Pourquoi l'avenir de la voiture "made in France" n'est pas (forcément) si noir malgré la concurrence chinoise
Après les téléviseurs, les réfrigérateurs et les machines à laver, notre pays va-t-il bientôt dire adieu à ses voitures made in France ? La question, plus que dérangeante, car touchant à des marques patrimoniales comme Renault, Peugeot et Citroën, risque de se poser à court terme.
Il suffit de jeter un œil aux chiffres pour s’en convaincre. En l’espace de cinq ans, entre 2019 et 2024, l’Hexagone a perdu le quart de sa production, passant de 2 millions à moins de 1,5 million. Une baisse qui sent la glissade incontrôlée au moment où les constructeurs chinois, vedettes du dernier Mondial de l’auto à Paris, font le siège de l’Europe pour écouler leurs excédents de voitures électriques.
"Péril jaune" à nos portes...« Il y a effectivement une petite musique nous serinant que le “péril jaune” serait à nos portes et que l’on serait menacé de disparition, intervient Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux. C’est une musique que l’on avait déjà entendue il y a quarante ans lors de l’arrivée des constructeurs japonais et il y a trente ans avec les Coréens. »
« Or, même s’il a fallu les gérer et partager un peu le gâteau, cela n’a pas induit la mort de constructeurs européens, poursuit le spécialiste de la filière automobile. À l’époque, ce sont d’ailleurs plus les Américains, Ford et General Motors, qui avaient épongé les pertes de parts de marché. »
"L'UE est plus regardante"Les constructeurs tricolores et européens peuvent-ils s’en tirer à si bon compte cette fois-ci aussi ? « Aujourd’hui, ces nouveaux acteurs arrivent en même temps qu’une nouvelle technologie qu’ils maîtrisent mieux que nous. Là est le souci. Mais l’Union européenne, qui était très libre-échangiste et avait accueilli à bras ouverts les Coréens pour aider les États d’Europe centrale et orientale à installer une industrie automobile, est désormais plus regardante », souligne Bernard Jullien.
Malgré la réticence de l’Allemagne, les Vingt-sept ont voté début octobre en faveur de l’instauration de surtaxes allant jusqu’à 36 % sur les voitures électriques chinoises. Un premier pas qui pourrait ne pas être suffisant. « Ces taxes protègent les constructeurs européens, mais pas les équipementiers automobiles, s’indigne Christophe Périllat, le directeur de Valeo. Ce qui a été décidé par la Commission européenne, c’est finalement de protéger l’usine d’assemblage, de forcer les constructeurs chinois à s’établir en Europe. Mais avec des équipements venant d’où ? D’Europe, de Chine ? C’est une question à 13 millions d’emplois. »
"Nous avons de beaux restes"Un coup de gueule qui semble avoir été entendu. « Il va falloir effectivement la même chose pour les composants, reconnaît Bernard Jullien. Mais on ne reste pas l’arme au pied comme lors de l’arrivée des Coréens. »
L’expert se montre même raisonnablement optimiste. « Un, nous avons des protections. Deux, nous avons un peu de temps pour nous adapter. Trois, nous avons de beaux restes et ne sommes pas restés sans rien faire. Nous avons vu sur le Mondial qu’il existe une offre française de qualité susceptible de fonctionner. On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein », plaide-t-il avant d’émettre une réserve : « On peut difficilement avoir de politique industrielle sans protectionnisme. Nous avons le protectionnisme, il nous manque la politique industrielle. Il y a une riposte européenne aux offensives chinoises et américaines, proposée par Mario Draghi sous la forme d’un très grand emprunt et de subventions massives. Mais les Allemands vont, à nouveau, se faire tirer l’oreille pour l’accepter », tranche-t-il.
"Le segment roi"Le spécialiste de la filière automobile devine un petit coin de ciel bleu. « Il y a un seul projet qui pourrait donner le sourire, c’est le projet Renault Electricity, dans les Hauts-de-France, où seront produites la R5 et la 4L. Deux voitures qui sont sur le segment roi et devraient faire des volumes », prédit-il.
L’économiste espère que cela donnera des idées à Stellantis. « Pour l’instant, Carlos Tavares ne veut pas faire revenir ce segment-là dans l’Hexagone. Mais il pourrait se laisser convaincre que relocaliser une 2008 ou une 208 électrique est une bonne idée. Sans quoi, nous aurons du mal à atteindre l’objectif fixé par Emmanuel Macron de 2 millions de voitures électriques produites en France à l’horizon 2030 », assure-t-il.
Pour y parvenir, la France dispose d’un atout majeur. « Dans la production d’une voiture électrique, le coût de l’énergie est plus déterminant que celui de la main-d’œuvre. Et grâce à l’électricité nucléaire, la France, qui souffre d’un déficit de compétitivité sur les voitures thermiques par rapport à l’Espagne, rivalise sur ce point-là, véritable nerf de la guerre. »
Dominique Diogon