Pourquoi les océans en surchauffe deviennent-ils du super carburant pour les ouragans ? On vous explique
Pourquoi ce sujet ? On observe ces dernières années une intensification de la puissance de certaines tempêtes tropicales, que les scientifiques relient au réchauffement des océans. Un phénomène inquiétant à plus d’un titre qu’il ne faut pas sous-estimer.
S’ils se forment à des endroits différents du globe, ouragans, cyclones et typhons désignent un même phénomène météorologique qui prend naissance sur les océans, au niveau des tropiques, là où la température des eaux de surface est la plus chaude. À 26 °C ou plus. Plus désormais… Car si l’atmosphère terrestre ne cesse de battre des records de températures, les océans sont également en train de surchauffer. À une vitesse inégalée.
Le réchauffement des océans : un super carburant« Il y a des bouleversements qui sont à l’œuvre et qui sont constatés par les scientifiques déjà depuis des décennies », explique Carole Saout, océanographe physicienne et fondatrice du média spécialisé Océans connectés.
Elle cite le dernier rapport sur l’état de l’océan de l’observatoire Copernicus (1) qui « reconfirme une augmentation en continu des températures des océans qui se sont considérablement réchauffés avec des courbes de température de surface qui, en 2023 notamment, ont atteint des niveaux assez inédits. Et la tendance se poursuit en 2024 ». Typhon Phanfone approchant du Japon @Vue satellite de la NASA
Un rythme de réchauffement en surface mais désormais aussi, dans les grandes profondeurs, qui « a quasiment doublé depuis 2005 », sur une superficie, souligne la scientifique, qui représente 70 % de la planète. Ce même rapport constate qu'en 2023, « à peu près 22 % des océans du globe ont connu au moins une vague de chaleur extrême, ou sévère ».
Réchauffement des eaux qui coïncide avec celui de l’atmosphère, tout simplement parce que les océans sont en interaction directe et permanente avec elle.
« Les océans sont les piliers du cycle hydrologique sur Terre. Il y a des échanges en continu d’énergie et d’eau sur cette interface air-eau, un cycle permanent entre évaporation, condensation et précipitation »
Et de ce cycle, désormais en déséquilibre, naissent certains monstres, nourris par ce trop-plein de chaleur, d’énergie et d’eau en suspension. Au départ, ce sont de simples clusters d’orages qui se forment sur l’océan, « qui s’agrègent pour devenir une dépression tropicale avec une structure plus organisée. Qui peut ensuite gagner en intensité et devenir un cyclone avec la formation d’un œil et tous les phénomènes qui vont avec, vents extrêmement forts, pressions très basses, élévation du niveau des eaux », explique le climatologue Robert Vautard, chercheur à l’Institut Pierre-Simon Laplace et coprésident du premier groupe de travail du Giec (2).Image satellite de l'ouragan Milton, qui a atteint la catégorie 5 prs des côtes de la Floride en octobre 2024 @Photo Handout/Noaa/AFP
Ce qui va provoquer l’intensification de ces phénomènes, « c’est effectivement la température de l’océan sur sa trajectoire. C’est un peu le fioul du cyclone », confirme le scientifique. « Plus il y a plus de chaleur dans le système, plus il y a d’évaporation et plus il y a d’énergie et d’eau dans l’atmosphère. Au bout d’un moment, cela entraîne des événements extrêmes comme ceux qu’on vient de connaître », abonde Carole Saout.
Des pluies et des vents plus intenses et des phénomènes plus stationnairesCes dernières années, et l’exemple est flagrant ces derniers mois, les scientifiques observent une intensification des cyclones les plus intenses. « Avec le réchauffement climatique, des températures plus élevées – de l’eau et de l’air - vont permettre à des cyclones qui jusqu’alors auraient été modérés de s’intensifier davantage.
« Les résultats du Giec sont très clairs : il y a et il y aura de plus en plus une augmentation de la fréquence des phénomènes les plus intenses, c’est-à-dire des cyclones de catégorie 3, 4, 5 (3) »
Avec une intensité décuplée, leur dangerosité est démultipliée. Le climatologue Michael Mann, de l’Université de Pennsylvanie, confiait récemment à l’AFP « qu’en moyenne, le potentiel destructeur des ouragans avait augmenté de 40 % environ en raison du réchauffement de 1 °C qui avait déjà eu lieu », laissant imaginer quelle ampleur ce potentiel pourrait prendre à mesure que le réchauffement de la planète s’accélère…Lorsqu'elles arrivent sur les terres après avoir traversé des masses d'eau en surchauffe, ces phénomènes amènent avec eux des quantités astronomiques d'eau qui provoquent des précipitations diluviennes @Céline Niel
« Les risques sont augmentés de façon générale. Il y a plein de facteurs qui vont dans ce sens-là, détaille Robert Vautard. D’abord les pluies qui accompagnent ces phénomènes, qui vont être beaucoup plus fortes, plus intenses, parce que l’atmosphère, plus chaude, va contenir plus d’humidité », décuplant les inondations. Ensuite, « l’intensité des vents des cyclones les plus intenses va s’accroître » et enfin, « un troisième phénomène que l’on voit peut-être émerger, c’est le fait qu’on voit que les cyclones se déplacent moins vite », observe le climatologue.
