Tricots Saint-James, le savoir-faire français à la sauce marinière
Il est de ces entreprises qui résistent à tout : Tricots Saint-James, labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), en fait partie. Alors que le marché de l'habillement français continue de subir la crise de plein fouet - 1 130 défaillances enregistrées en 2023 selon le cabinet Altares, un bond de 51 % en un an, pour 37 000 emplois supprimés au cours des dix dernières années - l'entreprise de la Manche, située à quelques kilomètres du Mont-Saint-Michel, continue de battre son plein. A la tête de l'entreprise, Luc Lesénécal, qui suit en ce moment l'Accélérateur Mode & Luxe proposé par Bpifrance. " Je suis un habitué du Big. C'est un événement qui est devenu incontournable et qui amène beaucoup de valeurs, tant aux participants qu'aux intervenants. C'est tellement dense qu'une seule journée ne suffit presque pas ! ", livre avec enthousiasme le dirigeant de Saint-James au micro de Big média lors de son passage à Big 10, à l'Accor Arena de Paris, le 10 octobre dernier.
L'ancien directeur adjoint de la coopérative laitière Isigny Sainte-Mère, autre emblème de la région normande, a pris les rênes de la célèbre maison de tricots en 2012. " J'étais déjà dans mon élément d'entrepreneur. Mais je souhaitais m'engager dans un projet plus personnel et relever un nouveau challenge, confie-t-il. J'aime à dire que la marinière et le pull marin sont à Saint-James ce que sont le beurre et la crème sont à Isigny : ce sont des produits d'excellence dont les noms résonnent dans le coeur du consommateur. Ce qui m'intéresse, ce sont les entreprises avec une histoire, un savoir-faire et une vision internationale. " En prenant la tête de l'entreprise, Luc Lesénécal, s'est ainsi donné pour mission de diffuser ce savoir-faire à travers le monde. " C'est par exemple la fixation du col du pull à son corps, maille par maille, détaille-t-il. Cette opération, le remaillage, nécessite 18 mois de formation pour une couturière. " Un savoir-faire avant tout humain que le dirigeant place au coeur de la philosophie de Saint-James.
Mode durable : les engagements humains et environnementaux de Saint-JamesVous n'avez peut-être pas entendu parler de Saint-James, mais vous avez forcément l'image en tête de ses produits vestimentaires, incarnation par excellence de l'art de vivre à la française, à l'image de ses pulls marins, marinières et cabans. " 70 % de notre activité sont consacrés à ces trois produits iconiques ", confie Luc Lesénécal, précisant que ces derniers sont, encore à ce jour, entièrement fabriqués au sein des ateliers de Saint-James. Une histoire qui, pour rappel, a vu le jour en 1850 lorsque Léon Legallais, maire de la petite bourgade éponyme, fonde une première filature de tissage et teinte de la laine locale, avant de lancer quelques décennies plus tard le commerce de chandail marin. Malgré le succès international de la marque - plus de 5 millions de marinières vendues à l'international au cours des dix dernières années, précise Luc Lesénécal - celle-ci a su préserver son ancrage territorial et son identité. " Quand j'ai rejoint l'entreprise, je me suis fait la promesse de mettre en avant le savoir-faire humain et de le faire rayonner ", souligne le dirigeant. Un engagement qui passe, entre autres, par une attention redoublée au bien-être des collaborateurs : outre de nouveaux bureaux, les quelque 400 salariés et détenteurs de l'entreprise bénéficient par exemple de la moitié des vacances scolaires, ainsi que de tous les ponts. " C'est notre manière de faire grandir ensemble l'entreprise ; chacun avec ses besoins. " En termes d'engagement environnemental, l'entreprise encourage ses équipes à recourir à des mobilités douces : à cet effet, le dirigeant annonce avoir réhabilité un ancien hangar en abri à vélo idéalement situé à proximité des ateliers. " Toutes nos boutiques sont équipées de panneaux isolants phoniques et thermiques réalisés grâce à la récupération de nos déchets de laine ", ajoute le dirigeant. Des mesures qui contribuent ainsi à la vitalité de l'ETI normande.
