ru24.pro
World News in French
Октябрь
2024
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26
27
28
29
30
31

Christophe Lollichon, une source inépuisable d’anecdotes, d’histoires, de souvenirs

0

Christophe Lollichon, une source inépuisable d’anecdotes, d’histoires, de souvenirs. S’il raconte souvent son vécu football, aujourd’hui, c’est sa personne qui nous intéresse particulièrement.

Si tu pouvais remonter le temps et te parler à tes débuts dans le football, quels conseils te donnerais-tu sur ta vie et ta carrière ?

C.L. : "Il y a une chose que je ne critiquerais pas, c'est la passion que j'ai pour le football, une passion qui n'a jamais changé depuis l'âge de 8 ans. Cette passion s'est professionnalisée avec le temps, mais elle est restée intacte. Si je devais me donner un conseil, ce serait d'être plus patient. Il m'est arrivé de vouloir précipiter les choses et de me heurter à des obstacles, mais dans l'ensemble, j'ai quasiment toujours atteint mes objectifs, que ce soit en tant qu'entraîneur ou en tant que joueur.

Si je reviens au football, un autre reproche que je pourrais me faire lorsque j’étais joueur, même si ce n’est pas vraiment de ma faute, c'est un manque d'explosivité. J'avais une bonne lecture de jeu en tant que gardien, mais je n'étais pas assez rapide. J'avais de l'endurance, mais je manquais de cette explosivité qui fait la différence. Cela a joué contre moi quand je n'ai pas été pris au centre de formation du FC Nantes. Ils hésitaient entre moi et un autre gardien, qui était déjà international. Ce manque d'explosivité a pesé dans la balance.

Un autre conseil que je me donnerais, et je peux le dire aujourd'hui avec du recul, c’eut été d’être plus réceptif et de prendre plus de notes lors de mon passage à Nantes. J'ai eu la chance d'apprendre aux côtés de personnes exceptionnelles comme Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix. Ce sont mes mentors. Ils m'ont tout appris, pas seulement sur les gardiens, mais sur le jeu en général, sur ses finesses. Je buvais leurs paroles que ce soit lors des entrainements ou dans le bureau à l’époque déjà « open space » que nous utilisions. Mais j’ai l’impression que quelques détails se sont estompés. Je regrette de ne pas avoir noté des mots clés, des notions. Ces douze ans passés au FC Nantes, m’ont beaucoup servi dans mon approche du jeu en général, mais aussi dans ma méthodologie auprès des gardiens. Peut-être qu’à l’époque, je n’ai pas eu la lucidité d’écrire cette transmission inégalable en termes de richesse.

Quant à d'autres conseils sur les années qui ont suivi, que ce soit à Rennes ou à Chelsea, je pense avoir bien profité de chaque moment. Bien sûr, j'ai fait des erreurs mais rien qui ne suscite des regrets amers. J'ai la chance de vivre de ma passion, et j'en profite pleinement. Je me suis rendu compte, petit à petit, de la chance que j’ai d'évoluer dans cet environnement, surtout sans avoir été joueur professionnel."

Et donc, tu as commencé le foot à huit ans, est-ce que tu as pratiqué d’autres sports avant ? Comment tu en es venu à choisir le football ?

C.L. : "J'avais huit ans quand mes parents ont quitté la ville de Nantes pour s’installer à 30 km au nord, à la campagne. C'est à ce moment-là que j'ai commencé le foot, ce qu’on appelait à l’époque les "poussins première année". Dès le départ, j’ai su que je voulais être gardien, je réclamais déjà des gants ! Ensuite, j’ai touché un peu à d’autres sports comme le volleyball et le tennis de table. Le sport était mon activité extrascolaire principale. À l’époque, on n’avait pas autant de matchs à la télé qu’aujourd’hui, mais je me souviens aller voir des matchs, j’avais les albums Panini, et je connaissais tous les joueurs comme la plupart des gamins de cette époque-là, même s’il n’y avait pas encore internet."

Est-ce que ces autres sports te plaisaient vraiment, ou est-ce que tu les pratiquais pour t’améliorer dans le foot ?