Et de ce caractère plus stationnaire découle logiquement davantage de dégâts. « Sur l’Atlantique, le dernier rapport du Giec notait déjà qu’effectivement, on avait un ralentissement des cyclones. Or, le potentiel destructeur est d’autant plus fort que le cyclone est lent à se déplacer parce que les dommages qui sont créés par la stationnarité sont amplifiés », décrit Robert Vautard. C’est ce caractère-là qui a rendu l’ouragan Helene, qui a frappé le sud-est des États-Unis fin septembre, particulièrement destructeur et meurtrier, laissant plus de 230 morts et 600 disparus dans son sillage.La tempête Klaus s'est abattue sur la France en janvier 2009 @ LOIC VENANCE / AFP
Une tendance à remonter vers le nordLe second constat des scientifiques, c’est la tendance des systèmes, aussi bien des courants jets que du point d’intensité maximale des perturbations, à remonter vers le nord.
« On parle d’une centaine ou de quelques centaines de kilomètres, estime le climatologue. Ce qui laisse ces zones plus au nord dans un calme plus relatif… »
Au point de voir arriver sur nos côtes de puissants ouragans ou typhons comme dans le Golfe du Mexique ou dans le nord-ouest du Pacifique ? « Ce n’est pas interdit, ce n’est pas physiquement impossible », répond Robert Vautard, mais il faudrait que les conditions pour maintenir l’intensité d’un cyclone avec un mécanisme de cœur chaud soient réunies et en Atlantique nord aujourd’hui, ce serait difficile. « Pour le moment en tout cas », d’après le scientifique.Inondation à Epernon, en Eure-et-Loir suite à la depression Kirk le 10 octobre 2024 @ Quentin Reix
Mais on pourra essuyer ce qu’il en reste, parfois de manière très intense et potentiellement destructrice : c’est ce qu’il s’est passé avec Kirk ou encore Leslie la semaine dernière.
« On a eu effectivement un cyclone qui est arrivé déjà très affaibli sur l’Europe parce qu’il a été déstructuré par les courants jets des latitudes tempérées et une température océanique moindre », explique Robert Vautard, mais toujours capable de causer d’importants dégâts et inondations avec des pluies diluviennes.
La Méditerranée, une bombe à retardementSans compter que plus près de nous, la Méditerranée se réchauffe également. Mi-septembre, la tempête Boris a noyé la République tchèque, l’Autriche, la Pologne et la Roumanie sous un déluge sans précédent avec des cumuls de plus de 400 mm en quelques jours.
« Il n’y a aucun doute sur la contribution du changement climatique à cet événement. On a eu cette masse d’air froid qui est arrivée par l’ouest de l’Europe, et qui est passée ensuite sur des eaux par endroits extrêmement chaudes en Méditerranée (parfois supérieures à 28 °C) et en mer Noire pour revenir, par l’est, chargée d’humidité de manière considérable sur l’Europe centrale. »
La semaine dernière, en France, c’est un épisode cévenol hors norme, là aussi alimenté par une Méditerranée en surchauffe, avec des cumuls de pluie dépassant parfois 800 mm, qui s'est déchaîné six départements jusqu’en Ardèche.
Cette intensification des pluies extrêmes, « plus de chaleur, plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère, plus de pluies extrêmes », est l’un des deux visages du changement climatique entre lesquels on oscille rappelle le climatologue, l’autre étant des excès de chaleur et de sécheresse.Bonneval sous les eaux du Loir suite au passage de la dépression Kirk en octobre 2024 @ Quentin Reix
Saturation en chaleur et en CO2, acidification, manque d'oxygène : un système océanique à bout de souffleUn autre danger navigue sur nos océans : l’élévation du niveau des eaux. Plus une eau se réchauffe, plus on va assister à sa dilatation thermique, « comme une casserole d’eau qui bout et qui finit par déborder », illustre l’océanographe Carole Saout. « Ajoutez à cela la fonte des glaciers et des eaux continentales et on connaît les risques d’une élévation du niveau des océans et des mers avec un impact sur plein de zones géographiques, sur les îles, sur les zones littorales. »
Un constat inquiétant s’ajoute aux précédents : en se réchauffant, les océans arrivent à saturation de leur capacité à stocker l’excès de chaleur et l’excès de CO2.
