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Октябрь
2024

Matthieu Jasseron, le curé TikTok installé dans l'Yonne, "rend sa soutane"

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« Je me retire de la prêtrise. Je ne suis plus suffisamment en phase avec l’Eglise institutionnelle. » Par ces mots prononcés dans une vidéo de 45 minutes postée sur Youtube dimanche 20 octobre, Matthieu Jasseron a annoncé quitter la soutane (qu’il ne portait guère au demeurant). En juillet, il avait fait ses adieux à la paroisse de Joigny dans l’Yonne après cinq années de ministère. À l’échelle nationale, le quadragénaire était connu sous le surnom de « curé TikTok » en raison de son utilisation de ce réseau social où il totalisa jusqu’à 1,2 million d’abonnés.

Venant de tout autre curé de l'Hexagone, cette annonce serait passée probablement inaperçue. Comme il s’agit de lui, de grands médias nationaux s’en sont fait l’écho dès le lendemain. Signe de sa notoriété au-delà de la sphère catholique, qui lui valut d’être invité plusieurs fois sur les plateaux de télévision.

Des prises de position sur des sujets sensibles comme l'homosexualité

Le jeune prêtre entre dans l’arène médiatique en août 2020 pendant la crise du Covid-19 en ouvrant un compte TikTok. En avril 2021, il recense déjà 413 vidéos et 392.000 abonnés. Sa mécanique est rodée. Ton de la voix, phrasé, emploi d’un vocabulaire très positif, propos court… Face à la caméra, l’homme est très à l’aise, possède les codes du genre et sait toucher le public, souvent jeune, de ce réseau. Il conçoit ses vidéos comme des « aides à réfléchir » plutôt que des explications clés en main.

Plusieurs de ses prises de position sur des sujets sensibles dérangent dans le monde catholique. En août 2021, l’une de ses vidéos en particulier, où il défend que l’homosexualité n’est pas un péché selon les Évangiles, est likée plusieurs centaines de milliers de fois et entraîne une réponse de la Conférence des évêques de France. Les critiques et les attaques fusent aussi des rangs conservateurs. « Nous partons du même livre, mais nous pouvons avoir des approches différentes, nous ne retenons pas les mêmes phrases », analysait-il à l’époque dans les pages de L’Yonne républicaine.

« Si j’avais dû partir en raison des pressions, je l’aurais fait en août 2021. Je pensais que c’était un bon moyen de dire ce qu’est la foi aux gens d’aujourd’hui. »

Le curé va investir aussi d’autres plateformes. Dans son Confessionnal sur Youtube, il reçoit Gad Elmaleh, Didier Barbelivien… Il se retire toutefois des réseaux en décembre 2023. Il niait alors avoir reçu des pressions. « Si j’avais dû partir en raison de cela, je l’aurais fait en août 2021, affirmait-il. Je pensais que c’était un bon moyen de dire ce qu’est la foi aux gens d’aujourd’hui. Ça a marché, j’en suis très heureux, mais j’ai été aussi un peu grisé. J’ai toujours su que ça ne durerait qu’un temps. » Il confia ses quatre comptes à des mouvements représentant des tendances différentes dans l’Église.

C’est la dernière fois que vous verrez le mot “Père” sur un livre, assure-t-il, dans sa dernière vidéo. Désormais, je redeviens Matthieu Jasseron.

Prolifique sur les réseaux sociaux, Matthieu Jasseron l’est aussi dans l’écriture avec la parution d’un livre par an depuis 2022. Dans la continuité de ses vidéos, il y aborde des questions sur la foi, sur son quotidien de curé… Ce mercredi 23 octobre, soit trois jours après avoir annoncé quitter le sacerdoce, l’ex-prêtre de Joigny sortait son troisième ouvrage. « C’est la dernière fois que vous verrez le mot “Père” sur un livre, assure-t-il, dans sa dernière vidéo. Désormais, je redeviens Matthieu Jasseron. »

Si ce bon communicant sut exercer le ministère de la parole sur Internet, il en fut de même dans son ex-paroisse aux dires de ses ouailles. Ordonné prêtre en 2019, il débarque la même année à Joigny, sa première affectation. La paisible cité de 9.500 habitants sur les bords de l’Yonne, entre Auxerre et Sens, fait partie d’une des plus importantes paroisses du diocèse.

« Il parvenait à attirer des gens et même à les impliquer »

« Son arrivée fut comme un vent de fraîcheur, témoigne une paroissienne. Le nombre de fidèles aux offices en semaine et le week-end avait augmenté. Dans ses homélies, tu avais l’impression qu’il s’adressait à toi. Par ses paroles, il parvenait à attirer des gens et même à les impliquer dans la vie de la paroisse. Il débordait de projets fédérateurs à commencer par celui de la rénovation de l’église Saint-Vincent-de-Paul à Joigny. »« Dans ses homélies, tu avais l’impression qu’il s’adressait à toi » se souvient une paroissienne. Photo d'archives Delphine Toujas

Cet édifice des années 1970, financé par les fidèles, appartient à la paroisse. Sa capacité d’accueil excède celles cumulées des églises propriétés de la commune. Matthieu Jasseron souhaitait en faire le principal lieu de culte sur place et estimait le budget pour cela à 1,5 million d’euros. Affolé par les sommes en jeu, le diocèse finit par mettre le holà au moment où le prêtre allait lancer sa campagne de financement, à l’automne 2023.

« Ce fut une incompréhension totale », se souvient encore la paroissienne, qui n’en décolère toujours pas. Lui se montra prudent. « J’ai évidemment un peu d’amertume, reconnaissait-il, la veille de son départ de Joigny. Tous les feux étaient au vert. Il y a très peu de projets de ce genre en métropole. » Mais son verbe ne suffit pas à sauver l’édifice.

Pierre-Emmanuel Erard