C.L. :"Inconsciemment, oui, c'était lié au foot. Par exemple, le tennis de table travaillait mes réflexes, le haut du corps, la rapidité des appuis. Le volley, lui, m’aidait pour la détente, les petits déplacements. Et puis, le tennis, que je pratiquais souvent avec ma petite sœur qui était championne régionale, m’aidait pour les déplacements, qui sont assez proches de ceux d’un gardien. D’ailleurs, quand j’allais à Londres pour voir le Masters, je me souviens avoir beaucoup observé Nikolay Davydenko. Il avait un jeu de jambes exceptionnel, c’était fascinant à voir, je le filmais même parfois pour analyser ses déplacements."

On dirait que tu as toujours été entouré de sports, que ce soit pour le plaisir ou pour t’améliorer dans le foot…

C.L. : "Oui, j’ai toujours aimé tous les sports. Quand je lis L’Équipe, c’est de la première à la dernière page. Pourquoi ? Parce qu’il y a toujours des interviews d’entraîneurs, d’athlètes quelque que soit le sport, des directeurs d’équipe, et il y a souvent quelque chose d’intéressant sur le management, la gestion de la pression, la résilience des athlètes. J’y trouve régulièrement un petit quelque chose que je notais déjà à l’époque, des idées sur l’approche d’une compétition ou d’un entraînement et en général de la vie d’un professionnel."

Et tu notes encore aujourd'hui ?

C.L. : "Non, je note moins qu’avant, parce que je lis toujours régulièrement ce journal. Je pense avoir cumulé suffisamment d’informations au fil du temps. Il m’arrive parfois, pendant les déplacements, de relire ces notes toutes écrites à la main. C’est aussi ce qui explique sans doute ma façon de préparer mes séances d’entraînement. Je fais tout à la main, à l’ancienne, avec un crayon à papier et mes Bic 4 couleurs.

J’utilise beaucoup d’abréviations, des codes couleurs pour différentes sources de balle, trajectoires, etc. C’est vrai que, parfois, quand je regarde ces notes, je me dis : ‘Wow, c’est sympa à voir’. Avant, je recopiais aussi mes séances d’entraînement avec beaucoup de soin, toutes détaillées avec des légendes, et j’ai accumulé des semaines d’exercices comme ça. Je ne recopie plus souvent mes séances comme avant car j’essaie d’être plus pragmatique et de soigner la 1ere retranscription de mes brouillons.

Un jour, je me suis dit que, quand j'arrêterai et que j'aurai plus de temps, je reprendrais tout ça. En 40 ans, j’ai accumulé des classeurs, certains sont même peut-être perdus. J'avais pensé à en faire un livre, mais on n’est plus vraiment à l’époque des livres, c’est plus la vidéo, aujourd’hui. Il me faudrait quelqu’un capable de rendre tout ça très synthétique, parce que c'est mon gros problème, je mets trop de détails.

D’ailleurs, je me souviens, au début des années 90, j’avais commencé à classer mes exercices de Nantes par catégories : poussins, pupilles, minimes, et pros, et tout était organisé. J'avais déjà entre 950 et 980 exercices différents. Aujourd’hui, après tant d'années, je pense en avoir entre 3 000 et 4 000 dans des classeurs."

Comment dirais-tu qu'il fonctionne ton cerveau ?

C.L. : "Alors déjà, il n'est pas rapide. Je suis quelqu'un de laborieux, vraiment. Je suis aussi perfectionniste. Par exemple, l'exercice que j'ai fait avec les gardiens mercredi matin, je ne l'avais jamais fait avant. Je l'ai créé le matin même, et ça s'est très bien passé. Les gardiens se sont approprié l’objectif de la séance. Cet exercice va être sujet à des variantes lors de prochains entrainements. Et pour répondre à ta question, mon cerveau, comment il fonctionne... C'est une question assez ambiguë. Parce que, franchement, là-haut, ce n'est pas simple. Je fonctionne en définissant un objectif clair. Je sais où je veux aller. Et même si j'ai plein d'informations enregistrées dans ma tête, je ne vais utiliser qu’une partie de celle-ci, afin d’adapter au mieux l’entrainement par rapport aux besoins et à la compétition.