« On sait que des eaux plus chaudes sont moins en capacité de stocker du CO2 et du coup, forcément, on garde dans l’atmosphère du CO2 qui va augmenter à nouveau le réchauffement climatique, on réaccélère en quelque sorte la machine »
Le rapport Copernicus estime aujourd’hui que la masse océanique a stocké « 93 % de l’excès de chaleur dû aux activités humaines (4) » et « entre 25 et 30 % du CO2 » qu’elles émettent.Sur cette photo prise en avril 2024, la biologiste marine Anne Hoggett inspecte des coraux qui ont blanchi et du corail mort sur la Grande barrière de corail au large de l'Australie @ Photo by David Gray/AFP
Jusqu’à présent, les océans étaient de précieux modérateurs du changement climatique, « ils nous ont sauvé la mise en stockant une grande partie des excès de chaleur et de gaz carbonique mais la question que l’on se pose, c’est jusqu’où les océans vont pouvoir jouer ce rôle ? Est-ce qu’à un moment donné, on ne va pas arriver à un point de bascule où ils ne seront plus en capacité d’ingérer ce surplus de chaleur, ce surplus de CO2 qu’on génère dans l’environnement par nos activités humaines », s’inquiète Carole Saout.
« La capacité des océans à réguler le climat de la planète, notamment par les courants qui redistribuent la chaleur de l’Equateur vers les pôles, c’est un échange qui existe depuis la nuit des temps et qui nous permet de vivre sur la Terre », appuie Carole Saout, et qui pourrait être compromis à cause de son réchauffement, provoqué par l’émission de CO2 liée aux activités humaines.
D’autant que leur état de santé se dégrade au fur et à mesure qu’ils jouent ce rôle, et par d’autres déséquilibres qui se surajoutent, notamment les pollutions, avec des conséquences parfois irréversibles sur les écosystèmes marins.La tempête Xynthia a tué 51 personnes en France en 2010@ PHOTO XAVIER LEOTY / AFP
On parle notamment d’acidification des océans, un processus à l’œuvre qui est une conséquence directe du stockage du CO2 : « Plus il y a de CO2 stocké dans l’océan, plus les eaux deviennent acides », explique l’océanographe, ce qui entraîne la mortalité d’espèces comme le corail, les coquillages ou le plancton, ébranlant in fine toute la chaîne alimentaire marine.
Septième des neuf limites planétaires établies par les scientifiques– ces seuils physiques que l’humanité ne doit pas dépasser pour maintenir l’intégrité de notre écosystème et son fonctionnement –, l’acidification des océans est en passe d’être franchie annonçait la communauté scientifique en septembre 2024.Les dégâts laissés pa rl'ouragan Milton en Floride @CHANDAN KHANNA / AFP
Avec le réchauffement des eaux, l’oxygène se fait également plus rare avec là encore un impact immense pour les écosystèmes marins. Les espèces qui peuvent se déplacer, migrer, peuvent parvenir à s’adapter dans des zones nouvelles mais les autres seront vouées… à disparaître.
« Forcément avec le réchauffement de nos océans, il y aura des pertes de biodiversité, des pertes du vivant et sans doute déjà aussi des pertes humaines »
Stoppez les émissions de CO2 : seule solution pour enrayer l’intensificationRobert Vautard est formel, on n’a pas encore vu le pire. Les épisodes que l’on a vécus en 2024 ne sont amenés qu’à s’intensifier. « Tant qu’on utilise des combustibles fossiles et qu’on émet des gaz à effet de serre, les événements extrêmes comme les cyclones, vont aller en augmentant. »
Des réflexions sont à l’œuvre pour imaginer comment éliminer l’excédent de CO2 que l’on a rejeté dans l’atmosphère mais « on ne pourra jamais retirer tout, on pourra tout au mieux compenser en imaginant que des secteurs comme l’énergie, les transports, l’agriculture, l’habitation, se décarbonisent. »Les dégâts laissés par l'ouragan Ian après son passage en 2022 sur la Floride@AFP
S’il faut diminuer très rapidement nos émissions de gaz à effet de serre, notre utilisation d’énergies fossiles et carbonées il faut en même temps, « s’adapter puisque les conséquences sont déjà visibles », insiste Carole Saout.
« Il faut mettre en place des gestions du risque, des processus d’adaptation pour faire face à des événements (élévation du niveau de la mer, sécheresses, cyclones, etc.) dont on sait qu’ils vont arriver et qu’ils vont arriver de plus en plus souvent et de plus en plus fort. Il faut imaginer des solutions pour y faire face et les traverser sans qu’il y ait trop de dégâts sur la santé humaine, sur les populations. Plus on tarde à agir, plus c’est une bombe à retardement. »
(1) Le centre de suivi européen Copernicus qui vient de rendre public son 8e rapport au mois d’octobre 2024. (2) Ce premier groupe du Giec évalue les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat. (3) Les cyclones tropicaux sont classés selon leur intensité et leur potentiel destructeur sur l’échelle de Saffir-Simpson qui va de 1 (vents de 119 à 153 km/h) à 5 (vents supérieurs à 249 km/h). (4) L’eau a une capacité à stocker la chaleur quatre fois plus importante que l’air.
Texte : Julie Ho Hoa julie.hohoa@centrefrance.com Photos : AdobeStock, AFP, Quentin Reix, Céline Niel