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Октябрь
2024

Expertise : qu’attendre du transfert partiel de compétence de la Cour de Justice au Tribunal de l’UE sur les questions préjudicielles ?

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Lemoci 

Depuis début octobre, le Tribunal de l’Union européenne (UE) est désormais compétent pour apporter des réponses aux questions préjudicielles concernant l’interprétation du droit européen dans six domaines, en remplacement de la Cours de Justice de l’UE. Un changement qui n’est pas sans conséquences pour le fonctionnement de l’Union, y compris dans le cadre de ses échanges commerciaux internationaux, et ses opérateurs économiques. Dans cet article expert, Jean-Marie Salva, associé du cabinet DS Avocats, nous explique pourquoi.

Une réforme apparemment plutôt technique et passée assez largement inaperçue pourrait avoir un impact important sur le fonctionnement de l’Union européenne : depuis le 1er octobre 2024, le Tribunal de l’UE est compétent pour répondre aux questions préjudicielles dans six matières en lieu et place de la Cour de justice de l’UE.

Les questions préjudicielles sont celles que l’on pose devant les tribunaux quand une règle européenne pose un problème d’interprétation qui parait devoir être tranché par la Cour de justice gardienne des traités. Elles sont dites préjudicielles car elles suspendent les litiges en cours jusqu’à ce que la réponse soit donnée. La réponse apportée lie ensuite la juridiction ayant posé la question initiale.

Ce mécanisme pourtant essentiel au fonctionnement de l’Union est parfois victime de son succès.

Un habile transfert de compétences

 

Le règlement (UE, Euratom) 2024/2019 modifiant le protocole n°3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne pourrait changer la donne en opérant un habile transfert de compétences. Il confère en effet au Tribunal la compétence pour connaître des questions préjudicielles soumises par les juridictions des Etats membres en vertu de l’article 267 TFUE (question préjudicielle pour l’interprétation d’une norme européenne).

Le lien vers le règlement : cliquez ICI

Ce changement est considéré à juste titre comme ayant « une portée majeure » par la communication publiée ce 9 octobre au JOUE (Journal officiel de l’UE) qui met à jour les « recommandations à l’attention des juridictions nationales relatives à l’introduction de questions préjudicielles ».

En vertu du traité de Nice, entré en vigueur en 2003, le Tribunal connait déjà de questions préjudicielles. Mais le transfert actuel intervient dans plusieurs domaines stratégiques pour les échanges internationaux car ils déterminent les conditions d’accès des produits tiers au marché UE dans un contexte de tensions croissantes avec certains de nos partenaires commerciaux, et qui posent souvent des problèmes d’interprétation par les juridictions nationales.

Il s’agit du système commun de TVA ; des droits d’accise ; du code des douanes ; du classement tarifaire des marchandises dans la nomenclature combinée ; de l’indemnisation et de l’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement ou de retard ou d’annulation de services de transport ; et du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

Les règles de procédure de la Cour demeureront globalement les mêmes devant le Tribunal : assistance obligatoire d’un ou plusieurs avocats généraux ; constitution de chambres spécialement désignées au sein du Tribunal ; et la création d’une chambre de taille intermédiaire au sein du Tribunal entre la chambre de cinq juges et la grande chambre de quinze juges, étant précisé que cette formation pourra également statuer sur des recours directs.

Pour des raisons de sécurité juridique et de célérité, les questions préjudicielles resteront introduites devant la Cour de justice, qui devra réaliser une analyse préliminaire avant de les transmettre au Tribunal. Les décisions du Tribunal pourront être réexaminées par la Cour sur proposition du premier avocat général dans un délai d’un mois. Après ce délai, la décision du tribunal aura un caractère définitif et la même force qu’une décision de la Cour.

Une incitation à mieux s’approprier le Droit européen

 

Ce règlement vise à alléger la charge de travail de la Cour de justice dans le domaine préjudiciel. C’est aussi un encouragement des citoyens et des opérateurs économiques européens à mieux s’approprier le Droit européen et à recourir quand c’est nécessaire à la question préjudicielle.

Il faut espérer qu’en France, cet encouragement sera compris des juridictions nationales qui restent souveraines, et qui ont été jusqu’à présent plutôt restrictives en la matière (118 renvois préjudiciels sur 2 829 pour les 5 dernières années, soit 4,20 % à peine !).

La France a d’ailleurs été rappelée à l’ordre à ce sujet par la CJUE dans son arrêt Commission européenne c. France, C-416/17. Elle a jugé que la France avait manqué à ses obligations lui incombant sur le fondement du droit de l’Union, le Conseil d’État ayant omis de la saisir à titre préjudiciel, dans le cadre d’un contentieux fiscal.

Jean-Marie Salva,
Avocat associé DS Avocats

 

 

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