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Октябрь
2024

Pourquoi les commerces ont disparu autour de cette commune de Haute-Loire ?

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À la fin du mois de septembre, une petite page de l’histoire de la Lamothe s’est tournée. Cinq ans après leur installation sur la place du 11-Novembre, Didier Anne et son épouse Brigitte ont servi leur tout dernier couvert à L’Âne gris. Seuls quelques habitués pouvaient encore, en octobre, prendre un café pendant que le couple vidait les lieux pour rejoindre la Vendée. Ainsi, en ce début de saison d’automne, en attendant un repreneur, il n’y a tout simplement plus un seul commerce dit "de proximité" dans ce village de plus de 800 âmes.

Pourtant, il y a une vingtaine d’années encore, le bourg de Lamothe en regorgeait. "Sur l’avenue principale, on avait deux boulangeries. L’une d’elles faisait même épicerie », se souvient le maire Alain Jarlier, habitant depuis 1983. Le cas de cette commune n’est toutefois pas isolé autour de Brioude. Nombreux sont les maires voisins à faire le même constat. "On n’a plus de boulanger depuis des années », note Laurent Philippon, le maire de Paulhac. À Saint-Beauzire, il y a bien un restaurant, « mais il est éloigné du bourg, sinon il n’y a plus rien alors que lorsque j’étais petit, on avait même une épicerie Casino", se rappelle l’édile Alain Marchaud. Sentiment de nostalgie partagé par Jérôme Joussouy au moment d’évoquer la disparition des deux derniers bars-restaurants de Saint-Just-près-Brioude : "En à peine dix ans, tout a fermé."

La crainte de n’être qu’une cité-dortoir

La fermeture de ces commerces, pour diverses raisons (problèmes financiers, départ à la retraite, manque de motivation...), n’a pas été sans conséquence pour ces villages. Chacun des maires interrogés a d’ailleurs pu observer un avant et un après. Ici, lorsqu’un commerce baisse le rideau, ce n’est pas seulement un service qui disparait. C’est aussi le lien social qui se retrouve malmené. L’âme des villages bouleversée. "Sans bar ou restaurant, la vie sociale est aujourd’hui bien trop étroite, résume Jérôme Joussouy. Selon moi, ces moments de partage entre générations ou groupes sociaux sont pourtant vitaux à la vie d’une commune." "Le bourg fait vide sans commerce", abonde Alain Marchaud. 

Pour éviter que les bourgs ne deviennent que des cités-dortoirs, tous cherchent des solutions. Mais ce n’est guère facile. En 2020, dans la foulée de son élection, Jérôme Joussouy avait, par exemple, lancé un projet de reprise du dernier commerce de sa commune. Le coût d’achat de ce bâtiment de 300 m² était d’environ 600.000 €. Sans réel enthousiasme autour de lui, notamment en raison du prix, il avait été contraint de renoncer, avant de préparer un second projet plus modeste.

"C’était trois fois moins grand et trois fois moins cher. On avait le soutien des collectivités locales. On pouvait facilement le financer."

Mais comme le premier, ce projet n’a pas abouti. Il a été rejeté en conseil municipal : six voix contre, quatre pour et une abstention. "Autant pour le premier projet, je pouvais comprendre, mais pour celui-ci, j’ai été quelque peu surpris", admet l’élu avec amertume. À une échelle moindre, ses homologues ont également tenté de faire revivre un commerce (dépôts de pain, distributeurs de pain, petite épicerie) pour la même malheureuse finalité.

Des villages trop proches de Brioude ?

Pour justifier ces tentatives ratées, tous ont leur petite explication. Le maire de Saint-Just-près-Brioude évoque entre autres la géographie de sa commune, composée d’une quarantaine de hameaux espacés de plusieurs minutes en voiture. Mais globalement, tous ont deux arguments à la bouche. D’abord, pour rester dans le cadre géographique : la proximité avec Brioude, le bassin d’emplois. "En fait, il y a déjà tout là-bas", concède Alain Marchaud.

Dans la périphérie de Brioude, certaines communes, comme ici Lamothe, n’ont plus de boulangerie.

