semble indigne, superficiel, inquiétant, et constitue un fort mauvais pari pour l’avenir de ces enfants. »

Angoisses

« Les angoisses des enfants peuvent provenir de nombreuses sources mais les parents ont toujours le pouvoir de constituer un sas de décompression. J’ai entendu 1.000 fois des enfants me dire qu’ils étaient en échec scolaire alors qu’ils avaient 15 de moyenne générale. Et d’autres me dire que tout allait bien à l’école alors qu’ils étaient renvoyés en permanence, avec des moyennes calamiteuses. C’est dire à quel point ce que l’enfant retient, c’est ce que les parents en disent. Le pédiatre Donald Winnicott parlait d’object presenting, qui désigne l’idée que les informations transmises par les adultes ont moins d’impact que la coloration émotionnelle avec laquelle ils parlent aux enfants. »

Soyons heureux Photo Corentin Garault

« Évidemment que rien n’est sur commande et qu’on ne peut imposer une bonne humeur à des parents qui traversent un moment difficile. Mais la bonne humeur du quotidien doit impérativement être poursuivie comme objectif. Ce n’est pas révolutionnaire, mais je dis toujours aux parents “prenez soin de vous, votre bonheur est un bien commun, il retentira sur votre enfant, qui ne souhaite absolument que cela, vous sentir heureux chaque jour. »

1 h 30 d’amour  

« Troquez les conversations sur les notes et les devoirs contre des temps d’échanges agréables ! Essayez d’aller dans cette direction. Cela peut être en cuisinant à côté de lui pendant qu’il regarde un dessin animé, en le prenant sur vos genoux pendant le dîner, en lui lisant une histoire… il s’agit d’1 h 30 de bien-être qui ouvriront naturellement à des occasions de partage et de soutien nécessaires. »

Grands-parents

« Il faut que les grands-parents sachent qu’ils ont un rôle potentiellement magnifique à jouer dans la construction de leurs petits-enfants et de leur avenir, qu’on se souvient toujours de ceux qui nous ont guidés et aimés, et qu’à ce titre ils peuvent donner du sens en transmettant leur sagesse, toutes leurs compétences et leur tendresse.

Ils ont aussi un rôle à jouer dans la formation du recul perceptif, en disant du bien de leurs parents, ou au contraire en s’en moquant tendrement !

Les parents aussi d’ailleurs devraient développer de l’autodérision sur leurs propres défauts ! Ce recul aide les enfants à tout traverser. » 

Propos recueillis par Florence Chédotal