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Октябрь
2024

"Il y a un vrai ras-le-bol, ce n'est plus possible !" : les vols de câbles en cuivre explosent et électrisent la France

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La razzia a eu lieu au mois de juin dernier à Denguin, 1.800 habitants, près de Pau. Dans le viseur des chercheurs d'« or rouge », cette nuit-là : les projecteurs des courts de tennis et les lampadaires disposés autour de la plaine des sports. « Ils ont ouvert les trappes en bas de chaque mât, coupé les câbles avec une pince avant de les attacher à un véhicule pour les tirer et les dérouler un à un », raconte Gilles Tesson, le maire.

Détail grinçant : les malfrats ont pu œuvrer en pleine obscurité, et donc en toute tranquillité ou presque, grâce à l’extinction de l’éclairage nocturne pratiquée dans la commune pour des raisons économiques et environnementales…

Les dégâts ont été découverts au lever du soleil. Bilan ? Entre 250 et 300 mètres de gaines arrachés et une facture de 15.000 € pour la municipalité. « Pour nous, c’est loin d’être négligeable. Ce que l’on a mis dans ces réparations va impacter d’autres investissements », peste Gilles Tesson.

"On ne peut rien faire face à ces gens-là"

Deux autres faits identiques ont été commis récemment dans sa commune – l’un visant en juin une zone artisanale gérée par la communauté d’agglomération, l’autre en septembre sur un chantier financé par l’État. « Et il y en aura d’autres, c’est évident. On ne peut rien faire face à ces gens-là », assure l’édile, qui se sent « seul et démuni ».

À 8 kilomètres de là, Lescar a payé un tribut plus lourd encore, avec pas moins de 150 candélabres ciblés entre mai 2023 et juin 2024, pour un préjudice chiffré à 150.000 €. « Il y a un vrai ras-le-bol, ce n’est plus possible ! », s’insurge Valérie Revel, à la tête de cette petite ville de 10.000 habitants, qui a fédéré cet été la colère de ses collègues du secteur.

Alors que les cours du cuivre se maintiennent à des niveaux élevés – plus de 8.700 € la tonne ce lundi, contre 5.000 début 2019 – et que la demande mondiale suit une courbe exponentielle, boostée par la transition énergétique (voir encadré ci-dessous), aucune installation n’est désormais à l’abri.

200 vols par mois désormais sur le réseau Orange

Sur le réseau d’Orange, par exemple, c’est l’hécatombe. L’opérateur a recensé 1.347 vols entre le 1er janvier et le 10 octobre, contre 940 sur la même période l’an dernier (+43 %). 2023 s’était pourtant déjà achevé sur un bilan sans précédent, avec près de 1.600 faits – huit fois plus qu’en 2021 – et 1.200 kilomètres de câbles volatilisés.

Avec des conséquences en cascade : des dizaines, des centaines, parfois même des milliers d’usagers (particuliers, entreprises, services publics) privés de téléphone et d’internet pendant quelques heures ou plusieurs jours. Quand la panne touche des services d’urgence ou des hôpitaux, l’enjeu dépasse de loin la simple gêne ou la perte économique…

Le groupe évalue la valeur de la marchandise dérobée cette année « entre 3 et 4 millions d’euros », auxquels il faut ajouter le coût plus élevé encore des réparations, chiffré pour l’heure à « 14 millions d’euros ». D’ici au 31 décembre, le trou va encore se creuser dans des proportions là aussi inédites, si l’on en croit la tendance de ces dernières semaines.

« Depuis cet été, nous sommes passés à 200 vols par mois en moyenne. Le rythme a été multiplié par deux par rapport au premier semestre. »

Alarmes, trackers GPS et drones

Enedis et SNCF sont sans surprise en première ligne également. Contacté, l’électricien répond n’avoir « pas de chiffres spécifiques à communiquer » et rappelle a minima que « le vol de câble est un acte illégal, dangereux lorsqu’il est opéré sur des ouvrages en tension ». Du côté de l’entreprise ferroviaire, encore frappée de plein fouet le 9 octobre, lorsque l’arrachage de 550 mètres de câbles de signalisation et de télécommunication a semé la pagaille sur les rails autour de Lille, on déplore un phénomène « qui fragilise le réseau et perturbe le trafic ». Sans là non plus livrer de données précises.

