Dans le Puy-de-Dôme, ces jeunes partagent une colocation et leur temps avec les résidents d'un Ehpad
Camille a posé ses cartons en septembre, dans un grand appartement de 124 m2, en plein Issoire. Elle a désormais deux colocataires, Yohann et Caneji… et une trentaine de voisins directs : les résidents de l’Ehpad La Providence auxquels elle va rendre visite deux à trois heures par semaine.
Ce temps passé auprès de ces aînés fait partie de l’accord initial et du dispositif qui a permis à Camille de s’installer récemment rue de la Safournière. Chaque mois, elle règle 250 € de loyer, toutes charges comprises (*). Moyennant quoi, elle dispose d’un grand espace de vie partagé à trois (cuisine, salle à manger, salon, cellier) et d’une chambre personnelle avec sa grande salle de bains. Camille, l'une des colocataires, dans la cuisine partagée. Photo Marie-Edwige Hebrard 14/10/2024
Un tremplin pour s'élancerEngagée dans une reconversion professionnelle, c’est justement grâce à ce retour en formation que la colocation solidaire est arrivée à point nommé. Telle une providence ! Initialement pensée comme une proposition d’hébergement pour les étudiants qui cherchaient un logement à prix très raisonnable, la colocation solidaire s’est également ouverte aux personnes avec un nouveau projet professionnel et qui rencontraient des problèmes de logement.
Pour moi, qui ai repris une formation qui aura lieu à Clermont et qui suis en train de rénover ma maison, à Saint-Jean-Saint-Gervais, c’était la solution idéale
souffle Camille.
Quelques heures par semaine"Notre réflexion initiale, en 2021, partait d’un double constat : on disposait d’un grand appartement de fonction, inoccupé. Et nous avions développé des appels à projets, auxquels on était éligibles et que nous avions remportés mais qui étaient difficiles à mettre en œuvre, faute de personnels et donc de bras", se remémore Fanny Gagnaire, directrice de l’établissement. Elle pense, en particulier, au projet de l’espace cinéma. La Providence avait reçu les financements pour s’équiper d’un grand écran, d’un projecteur et d’enceintes. "Mais qui pourrait venir s’en occuper, le dimanche, par exemple ? "L'Ehpad La Providence bénéficie d'une salle de cinéma où les projections du dimanche après-midi ont lieu grâce aux colocataires. Photo Marie-Edwige Hebrard
Des candidats sensibles au bénévolatPersuadée qu’il faut juste déterminer - et peut-être impliquer - l’inconnu dans cette équation, la directrice évoque la possibilité de créer une colocation solidaire, afin d’ouvrir l’appartement à des jeunes gens "pour leur proposer une expérience de vie différente, entre eux, tout en leur rendant service grâce à un loyer modéré. Dans le cadre du dispositif et parce qu’ils sont sensibles à une démarche de bénévolat, quelques heures par semaine, ils peuvent intégrer la colocation pendant une période de neuf mois, renouvelable une fois pour la même durée", détaille-t-elle.
Quelques heures par semaine, ils vont rencontrer les résidents, dans le bâtiment d’à côté. Et endossent le rôle de projectionniste pour la séance cinéma, par exemple. Mais pas que… Tailler une bavette ou faire une partie de jeux de société peuvent être au programme.Les colocataires de La Providence pourront, par exemple, disputer jeux de société ou de cartes avec les résidents.
Le jour du cinéma, ils viennent nous chercher dans la chambre, pour nous accompagner à la salle de projection. Et ils nous raccompagnent chez nous à la fin
explique Yvette Chastaing, l’une des résidentes de l’Ehpad La Providence depuis plus de cinq ans.Deux résidentes de l'Ehpad La Providence à Issoire. Photo Marie-Edwige Hebrard
"Si on a une visite, pendant la projection, ils viennent nous prévenir, etc.", complète sa voisine de chambre, Madame Douet, ravie du dispositif de la colocation solidaire et, de fait, d’un certain rajeunissement dans les couloirs…
Un acte engagéUne proposition qui fait aussi sens, pour Camille. "Il y a quelque chose d’engagé dans ce fonctionnement. J’encourage les établissements qui ont un parc immobilier inoccupé à faire de même : ça nous aide à sortir d’une forme de précarité de logement et c’est gagnant-gagnant puisque ce contact auprès des personnes âgées est utile. Et apprécié", souligne la jeune femme. Un dispositif qui, de plus, est appelé à évoluer en fonction des colocataires : de leurs sensibilités, de leurs compétences et du temps qu’ils ont à donner. Un ex-colocataire a, par exemple, proposé un après-midi théâtre, conviant sa troupe amateurs à l’Ehpad.
"On pensait souvent en priorité à l’activité cinéma puisque c’est le dimanche et que c’est le jour où il y a le moins de personnel, tandis qu’un étudiant n’a, de fait, pas cours. Mais le dispositif est assez souple pour qu’on l’adapte"
Camille, elle, n’est, par exemple, pas forcément disponible le dimanche. "Avec le lancement de la formation professionnelle, je n’aurais que le week-end pour avancer sur les travaux de ma maison. Alors le dimanche, cela sera trop contraignant". Qu’à cela ne tienne… la jeune femme a proposé de présenter sa chienne, Prune, aux résidents et d’aller leur rendre une petite visite, plusieurs fins de journée par semaine. Une perspective qui enchante déjà Yvette, la résidente.
Assurer l’animation cinéma, faire des jeux ou passer du temps…"Mais je ne ferai pas sans leur approbation. Je trouve normal de leur demander leur avis. J’ai une solide culture du consentement : je vais toujours leur demander si elles sont d’accord pour que je vienne dans leur espace avec Prune" explique-t-elle sans appréhension particulière face à ses nouveaux voisins…
"Depuis que je suis arrivée ici, et de ce que je vois dans cet Ehpad, c’est qu’il y a un soin pour les résidents, avec beaucoup de décence. On considère les personnes âgées comme des personnes, déjà. Comme des individus"
souligne la jeune femme. Une observation qui doit faire plaisir à Fanny Gagnaire, fière et heureuse de restituer, de manière très contemporaine, les principes des sœurs de l'institution Saint-Joseph "qui prônaient l’accueil des plus précaires, d’aider les personnes qui traversent des moments difficiles, et de trouver des leviers pour égayer la vie des résidents".
Les résidents ravis du contact avec les colocatairesFraîchement arrivés entre septembre et début octobre, il reste aux trois jeunes colocataires à prendre leurs marques dans l’établissement pour personnes âgées, et à se rendre presque aussi indispensables aux yeux des résidents que les précédents colocataires, Antoine, Clément et Malikath, qui leur ont laissé d’excellents souvenirs au terme de leur bail.
"Ça viendra : ils ont juste besoin de se familiariser", les rassure Sandra, l’animatrice. "Peut-être que de temps en temps on pourra descendre se balader dans le parc. Toute seule, je ne peux pas… Et ça me prive bien. Mais si on m’y accompagne, ça change tout…", lance Yvette, l’air guilleret. Peut-être même que la très sociable Prune sera de la sortie…
(*) Eau, chauffage, électricité, internet.
Marie-Edwige Hebrard