La contamination aux pesticides est "générale" selon ce médecin en conférence en Creuse ce samedi
Quid de la dangerosité des pesticides ? Peut-on sortir de notre dépendance à ces substances ? Autant de questions qui seront abordées lors de la conférence-débat qu’organise l’association France nature environnement Creuse, samedi soir, dans la grande salle de la mairie de Guéret.
Et auxquelles tenteront de répondre les intervenants : Sylvie Nony, agrégée de physique-chimie et responsable de l’association Alerte Pesticides Hautes Gironde, et le médecin Pierre-Michel Perinaud, président de l’association Alerte Médecins Les Pesticides (AMLP). Ce dernier a accepté de répondre à nos questions.
Pourquoi proposer maintenant cette conférence sur les pesticides ?
Parce que la contamination de la population est générale. Comment peut-on justifier le fait que tout l’on retrouve du glyphosate dans les urines de chacun d’entre nous ? On se doit de questionner le modèle agricole qui produit cela. Mais il ne s’agit pas d’alerter, car les pouvoirs publics savent. Les données scientifiques sont produites par les institutions de référence que sont l’Inrae (1) et l’Inserm (2). Qu’en est-il de la démocratie sanitaire si l’on ne considère même pas cela ?
Pierre-Michel Périnaud est président de l'association Alerte des Médecins sur les pesticides - Photo : Sylvain Compère
Comment va s’articuler votre intervention avec celle de Sylvie Nony, ce samedi ?
Sylvie est aussi responsable d’une association qui alerte sur l’impact des pesticides dans son département de la Gironde. Nous nous connaissons bien car nous faisons partie d’une même coalition de collectifs, “Secrets toxiques”, qui a pour but d’agir sur la réglementation.
Nous estimons que la réglementation concernant la mise sur le marché des pesticides n’est pas respectée en Europe. Celle du glyphosate, produit reconnu cancérigène probable par le Centre international de recherche contre le cancer (Circ), a été néanmoins renouvelée en 2023, sans aucun problème. Nous avons formulé un recours contre cette réautorisation.
Nous allons donc parler de cela samedi. En insistant sur le fait que nous n’avons pas d’ “a priori” sur les pesticides. Nous faisons un constat, celui de la contamination de la population. C’est ce que nous voulons partager. Et ce, en rappelant que nous n’en avons pas après les agriculteurs, qui ne peuvent pas connaître les expertises Inserm.
Le Glyphosate n’est toujours pas interdit en France et dans l’Union européenne. Photo d'illustration Jeremie Fulleringer
Quels sont les principaux risques pour la santé liés à l’exposition aux pesticides ?
Ces risques ont d’abord été mis en évidence chez les professionnels du secteur agricole. Une première expertise a été effectuée par l’Inserm en 2013. Elle mettait en évidence le développement d’une douzaine de pathologies liées aux pesticides. Les principales étaient des cancers du sang, comme le lymphome non hodgkinien, et le cancer de la prostate. La maladie de Parkinson figurait aussi dans cette liste.
En 2021, l’Inserm a refait une très vaste revue de la littérature scientifique qui porte à près d’une vingtaine le nombre de pathologies à mettre en rapport avec l’exposition des professionnels aux pesticides.
Les niveaux de preuves ont aussi été réévalués pour certaines d’entre elles : par exemple, la présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et l’apparition de troubles cognitifs - qui souvent conduisent à la maladie d’Alzheimer - est devenue forte. Et, pour les tumeurs cérébrales, on atteint désormais un niveau de preuves “moyen”.
L’Inserm a également produit des données sur des cas de leucémie chez des enfants de professionnels exposés pendant la grossesse ou dont le père a été exposé aux pesticides.
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Nous évoquons là des professionnels du monde agricole et leurs familles. Mais qu’en est-il du reste de la population ?
Malheureusement, nous retrouvons un peu le même schéma au sein de la population générale. En 2013, les données concernaient presque exclusivement les enfants. Mais nous savons à présent qu’il existe un lien très fort entre le cancer de la prostate et l’exposition au Chlordécone (3) dans les Antilles : une contamination de l’environnement a précédé une contamination humaine. Cela prouve que les impacts de certains pesticides surviennent longtemps après leur pulvérisation.
Plus largement, en population générale, nous retrouvons aujourd’hui une variété de tumeurs cérébrales en niveau de preuve moyen. Mais aussi l’asthme et les troubles cognitifs. Par ailleurs, le lien entre produits insecticides domestiques contenant des substances appelées “pyrétrinoïdes” et des cas de leucémies, mais aussi de tumeurs du système nerveux central, est montré depuis 2013. Des troubles du neurodéveloppement sont aussi détectés chez l’enfant exposé à ces substances.
Sommes-nous toutefois moins exposés en Limousin, où l’agriculture est dominée par un élevage extensif qui consomme peu de pesticides ?
L’exposition de la population générale à Guéret, à Limoges, au Mans, ou à Strasbourg est à peu près la même.
Ce qui pourrait paraître étonnant. Or, les chercheurs ont déterminé que la contamination par les pesticides est essentiellement alimentaire. Le fait de vivre dans des régions avec une agriculture plus extensive ne nous met malheureusement pas à l’abri.
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La conférence de samedi traitera justement de la dépendance de nos sociétés à ces substances. Mais pourrait-on vraiment s’en passer ?
Oui. Mais, encore une fois, à condition de considérer les données scientifiques. Dans un débat correctement construit, j’estime que c’est un acte politique de ne pas citer ces données. Il m’est arrivé de discuter avec un représentant du monde agricole qui niait totalement les impacts des pesticides sur la santé et la biodiversité.
En 2022, l’Inrae a étudié plusieurs scénarios de sortie des pesticides, en lien avec les notions de souveraineté alimentaire et de prise en compte de la biodiversité. Car si vous remplacez des monocultures conventionnelles par des monocultures bio, vous n’allez pas résoudre le problème de la biodiversité. Et votre système tiendra difficilement.
Un scénario qui n’est pas hors de portée consiste à s’appuyer sur une polyculture élevage, avec des fermes bio à taille humaine, permettant de restaurer les écosystèmes et les sols. Nous ne devons pas séparer biodiversité et santé humaine.
Pratique. Conférence-débat, “Pesticides, dangereux ? Peut-on s’en passer ?” Samedi 26 octobre 2024 à 18 heures, dans la grande salle de la mairie de Guéret. Entrée libre.
Propos recueillis par François Delotte
(1) Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
(2) Institut national de la santé et de la recherche médicale.
(3) Pesticide qui fut utilisé dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe de 1972 à 1993.