Personnellement, j'ai toujours ma feuille blanche, mon cahier de préparation d’exercices, et là je commence à réfléchir. Je pense aux futurs adversaires, aux gardiens avec qui je travaille, à l’animation travaillée par le coach (Luis Castro). Je me nourris de cela pour faire en sorte que l’entrainement soit le plus efficace possible et pour aborder la compétition dans les meilleures conditions. Donc ça se fait par petites touches. Je griffonne, je fais des croquis. Quand je prépare une séance, il me faut souvent deux pages A4 pleines de dessins, d'idées. C’est un long cheminement.

L’observation de l’équipe adverse joue aussi un rôle important. Par exemple, si je remarque qu’ils privilégient le premier poteau sur les situations aériennes, je ne vais pas tout baser là-dessus, mais je vais sensibiliser les gardiens sur cet aspect. Le plus difficile pour moi, c’est l’échauffement. Je ne fais jamais deux échauffements identiques. Je pense que j'ai autant d'échauffements différents sur papier que d'entraînements effectués en 40 ans. C’est peut-être la partie la plus pénible à préparer pour moi, parce que je souhaite qu’à chaque fois, en plus de l’échauffement à proprement parler, les gardiens se connectent mentalement en même temps que se préparer physiquement.

Je me lève tôt, vers 5h30 ou 6h. Il faut que le jus de citron soit bu, qu’un café suive, et que ma vapote fonctionne à côté. Et il y a des jours où ça ne vient pas facilement, où je bloque, parfois sur un détail. A ce moment-là, je mets de côté et je passe à autre chose. Et parfois, comme ce matin, ça a déroulé sous la mine de mon stylo, même si les détails étaient importants et que ma fiche m’était indispensable sur le terrain afin de ne rien oublier.

Donc, en gros, mon fonctionnement, c’est de toujours avoir un objectif, et ensuite laisser les idées venir. Après, c’est portes ouvertes."

Dans ta vie perso, tu te considères comme ça aussi ? Ou tu es différent ? Est-ce qu'il y a deux Christophe ? Le Christophe pro et le Christophe perso ?

C.L. : "C’est intéressant, parce que je pense que dans ma vie perso, je suis aussi assez alambiqué. Je suis perfectionniste, oui, mais pas au point d’être agaçant, je crois. Je me pose toujours des questions, j’observe beaucoup les gens. Souvent, je me dis : ‘Pourquoi il fait ça comme ça ?’ C’est parfois sur des détails, des petites choses. Ça ne me ronge pas, mais ça m’interpelle. Par exemple, les gens qui sont au téléphone à table, je ne supporte pas ça. Je suis peut-être trop dans le détail, oui.

Familièrement parlant, je peux être un peu chiant parfois, mais c’est toujours dans un but constructif, pas pour embêter les autres. Ce que j’aime faire, je le fais avec passion, toujours avec ce côté perfectionniste. Par contre, quand je n’aime pas faire quelque chose, je procrastine. L’administratif, par exemple, c’est une vraie catastrophe avec moi. Tout ce qui ne m’intéresse pas, je le met de côté.

J’ai besoin d’émotions dans ma vie. J’ai besoin de ressentir des choses. Si je ne ressens rien, je m’ennuie. Ma vie doit être remplie d’émotions. En fait, je n’ai pas envie de m’ennuyer."

Parle-moi des moments marquants ou des grandes émotions dans ta vie.

C.L. : "Il y en a eu plein. La naissance de mes enfants, bien sûr. C’est une émotion immense, incomparable. Mais il y a aussi des moments dans ma carrière qui m’ont profondément marqué. Par exemple, quand le FC Nantes m’a proposé, à 23 ans, de mettre en place une des premières écoles de gardiens en France. C’étaient ces deux personnes dont je t’ai parlé, Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix, qui m’ont demandé ça. Ils m’ont dit une phrase qui m’a marqué à vie : ‘On sait d’où tu viens, on a appris à bien te connaître, tu as le droit à l’erreur, et on sera là pour t’accompagner.’ Tu te rends compte de ce que ça signifie ? C’est énorme. Ça m’est resté en tête, comme un guide.

Une autre émotion forte, mais plutôt touristique cette fois, c’est Petra, en Jordanie. Ce n’est pas une révélation, mais un choc émotionnel de voir un endroit pareil. C’était incroyable.

