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Октябрь
2024

Les retraités sont-ils vraiment des privilégiés ?

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Gel pour six mois de leurs pensions et possible, voire probable, révision de la fiscalité les concernant : les retraités se savent visés par la réduction des dépenses publiques. Mais, contrairement à une idée reçue, la plupart ne sont pas des privilégiés.« Le niveau de vie moyen des retraités, observe Anne Lavigne, professeure de sciences économiques à l’université d’Orléans, est à peu près à parité avec celui du reste de la population. Cela ne signifie pas que leur revenu moyen - pension et capital - soit équivalent à celui des actifs, mais seulement qu’il n’est que rarement amoindri par des enfants à charge. À preuve, à catégories socioprofessionnelles égales, les actifs n’en ayant non plus pas ont un revenu supérieur à celui des retraités. »« Reste, poursuit l’économiste, que les revenus des retraités ont structurellement tendance à décrocher dans la mesure où ils sont indexés à la seule inflation alors que ceux des actifs profitent aussi des gains de productivité. »

Promesse faite

La pierre allège toutefois leurs fins de mois. « Près de 75 % des retraités, reprend Anne Lavigne, sont propriétaires de leur logement. C’est une économie substantielle dont la notion de loyer implicite, soit le loyer que les propriétaires se versent à eux-mêmes, donne la mesure. » Pour comparaison, en 2021, 58 % des ménages étaient propriétaires de leur résidence principale.Ce loyer implicite est autant d’économisé pour abonder une solidarité intergénérationnelle qui s’est étirée. « Hier, rappelle la chercheuse, les retraités aidaient surtout leurs enfants. Aujourd’hui, où quatre générations successives voisinent au sein des familles, les retraités âgés de 70 ans ou à peine plus épaulent leurs descendants et leurs ascendants. Ces transferts privés sont aussi essentiels à leurs proches que leur temps l’est aux associations dans lesquelles ils s’investissent nombreux. »Pourquoi les faire contribuer plus ? Tous, du moins : « Passé un certain niveau de revenu, note l’économiste, pourquoi pas ? Mais c’est oublier, d’une part, que la pension de retraite est une promesse faite à l’entrée de la vie active et, d’autre part, qu’un vieux retraité ne peut pas comme un jeune retraité ou a fortiori un actif prendre un emploi d’appoint. Les retraités plus âgés, en raison de carrières plus courtes, sont d’ailleurs plus pauvres que les plus jeunes, notamment les femmes de plus 85 ans qui, à l’époque participaient moins à la vie active, survivent avec la pension de réversion. »

« Il semble, développe-t-elle, cependant plus juste de miser sur le levier fiscal en le faisant peser sur les plus riches que de durcir le système des retraites qui touche alors aussi les plus modestes. Par ailleurs, le recul de l’âge moyen de l’héritage impose de repenser la fiscalité sur les transferts entre vifs. »

Disparités générationnelles

À la retraite, l’important c’est aussi la santé… « L’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé sont en hausse, se félicite Anne Lavigne. La dépendance concerne 10 % des plus 65 ans. Quelques générations font exception, celles nées entre 1941 et 1955 qui ont un taux de mortalité supérieure à tous les âges, à la fois aux générations qui leur succèdent et qui les précèdent. Ces générations paient probablement des comportements à risques : vitesse sur la route, alcool, tabac. »

« La France, pointe, pour sa part, Marion Arnaud, sociologue spécialisée sur la question des retraites, est le deuxième pays de l’OCDE* à avoir le plus faible taux de pauvreté chez les personnes âgées. En outre, ce groupe jouit d’un niveau de vie en moyenne supérieur à l’ensemble des actifs. Mais ces statistiques masquent de grandes disparités, notamment générationnelles. Les générations des Trente Glorieuses, qui ont été socialisées dans le contexte de l’après-guerre, ont certes connu l’expérience de privations dans leur enfance, mais leur vie active se caractérisait par le plein-emploi, des revenus régulièrement revalorisés, l’accès à la protection sociale et notamment à la retraite contributive. Leur pouvoir d’achat rendait possible la constitution d’une protection patrimoniale, c’est-à-dire l’accès à la propriété. Mais, pour cette génération, le rapport à la protection était aussi patriarcal : c’est le mari qui était chef de famille et constituait des droits et l’épouse, considérée comme ayant droit, n’avait souvent pas constitué de droit individuel pour la retraite. »

« La bascule, relève la sociologue, intervient à la charnière des années 1970-1980 avec la dégradation des conditions économiques. La génération de celles et ceux qui ont vécu Mai 68 se caractérise par une individualisation du parcours des femmes qui revendiquent une indépendance nouvelle et sont entrées massivement sur le marché du travail, ce qui a contribué à faire sensiblement augmenter le volume des divorces. Pour les femmes de cette génération qui ont acquis des droits individuels pour la retraite, le niveau des pensions reste faible car fortement impacté par l’empreinte des obligations familiales dans la trajectoire professionnelle.  »

Dégradation du niveau de vie

Et d’insister : « D’un autre côté, le contexte économique marqué par l’augmentation du chômage a impacté les trajectoires en emploi et l’expérience de la précarité dans le parcours de vie est une cause déterminante dans le fait de toucher de plus faibles pensions de retraite. Aujourd’hui, la population des retraités est donc structurellement inégale et marquée par de fortes inégalités de niveaux de vie. On estime que ce sont un tiers de retraités français, soit cinq millions, qui vivent aujourd’hui de pensions mensuelles inférieures ou égales à 1.000 €, dont 74 % de femmes. »Difficile, dès lors, de penser que l’avenir appartient aux retraités et ce, d’autant moins que le temps (économique) joue contre eux. « Les statistiques publiques montrent que le niveau de vie moyen des retraités est déjà en train de diminuer, conclut Marion Arnaud, et le Conseil d’Orientation des Retraites estime qu’il va diminuer régulièrement, jusqu’à passer sous la barre des 90 % du niveau de vie des actifs en 2040. » 

Le mobil-home comme alternative au mal-logement

Une autre cause de l’inégalité des niveaux de vie entre retraités s'explique par la forme corporatiste du système de retraite. « Pour les salariés du privé et des fonctions publiques, conclut la sociologue, l’effort contributif pour la constitution des droits à la retraite est socialisé, ce qui est un facteur de protection face au risque de pauvreté dans la vieillesse. Mais pour les travailleurs indépendants, le rapport à la retraite est historiquement attaché au modèle de la prévoyance individuelle et c’est sous la forme d’une protection patrimoniale que les individus anticipent la vieillesse, notamment par l’accès à la propriété de la résidence principale et, quand ils le peuvent, par des placements locatifs ou des produits financiers. Pour cette population, le montant moyen de la pension contributive est très bas et il a longtemps été inférieur au seuil de pauvreté monétaire. Depuis 2017, les choses évoluent dans la prise en compte des besoins de cette population et les professions indépendantes (hors professions agricoles) ont été rattachées au régime général pour la retraite de base, ce qui a contribué à augmenter le niveau moyen de la pension. »(*) Organisation de coopération et de développement économiques.

Jérôme Pilleyre