Une entreprise exportant aussi bien ses produits que ses valeursAujourd'hui, les amateurs de marinières Saint-James peuvent aisément trouver leur bonheur dans les 500 points de vente que la marque détient en France. " Nous avons un lien direct avec nos boutiques. Tout part de chez nous pour aller directement sur chaque point de vente ", précise Luc Lesénécal. Une recette que l'entreprise applique également à l'export, qui représente aujourd'hui environ 40 % de son activité. " Nous avons un grand enjeu sur l'export, confirme l'ancien cadre d'Isigny Sainte-Mère. Ça ne s'improvise pas, c'est une course de longue haleine. Nous avons réalisé une croissance de 60 % dans les douze dernières années. " Un succès qui fait qu'aujourd'hui la marque normande, affichant une santé de fer (60 millions d'euros de CA en 2023), peut se targuer d'être présente non seulement en Europe, mais également sur les marchés nord-américain et asiatique - dont une quinzaine de boutiques rien qu'en Corée du Sud. L'objectif actuel de Saint-James est d'arriver à 50 % de son activité à l'export, mais " sans pour autant négliger la croissance en France ! ", précise d'emblée son PDG. Pour ce faire, Saint-James entend miser une fois de plus sur la qualité de ses produits, plutôt que sur leur coût. " Les entreprises premium comme Saint-James ne seront jamais compétitives par le prix, soutient fermement Luc Lesénécal. La qualité est la résultante d'un savoir-faire. Or les nouveaux consommateurs étrangers sont très sensibles à l'art de vivre à la française. "
Allier savoir-faire et innovationUn art de vivre qui ne va pas non plus sans innovation chez Saint-James. A vrai dire, l'innovation a toujours été au coeur de l'ADN de l'entreprise : la première d'entre elles remonte après tout à 1889, lorsque le fondateur des Filatures de Saint-James a l'idée de concevoir son tout premier vêtement, le chandail marin, destiné à habiller les pêcheurs normands et bretons partis braver les eaux tumultueuses de l'Atlantique Nord. " L'innovation, je la porte sur moi aujourd'hui ", affirme, ni une ni deux, Luc Lésénécal lorsqu'on l'interroge à ce propos. En l'occurrence, le PDG de Saint-James arbore pour l'occasion un pull innovant anti-lacération, né d'une collaboration avec la marque de produits anti-agression Semper Invicta. Fruit de trois ans de recherche, ce pull sera dans un premier temps proposé à l'armée française, révèle-t-il. " L'innovation repose aussi dans le style ou les matières employées " : si Saint-James est depuis toujours spécialisée dans la laine, l'entreprise travaille également à des mélanges inattendus entre différentes matières comme le coton ou le chanvre. " L'innovation passe également par le développement de filières locales, comme celle du lin, dont la Normandie est la première région productrice ", précise l'entrepreneur. Ce sont encore les chutes de laine et de coton recyclés à 94 %, et qui servent par exemple à fabriquer des futons [matelas japonais, ndlr]. Enfin, la marque se réinvente avec des partenariats audacieux. " Nous collaborons également avec d'autres entreprises du patrimoine vivant, comme les Ateliers Tuffery, une entreprise familiale unique, spécialisée dans la fabrication de jeans. " A l'écoute des tendances et de ses clients, Saint-James a également su nouer des collaborations prestigieuses avec des artistes tels qu'Etienne Daho ou Orelsan, originaire de la région. " Ce ne sont jamais des partenariats strictement marketing, mais qui ont du sens, confie Luc Lesénécal. Beaucoup de marques se sont éteintes après le COVID parce qu'elles se contentaient de vendre du rêve. Les stylistes sont quotidiennement au coeur de l'atelier, une vraie synergie opère entre les corps de métiers. "
Transmettre, le mot d'ordre du PDG de Saint-JamesAujourd'hui, un des grands enjeux identifiés par Luc Sénécal est, mis à part l'export, celui de la transmission. " La transmission de l'entreprise, certes, mais pas forcément au niveau capitalistique et surtout au niveau du savoir-faire. " Après tout, depuis qu'il dirige l'entreprise, la moyenne d'âge des clients de Saint-James a rajeunie de dix ans. " On a toujours eu des jeunes qui se faisaient offrir l'authentique pull marin ou une marinière à Noel. On retrouvait ensuite ces clients après 40 ans, quand ils avaient le pouvoir d'achat. " Entre-temps, les mentalités des consommateurs ont évolué et les marques doivent aujourd'hui s'adapter aux nouvelles attentes de cette génération Z, plus exigeante sur les questions sociales et environnementales autour des produits. " Maintenant, concède le PDG de Saint-James, la nouvelle génération des 30-35 ans est spontanément cliente car elle considère la valeur du produit, et non son prix. Consommer moins, mais mieux. On est dans l'air du temps. Nos valeurs ont le vent en poupe. "
Ce rôle de transmission du savoir-faire porté par le chef d'entreprise se reflète également dans sa volonté d'intégrer un Accélérateur Bpifrance. " J'ai voulu que tout le CODIR participe à cette transmission, témoigne Luc Lesénécal. L'accélérateur est un moteur, un vrai tremplin. " Très impliqué dans le programme, le PDG insiste sur la nécessité d'y embarquer ses équipes, notamment lors des sessions de formation conçues spécialement pour les dirigeants. " J'y emmène systématiquement le membre du CODIR concerné. Si c'est un sujet RH, j'emmène ma Directrice des Ressources Humaines avec moi. Au lieu que chacun fasse sa formation dans son coin, tout le monde a un tronc commun, explique-t-il. Le rôle de l'accompagnant est de permettre à l'entrepreneur de prendre du recul. " Un accompagnement que lui-même organise lorsqu'il endosse son rôle de président de l'l'Institut pour les Savoir-Faire Français. " La difficulté de mon métier, c'est la maitrise du temps. Avec qui réfléchissez-vous quand vous êtes dirigeant ? interroge Luc Lésénécal. Personnellement, j'ai besoin d'un miroir qui me transmette mes idées, quelqu'un d'expert et de bienveillant qui vous permet de mieux ''stigmatiser'' votre pensée. " Tricots Saint-James a en quelque sorte trouver le secret de sa longévité dans la transmission, à la fois vers ses propres acteurs comme aux générations futures. " Former, donner envie aux nouvelles générations de nous rejoindre, c'est pour cela qu'on a ouvert l'entreprise aux visites, rappelle le PDG avant de conclure. Nous voulons montrer aux jeunes et à leurs parents que les métiers manuels sont des métiers nobles, dans lesquels on peut faire carrière. Notre savoir-faire est, avant tout, humain. "
Cet article a été publié initialement sur Big Média Tricots Saint-James, le savoir-faire français à la sauce marinière