Photo d'illustration David Allignon

Question : que faire face à un phénomène qui semble quasiment hors de contrôle ? Certains maires se sont résolus à installer des dispositifs de sécurité sur leurs lampadaires.

« Nous avons acheté un système de serrage censé entraver l’extraction des câbles. Ça ralentit le processus, mais ce n’est pas une protection absolue. »

Pour limiter autant que possible les saignées sur ses 28.000 km de réseau – « un défi en matière de surveillance », reconnaît-elle –, la SNCF a vu grand. Tournées de prévention des agents de la sûreté ferroviaire autour des lieux de stockage, alarmes fixes ou mobiles sur les sections les plus exposées, trackers GPS sur les batteries, survols de drone… La palette des actions menées est large.

« L’État doit mettre les moyens ! »

Un peu partout sur le territoire, des conventions locales de lutte contre ces exactions ont été signées entre entreprises et forces de l’ordre. Jour et nuit, gendarmes et policiers patrouillent sur des points identifiés comme vulnérables, en quête d’un éventuel flagrant délit.

Un cran au-dessus, des enquêtes au long cours sont menées pour tenter de démanteler des équipes de voleurs, voire des filières entières. Avec, parfois, des résultats tangibles. Trois hommes viennent par exemple d’être condamnés à des peines de prison ferme, début octobre, à Libourne. En pistant les suspects via leurs téléphones portables, les gendarmes ont pu leur imputer 34 vols en moins de deux mois et mettre la main sur près d’1,5 tonne de cuivre. Le trio, qui agissait ganté et encagoulé, ciblait les antennes-relais.

Mais l’impression dominante reste celle d’un décalage persistant entre la flambée des pillages et la faiblesse des résultats sur le terrain judiciaire. « Face à des réseaux aussi bien organisés, qui ont souvent des ramifications internationales, il ne suffit pas de mettre un gendarme derrière un platane. Les tonnes de métal volées ne passent pas à l’étranger en 2-CV… Si on veut stopper l’hémorragie, l’État doit enfin mettre les moyens pour de bon ! », exhorte Gilles Tesson depuis Denguin.

Dans la même tonalité, Orange pointe tout à la fois la rareté des jugements rendus – l’opérateur en a comptabilisé 33 en France sur l’année 2023 – et la « légèreté » des sanctions prononcées, qui seraient « insuffisantes à prévenir la récidive ». Le groupe plaide donc pour l’instauration de « peines plus sévères », notamment en matière « d’atteintes au réseau qui peuvent mettre en danger la vie d’autrui ». L’opération « comment éviter un pétage de câble généralisé » est lancée.

Stéphane Barnoin

"La matière première stratégique du XXIe siècle"

Il en faut en quantité pour les éoliennes,  les batteries, les panneaux solaires, les voitures électriques, les câbles sous-marins, les data centers version IA… « Le cuivre est la matière première stratégique du XXIe siècle », affirme Philippe Chalmin, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Selon ce spécialiste du secteur, la production mondiale, très largement issue d’Amérique du Sud (Chili, Pérou) et d’Afrique (République du Congo, Zambie), devrait encore excéder les besoins en 2024 et 2025. Mais « le marché va devenir structurellement déficitaire dès 2027-2028, avec une demande supérieure à l’offre », prévient-il.

Les problèmes d’approvisionnement sont voués à se prolonger, voire à s’aggraver, faute de nouvelles ouvertures de mines dans les tuyaux (« il faut 10 à 15 ans pour qu’un projet aboutisse, ça ne se fait pas du jour au lendemain… »). Conséquence : les prix vont continuer à grimper. « Certains spéculateurs disent que la barre des 40.000 dollars la tonne (trois fois le cours actuel, NDLR) pourrait être atteinte en 2040. C’est une hypothèse crédible », juge Philippe Chalmin.