La finale de Ligue des Champions, ça aussi, c’est une émotion particulière, rare. Puis il y a des émotions d’entraînement, notamment avec Petr Čech, mais pas que lui bien sûr. Tous les deux, on avait une relation où on se comprenait quasiment en se regardant. C’est quelque chose de très fort, c’est pour ça que je parle souvent d’une ‘histoire d’amour professionnelle.’

Il y a aussi des émotions devant des choses simples. Par exemple, il y a un an, je me suis arrêté devant la cathédrale de Rouen avec ma fille Salomé. Il y avait cette lumière incroyable qui descendait sur la cathédrale, et mes yeux se sont humidifiés. Je pensais à tout ce qu’il a fallu pour créer un monument aussi exceptionnel, et ça m’a ému. Ce genre de moment, ça te touche, tu vois ?

Je peux aussi être très sensible sur certains sujets. Par exemple, je ne supporte pas qu’on fasse du mal à un enfant. C’est insupportable pour moi. Je ne peux même pas regarder un film où il se passe des choses terribles sur des enfants. Un film, L’arbre de Noël avec Bourvil, ça m’a complètement retourné. Il faut que tu le regardes, mais prépare-toi émotionnellement, c’est très fort. Je ne sais pas comment on peut rester insensible à ce film, il est bouleversant.

J’adore ressentir des émotions, en espérant qu’elles soient les plus positives possible. C’est ce qui fait vibrer, en fait."

Tu crois au coup de foudre, qu'il soit amoureux, amical ou professionnel ?

C.L. : "Oui, bien sûr, j'y crois complètement. Amoureux, c'est évident, je pense que ça peut arriver. Il y a des rencontres, tu sais tout de suite que quelque chose de spécial est en train de se passer. C’est une évidence, presque une fulgurance.

Pour les amitiés, c’est pareil. J’ai beaucoup de copains, mais des amis très proches, il y en a peu. Et parfois, ces amitiés naissent presque instantanément, comme un coup de foudre amical. Tu rencontres quelqu’un, et il y a cette connexion immédiate, une compréhension mutuelle qui s’installe sans effort. C’est rare, mais quand ça arrive, ça devient des relations très fortes et durables.

Même au niveau professionnel, ça peut arriver. Il y a des collaborations qui se mettent en place naturellement, où tu sens tout de suite que l’on va bien travailler ensemble."

Mais est-ce que tu crois au destin ? Qu'il y a finalement une histoire pour nous qui est un peu écrite ?

C.L. : "À cause de certaines rencontres, je pense que oui. Il y a des moments dans la vie où tu te dis que ça ne peut pas être une simple coïncidence. Il y a des choses qui arrivent, des rencontres qui se font, des chemins qui se croisent de manière tellement inattendue que ça semble écrit quelque part. J’ai toujours été très curieux et ouvert, même sur des sujets un peu ésotériques. J’ai vécu des choses qui m’ont profondément marqué, même si parfois ça ne se passe pas toujours comme prévu. Mais certaines expériences sont très surprenantes, presque troublantes.

Je vais te raconter une histoire qui m’a profondément marqué. J'ai croisé Jean-Paul II à 1m50 de moi. J'avais 17 ans, et mon père, qui était négociant en cartes postales anciennes, voulait lancer une série de cartes événementielles locales. Le pape venait à Lisieux, et mon père voulait absolument capturer ce moment. On a fait appel à un photographe professionnel, mais moi, je voulais être là, prendre mes propres photos.

Je me suis débrouillé pour me fabriquer une fausse carte de presse, avec du rouge à lèvres de ma mère pour tracer deux barres rouges sur ma carte d’étudiant. On est arrivés là-bas, mais évidemment, la sécurité a vite remarqué que ma carte était fausse. Ils m’ont dit gentiment de partir, mais j’étais déterminé. J’ai fait le tour de la Basilique et j’ai trouvé un portail sans surveillance. J’ai escaladé, avec deux appareils photo sur moi. Une fois dedans, je me suis faufilé parmi les photographes, sans déranger personne.

Le pape est passé à côté de moi, à seulement 1m50, et à ce moment-là, j’ai croisé son regard. C'était incroyable, comme une déflagration. Pendant une fraction de seconde, j’ai eu l’impression d’être subjugué, que le temps s’était arrêté. J’ai reçu une énergie, quelque chose de puissant, et je ne peux toujours pas expliquer ce que c'était. Ce regard m’a marqué profondément. Finalement, on a fait une série de 12 cartes postales, et mon père a eu la gentillesse de prendre une de mes photos. Ça, c’était une émotion incroyable.

