Les forêts de l'Allier en état d'alerte, le dérèglement climatique continue de faire des dégâts
Ballotés par de fortes rafales de vent, les chênes de la forêt de Tronçais encaissent sans broncher, ce 9 octobre, les effets de la dépression Kirk. Un caprice du ciel sans commune mesure avec la menace qui pèse, telle une épée de Damoclès, sur les massifs forestiers de l’Allier.
Depuis six ans, le dérèglement climatique fait son œuvre : « 2018, 2019 et 2020 ont été des années extrêmement sèches dans le département. Les arbres ont subi un stress hydrique jamais recensé », explique Samuel Autissier, directeur de l’agence Berry-Bourbonnais pour l’ONF (Office national des forêts).
« Pour 2024, on ne peut pas donner de réponse définitive mais au vu des éléments, il est probable que cela n’aille pas mieux. En septembre, nous avons relevé des températures au sol pouvant atteindre les 35 degrés. Dans ces conditions, la forêt réagit forcément. » Et parmi les géants qui peuplent les massifs, certains ne s’en relèvent pas. « Ce sont les plus vieux qui partent les premiers. »
Stress hydriqueBottes aux pieds, Samuel Autissier, accompagné de plusieurs agents de l’ONF, emmène au Rond de Tronçais. « Regardez là-bas, vous avez un arbre mort. » Ils sont des milliers chaque année à subir le même sort. Car les sols de l’Allier ont une particularité, explique Eric Servin, adjoint à la directrice de l’ONF Centre-Ouest-Aquitaine, ils retiennent l’eau en hiver, ce qui peut entraîner des problèmes d’aération des racines, et ils ne parviennent pas à retenir l’eau en été, ce qui accélère le phénomène d’assèchement. » Et Samuel Autissier d’ajouter : « Avant, nos arbres étaient habitués à l’opulence ».
Samuel Autissier, directeur de l'agence Berry-Bourbonnais pour l'ONF.Victimes du dérèglement climatique, ceux qui ne parviennent pas à survivre ne sont pas forcément tous évacués de la forêt de Tronçais. « Ils n’ont plus de valeur économique, certes, mais ils possèdent une valeur patrimoniale. Ces arbres peuvent en effet servir d’habitat pour des champignons ou des chauves-souris », indique le directeur de l’agence Berry-Bourbonnais pour l’ONF. Chaque année, 1.500 chênes sont ainsi recensés et conservés au titre de la biodiversité.
Un classement des arbresPour les survivants, l’ONF dispose d’outils pour évaluer les dégâts et ainsi mieux contrer les effets du dépérissement de ces massifs. Car il y a urgence. Johanne Perthuisot, directrice territoriale de l’ONF Centre-Ouest-Aquitaine, en convient parfaitement. « Notre objectif, c’est que demain, nous puissions tout mettre en œuvre pour que la forêt soit encore là et qu’elle soit plus durable. Nous avons pris le parti de ne pas attendre et de voir comment la situation allait évoluer parce qu’on pense que ne pas agir est la pire des solutions. »
Dans la boîte à outils de l’ONF figure, entre autres, le protocole Deperis. Mis en place avec le Département santé des forêts (DSF), il permet de recenser et de noter les arbres de A à F selon leur état de forme, F étant l’arbre mort. Un diagnostic rendu possible grâce à des drones, instruments idoines pour visualiser les houppiers dépérissants. Des images vues du ciel qui dressent un tableau inquiétant de la situation.
De nouvelles espècesÀ l’heure actuelle, plus de la moitié du peuplement forestier dans le département de l’Allier est dégradé, voire très dégradé. Pour contrer les effets dévastateurs du changement climatique, l’ONF a créé des îlots d’avenir. Dans ces parcelles, de nouvelles espèces susceptibles de résister davantage à la sécheresse sont plantées et testées. « Nous avons notamment planté du chêne vert très présent sur la côte atlantique ainsi que du chêne pubescent et nous allons observer leur capacité à s’adapter au contexte local », explique Samuel Autissier. Un laboratoire grandeur nature où se joue une partie de l’avenir de la forêt de Tronçais car « il faut intégrer, qu’aujourd’hui, la régénération naturelle ne suffit plus ».
Un travail de longue haleine nécessaire car l’enjeu est aussi économique. Reconnu pour son grain extra-fin, le chêne de Tronçais est façonné par les fabricants de tonneaux et de barriques dans lesquels les grands crus du monde entier exprimeront tout leur potentiel.
L’implantation de nouvelles espèces peut-elle modifier la qualité du produit utilisé par les tonneliers ? « Nous faisons actuellement des tests sur le chêne pubescent pour savoir s’il possède les caractéristiques adéquates pour satisfaire la filière. Nous faisons ces tests avec des tonneliers car c’est important de travailler avec les transformateurs pour s’assurer que la forêt gardera sa vocation économique », répond Johanne Perthuisot.
Martial Delecluse