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Октябрь
2024

"Je n'ai pas internet, moi..." : une matinée dans une maison France services du Cantal, au plus près de la ruralité

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« Comment ça, il faut me créer une adresse mail ? » À 78 ans, l’Apchonnais Georges Sibot est de bonne volonté. Quand il a voulu remplacer son permis de conduire, il a pris la voiture pour se rendre à la maison France services de Riom-ès-Montagnes, s’est renseigné au préalable sur les documents nécessaires, a fait une photo d’identité. Il a même un téléphone portable dont il connaît le numéro par cœur… mais qu’il a laissé dans la voiture.

La création de l’adresse mail, en revanche, il ne s’y attendait pas. En face de lui, Sandrine Lefebvre prend le temps, explique, lui en crée une. Conseillère depuis deux ans, elle est habituée à ces demandes et le nouveau permis est commandé en moins de vingt minutes. Elle le rassure pour les délais, il sourit : « Mon permis est de 1966, il est détérioré. Je n’ai pas internet, moi… » Il lève les yeux vers le plafond de l’ancienne gare d’où il a pris le train pour Lyon, il y a plusieurs décennies, à l’heure du service militaire.Les trains de voyageurs se sont arrêtés, il y a 30 ans. En 1998, les élus y installent l’Espace public des services, 20 ans avant la création du label maison France services. Les administrations, qui quittent Riom-ès-Montagnes, y tiennent des permanences pour les usagers. Benoît Jovin y travaillait et est devenu conseiller France services quand l’espace a été labellisé, en 2021. « Avant, on avait la perception, les retraites… raconte-t-il. Puis les permanences se sont arrêtées. On s’est mis à traiter de plus en plus de problématiques différentes. »

L’arrivée du label a structuré l’ensemble. Aujourd’hui, la maison France services est une porte d’entrée pour onze administrations (lire par ailleurs).

Cela nous a permis d’avoir des vraies formations. Avant, on faisait sur le tas, en allant piocher sur internet. On se débrouillait, on était seul dans la nature

Dans un rapport publié le mois dernier, la Cour des comptes a salué l’efficacité du dispositif : 80 % des problèmes des usagers sont réglés sur place. Le renvoi vers les administrations concernées étant réservé aux cas les plus difficiles et peut se faire en visio, depuis Riom. « La qualité de l’accompagnement contribue également à réduire le non-recours des usagers à leurs droits », estime la Cour des comptes.

La polyvalence est reine. Ancienne secrétaire de mairie dans deux petites communes proches, Sandrine Lefebvre préfère son nouveau métier. « Officiellement, on a onze partenaires mais on fait beaucoup plus de choses. Avant, je faisais plutôt de l’administratif. Aujourd’hui, je suis vraiment un service public. » En tant que conseillère, elle a ses entrées dans les autres administrations : « On a passé du temps en immersion avec les Impôts, à Mauriac. Cela permet de créer des liens, c’est plus facile pour travailler ensemble ».Chaque arrivée dans le bâtiment est récompensée par un « Bonjour ! » sonore, le genre d’exclamation qui met de bonne humeur. Sandrine Lefebvre est à l’accueil, Benoît Jovin à l’arrière, dans une pièce fermée qui permet la confidentialité. Lucette, 83 ans, vient souvent pour prendre des billets de train. La SNCF n’est pas un partenaire mais « il faut passer par un ordinateur et je n’en veux pas ! »

Elle vient prendre 25 minutes d’humanité en pleine matinée « Je suis de l’ancienne génération, autant venir sinon ils seraient au chômage. Si tout est informatisé, on ne sort plus de chez soi… » Arrivée sans voiture à l’heure de la retraite à Riom, après une vie à la ville, elle s’inquiète de la disparition des transports en commun, s’étonne encore de devoir passer par Clermont pour aller faire des examens médicaux à Mauriac et par Allanche pour aller à Aurillac. « En vingt ans, c’est une catastrophe. Heureusement qu’ils sont là… »

Permis, cartes grises, pensions...

Mardi 22 octobre au matin, les deux agents ont fait des cartes grises, une pension de réversion, une pension d’ancien combattant, un permis… le tout sans s’arrêter de la matinée. Sans éclats de voix non plus. Une jeune visiteuse vient imprimer des documents et s’excuse : « Faudrait que j’achète un ordinateur ». L’autre ne s’agace pas même si elle attend sa carte grise depuis juillet, elle vient aux nouvelles pour savoir où en est son dossier.

La problématique, « c’est d’arriver à toucher tout le monde, constate Benoît Jovin. C’est difficile pour les actifs puisqu’on a les mêmes horaires qu’eux. On essaye de décaler les rendez-vous, pour s’adapter… » L’autre sujet, c’est la ruralité : le Pays Gentiane est étendu et il faut s’assurer que le service ne profite pas qu’aux Riomois. Le bus CyberCantal, une maison France services mobile, passe à Cheylade et Saint-Étienne-de-Chomeil. « On développe le transport à la demande », assure Valérie Cabecas, présidente du Pays Gentiane. C’est la communauté de communes qui porte la structure, emploie les trois agents et gère leurs locaux en échange d’une aide au fonctionnement de 45.000 € cette année.

Déménagement prévu

« C’est un service primordial pour la collectivité, estime l’élue. Il y a une vraie demande de la part de la population. » Une place est dévolue à la maison France services dans le nouveau pôle des services et de la famille, dans l’ancienne aile du collège, près de la mairie, quand ce projet important (2,7 millions d’euros) sera terminé.

Le label est entré dans la vie quotidienne des habitants qui connaissent le dispositif. Ce n’est pas forcément le cas de tous les administrés. C’est un des points faibles des maisons France services, trop souvent méconnues. « Les campagnes de promotion ont fait du bien, considère Benoît Jovin. Avant, on tournait avec le même petit noyau de personnes qui venaient régulièrement. Aujourd’hui, on voit plus de monde, avec des demandes différentes. »

Au point de mettre leurs compétences et leur polyvalence à rude épreuve. « On nous dit de bien faire attention à ne pas dépasser notre niveau de compétence mais, dans le concret, on est obligé une fois qu’on a la personne en face. On prend le temps, on cherche avec elle. C’est du service public avec un grand S. »

Pierre Chambaud