Donc, quand des choses comme ça arrive, tu te dis que peut-être, certaines parties de notre vie sont écrites d’avance."

T'aurais bien aimé être photographe ?

C.L. : "J'ai fait pas mal de photos, c'était quelque chose qui me passionnait à une époque. J’avais mon propre laboratoire photo chez mes parents, c’était fascinant. Tu te retrouvais avec tes trois bassines : le révélateur, le fixateur, et le rinçage, et puis tu voyais l'image apparaître petit à petit, c'était presque magique. J’adorais ça. Je faisais des photos un peu folles, j’avais des copains qui se prêtaient à mes idées. Par exemple, je leur demandais de faire des choses un peu théâtrales, comme faire semblant d’être morts sur une voie ferrée, ou de poser des mains dans des cadres étranges. Je photographiais tout ça.

Ce que j'aimais prendre en photo ? C'était surtout des gens, souvent dans des environnements naturels. J’essayais toujours d’y intégrer une personne, ou même une partie du corps, pour donner une dimension humaine à la scène. J’aimais aussi beaucoup jouer avec les ombres. Mon oncle, qui était un artiste incroyable, m’a beaucoup influencé. C’était un autodidacte, il a appris à jouer du piano tout seul, il a sculpté un Christ de 1m80 pour une église... Il est incroyablement doué. C’est lui qui m’a initié à la photographie.

J'avais commencé avec un appareil Zenith, entièrement manuel. Il fallait tout régler toi-même : la sensibilité, l’exposition... rien n'était automatique, donc tu devais vraiment comprendre la mécanique de la lumière. J’avais un petit labo chez moi, vraiment au premier prix, mais j'adorais ça. Je me baladais souvent avec mon appareil, je cliquais au hasard, et parfois, tu te retrouvais avec une photo que tu n’avais même pas anticipée, une sorte de "photo sauvage".

Je faisais beaucoup de noir et blanc, parce que la couleur coûtait trop cher à développer à l’époque. Le noir et blanc, c'était parfait pour jouer avec les contrastes et les ombres, et ça donnait une intensité particulière aux images."

Est-ce qu'il y a ce rapport aux souvenirs avec la photo ?

C.L. : "Oui, complètement. J'adorais les moments où, lors des réunions familiales, on se réunissait pour regarder des diapositives. C'était un moment génial. On se posait ensemble, et on projetait les photos de vacances, des événements passés. C'était un peu un rituel. J'ai eu la chance de passer des vacances familiales fantastiques avec mes grands-parents, et mon père avait des caméras à un moment donné. Dix, quinze ans après, on regardait les films et c’était juste magique de revivre ces moments.

Mais surtout, les photos, c'était vraiment spécial. Se revoir, observer l’évolution des gens, c’était quelque chose que j’adorais. Il y a des gens qui ont pris des photos d’eux-mêmes au même endroit pendant plus de 30 ans. J’aurais adoré faire ça, et je regrette vraiment de ne pas l’avoir fait. Je regrette surtout de ne pas avoir pris plus de photos de mes parents.

À l'époque de l'appareil photo, c’était différent. Je trouve qu’il y avait un cachet particulier dans les photos qu’on prenait avec un appareil, contrairement aux téléphones. Les souvenirs avaient une autre texture, une autre dimension. C'était un vrai témoignage. Mon père, qui était négociant en cartes postales anciennes, accordait beaucoup d'importance aux témoignages visuels. Et ça a sans doute influencé ma relation avec la photographie. Elle est liée aux souvenirs, à ce que l’on veut préserver pour l’avenir."

Tu regrettes un peu l'époque dans laquelle on vit aujourd'hui ? Un peu comme si c'était mieux avant ?

C.L. : "Oui, il y a des choses que je regrette. On a l'impression d'être libres, mais je pense qu'on l'est de moins en moins, surtout quand on a l’impression d’être surveillés. Je pense qu’on ne mesure pas suffisamment le côté intrusif des réseaux sociaux, c'est terrible. Par exemple, aujourd'hui, il y a des choses qu'on n'ose plus dire, alors qu'elles étaient tout à fait acceptables dans les années 70 ou 80. Je pense aux humoristes, qui pouvaient être d'une férocité incroyable à l'époque. Maintenant, on prend des risques en exprimant certaines opinions, et ça, c'est un énorme regret.

