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Октябрь
2024

La vie d'après des grands criminels : la "retraite" de Jean-Claude Romand dans le Berry en mode fiction

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« Je n’étais fascinée ni par l’homme, ni par le personnage, ni par le morbide de cette affaire », avertit d’emblée Véronique Sousset dans son livre intitulé Dans la tête de JCR. Haut fonctionnaire, aujourd’hui directrice régionale adjointe de l’administration pénitentiaire du Grand Est, celle qui vient de publier une œuvre de fiction consacrée à Jean-Claude Romand l’a eu comme « pensionnaire ».

Ses entretiens avec le détenu, un matériau

De 2016 à 2018, Véronique Sousset a dirigé la Maison centrale de Saint-Maur (Indre) où celui qui figure parmi les criminels français vivants les moins « oubliables » a purgé sa peine. La tragédie jurassienne a bouleversé dans les années 1990. En 2000, L’Adversaire, livre à succès d’Emmanuel Carrère, inaugure une longue série d’œuvres de fictions et de documents consacrés à l’affaire Romand.

Vingt ans de mensonges, de vacuité existentielle et d’escroqueries

Jean-Claude Romand a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, pour avoir tué sa femme et ses deux enfants, ainsi que son père et sa mère, et tenté d’assassiner sa maîtresse en janvier 1993.

Ce carnage a constitué le dénouement tragique de près de vingt ans de mensonges, de vacuité existentielle et d’escroqueries. Installé avec sa famille dans le pays de Gex, près de la frontière suisse, Jean-Claude Romand a fait démarrer sa voiture tous les matins durant une décennie pour rejoindre son bureau de l’Organisation mondiale de la santé à Genève. Un poste fictif comme ses diplômes de médecine.

Sans aucune activité professionnelle et sans revenus, l’imposteur assurait à sa famille un train de vie confortable en aspirant l’épargne de ses proches. L’escroc promettait de juteux placements et claquait tout. Au-delà de sa violence extrême, c’est le caractère vertigineux du mensonge et du « grand vide » qu’a été la vie de Romand jusqu’à ses crimes qui confèrent à ce fait divers un caractère hors du commun.

L'auteure n'a pas conservé de lien avec le détenu

Les faits perpétrés en 1993, s’ils sont rappelés, ne sont pas le motif du livre de Véronique Sousset, qui, dans deux précédents ouvrages (1), a déjà « raconté la prison », ce monde méconnu dont elle a les clés et « qui suscite de la répulsion ». Dans la tête de JCR est sa première fiction. Elle a choisi d’écrire à la première personne du singulier masculin un récit de « pure imagination » comme elle le précise en préambule. La déontologie lui interdit de conserver un lien avec un détenu après sa libération mais elle s’est entretenue régulièrement avec Jean-Claude Romand durant les deux années où elle a dirigé la Maison centrale de Saint-Maur. Un échange qui s’inscrivait notamment dans l’examen, collégial, de sa demande de libération. Deux chapitres du récit sont consacrés à ce processus de libération conditionnelle, qui, dans le cas de Jean-Claude Romand, s’est traduit par plusieurs refus et s’est étalé sur trois ans. Ce criminel n’a bénéficié d’« aucune faveur », précise la haut fonctionnaire.

Nouveau départ dans le Berry

Jean-Claude Romand est sorti de Saint-Maur après 26 ans de détention en 2019. Durant une période probatoire de deux ans, il a porté un bracelet électronique et a été hébergé à l’abbaye de Fontgombault dans l’Indre. L’écrivain Emmanuel Carrère, qui a été en contact avec Romand durant ses premières années de détention, décrit dans L’Adversaire la ferveur catholique qui a participé à construire une image de détenu modèle.

Veronique Sousset auteure de Dans la tête de JCR aux éditions du Cherche Midi Depuis 2022, Jean-Claude Romand est toujours sous la main de la Justice mais il mène une vie plus autonome. Interdit de séjour dans plusieurs régions, il se serait installé, du moins dans un premier temps, dans un village de l’Indre.

C’est la vie de ce « retraité », âgé aujourd’hui de 71 ans et qui touche une pension pour son travail en détention, qu’a imaginée Véronique Sousset.

Ce livre est un questionnement sur la liberté après la détention. Combien de temps reste-t-on un “sortant” de prison ? De quelle liberté s’agit-il, lorsque l’on a commis comme lui le pire ? 

« C’est un cas assez paroxystique parce qu’il a été des années enfermé dans le mensonge, puis des années en détention, je l’imagine aussi aujourd’hui enfermé dans sa culpabilité. Comment cet homme peut-il revenir dans la communauté des hommes ? »

Une liberté aux parfums peu enivrants

Nulle complaisance dans ce livre acrobatique, qui entremêle une connaissance du détenu Romand et une construction littéraire sur la solitude, l’impossible oubli, les émotions nouvelles procurées par cette nouvelle vie de « désincarcéré ». Un purgatoire où toute lumière est tamisée. Le temps de sa vie d’homme libre, le condamné à perpétuité ne connaîtra qu’une saison, l’automne.

« Est-ce qu’il peut avoir des amis ? Lorsqu’il revoit l’océan pour la première fois, est-il saisi par l’indécence de cette émotion ? Ressent-il la peur d’être reconnu dans la rue ? »

La littérature n’est pas pour elle un moyen de s’échapper de l’univers carcéral mais de comprendre la nature humaine avec des grilles d’analyse non fournies par son administration. « Dans ce monde où l’on veut aller un peu vite et simplifier, j’aime apporter de la nuance », assume-t-elle.

Parution. Dans la tête de JCR par Véronique Sousset. Le Cherche Midi éditeur.

Julien Rapegno

(*) Défense légitime et Fragments de prison.