Effectivement, la cité Saint-Julien, située à une dizaine de minutes en voiture de chacun de ces villages, regorge de commerces : boulangeries, restaurants, épiceries, centres commerciaux, coiffeurs…

Le maire de Lamothe, Alain Jarlier, fait le parrallèle avec le village de Paulhaguet : "Il y a 800 habitants, comme dans ma commune, et pourtant, il y a plusieurs commerces, dont un Intermarché. La différence ? C’est que Paulhaguet est loin de Brioude et Langeac." Son ancien restaurateur Didier Anne n’est pas exactement du même avis. Au contraire, lui voit la présence de Brioude comme une force d’attrait, avec son important bassin de population et son lycée agricole.

"Mais ça marche surtout pour Lamothe ou les autres villages vraiment à proximité. Pour ce qui est des patelins un peu plus éloignés comme Chaniat ou Azérat, je suis bien plus pessimiste. J’avais d’ailleurs refusé de m’installer à Lavaudieu pour cette raison."

Le second argument se résume en une phrase, que commerçants comme élus ont répété mot pour mot : "Les gens ne jouent pas suffisamment le jeu." Le maire de Saint-Just-près-Brioude prend l’exemple d’un habitant ayant essayé en vain de monter un dépôt de pain dans le bourg. Du côté de Paulhac, l’édile Laurent Philippon évoque le distributeur de pain enlevé à peine quelques mois après son installation parce que seulement une dizaine de pains sur 40 étaient vendus chaque jour. "Mais j’ai du mal à en vouloir aux habitants parce que, comme eux, je prenais mon pain à Brioude", poursuit-il.

Une solution temporaire à Saint-Just-près-Brioude

Si Jérôme Joussouy assure que dans sa commune un commerce pourrait "parfaitement revivre", de manière générale, un sentiment de fatalité se dégage un peu partout... Ses homologues peinent à y croire, comme le maire de Paulhac.

"La société a changé. Les gens achètent sur Internet maintenant. Même Brioude a observé une disparition de plusieurs commerces. Aucune ville n’y échappe vraiment."

Il est rejoint par un commerçant qui a souhaité rester anonyme pour ne heurter personne : "Les gens préfèrent faire la fête chez eux ou chez des amis, plutôt qu’au bar, pour ne pas avoir à rentrer en ayant consommé de l’alcool." À ce sujet, Didier Anne note également la concurrence des fêtes de village, thés dansants et autres buvettes des clubs sportifs qui proposent des prix "sans concurrence".

Alors, en attendant la solution miracle à ce problème, il sera intéressant de suivre le cas de Saint-Just-près-Brioude qui, le temps d’un week-end d’octobre, a su mobiliser tout son village autour de la conservation de la licence IV, en installant un bar éphémère accompagné d’un pizzaïolo itinérant.

Quid de l'alternative itinérante ?

Face aux difficultés à s’installer durablement dans un village, des commerçants font le choix de l’itinérance, comme Nicolas Champain. Depuis 16 ans, à bord de son camion Pizza Nico, il sillonne la Haute-Loire toute la semaine, s’arrêtant notamment à Vieille-Brioude (lundi) et Lamothe (jeudi). « Je vais où on a bien voulu de moi, rigole-t-il. J’ai aussi essayé de m’installer dans des villages où il n’y avait pas de restaurant pour ne pas faire concurrence. » Avec le temps, le pizzaïolo s’est créé une véritable clientèle et ne regrette absolument pas son choix. Pourtant, « ce n’est pas de tout repos. On est souvent sur la route. Il faut être prêt à réaliser de larges amplitudes horaires. Il peut aussi faire très froid, liste le commerçant ambulant. Donc parfois, avec ma conjointe, on aimerait bien trouver un vrai local. Mais ça a aussi ses avantages, comme la capacité à viser précisément sa clientèle. » 

À bord de son camion ambulant intitulé Pizza Nico, Nicolas Champain sillonne les villes autour de Brioude depuis plus de 15 ans.

Cependant, du côté des communes, ces restaurants ou épiceries itinérants sont vus comme de simples solutions temporaires. « Même pour les commerces ambulants, c’est compliqué, analyse Alain Marchaud, maire de Saint-Beauzire. Pendant un temps, la boucherie de Blesle dépêchait un camion sur le village, mais elle a fermé récemment. Donc, on n’a plus rien. »

Timothé Soulié