Il y avait une liberté qui permettait de s'exprimer sans craindre qu'un mot soit repris par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux. Dans certains domaines, je trouve que la vie était plus sympa avant. Mais en même temps, cette évolution nous oblige à réfléchir davantage avant de parler. Je fais très attention à ce que je dis, d’autant plus qu’en intervenant dans les médias (Canal+), il est préférable d’être sûr que 90 % des gens comprennent la même chose. Si 10 % ne comprennent pas, ce n'est pas grave, mais on perd beaucoup de spontanéité. On n'ose plus s'exprimer comme avant.

D'un autre côté, il y a des aspects positifs. Ça nous pousse à argumenter, à prouver nos points de vue. Cependant, il y a aussi ceux qui ne comprennent pas. Et puis, quand on parle des photos, je me demande si les gens en vacances voient vraiment ce qu'ils vivent. Souvent, ils regardent tout à travers leur téléphone. Il est important de profiter du moment et de vivre l'émotion. L'essentiel, c'est de vivre l’instant. »

Tu observes beaucoup ?

C.L. : "Oui, j'adore observer, comme dans le métro par exemple. C'est fascinant de regarder les gens autour de moi. Je me demande souvent ce qu'ils font, où ils vont. Il y a tant de choses à découvrir sur les comportements humains. J'aime essayer de comprendre les motivations des gens. Par exemple, je vois des personnes âgées seules dans le métro et je me demande ce qu'elles ressentent. Je me pose des questions comme : 'Vous êtes seule, madame ?' C'est cette curiosité qui me pousse à observer. Chaque rencontre, même éphémère, peut être une source d'apprentissage. Les petits détails de la vie quotidienne me fascinent, et j'essaie toujours de saisir l'essence de ces moments."

Tu penses que dans une société qui est en constante évolution, l'humain a peur du changement ?

C.L. : "Oui, je pense que l'humain a souvent peur du changement, sauf s'il y trouve un intérêt personnel. Malheureusement, il y a beaucoup d’égoïsme dans la vie d’aujourd’hui. Ce qui peut créer une résistance, c'est la crainte que ces changements impactent ses propres intérêts. Il y a des changements qui effraient parce qu'ils bousculent les habitudes, et font craindre l’inconfortable. De plus, nous vivons dans un monde où les évolutions sont parfois extrêmes. Tout le monde n'a pas eu la chance de se familiariser avec ces évolutions ou d'avoir la sensibilité nécessaire pour réfléchir à leur impact. Cela crée des groupes qui se forment, comme des troupeaux, où les gens suivent sans vraiment comprendre. La peur de l'inconnu peut donc conduire à une certaine paralysie et à une résistance face aux changements qui pourraient pourtant être bénéfiques."

Comment tu te protèges de la manipulation ?

C.L. : "Je pense qu'il est important de rester vigilant face à la manipulation, et pour cela, je lis des médias divers comme L'Humanité, Le Canard Enchaîné, Le Point et L'Express. Bien sûr, on est tous influencés par notre propre vécu et notre environnement. Aujourd'hui, j'essaie d'apprendre à réagir avec précaution, en me donnant le temps. Mais je ne peux pas prétendre ne pas être manipulé. On l’est tous. J'essaie de garder une certaine distance en lisant et en m'informant. J'adore aussi être dans des situations où je ne connais pas grand monde, car cela me permet d'avoir des échanges différents, même si cela implique d'être parfois en désaccord avec les autres, ou de provoquer ce désaccord. Pour moi, c'est un jeu qui peut être riche.

Finalement, je réalise que tout cela est lié à la nature humaine. Il y a le bon et le mauvais côté, et à ce stade de ma vie, je préfère éviter de me perdre dans des interactions qui ne m'apporteront rien, surtout avec ceux qui ne cherchent qu'à créer des conflits."

Cet article Christophe Lollichon, une source inépuisable d’anecdotes, d’histoires, de souvenirs est apparu en premier sur USL Dunkerque.