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Октябрь
2024

Installées derrière leur métier depuis mars, ces lissières du sud de la Creuse ne le quitteront qu'en avril... 2026

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Imaginez : une tapisserie de 23 mètres de long sur 2,15 mètres de haut ! Comme un long ruban tissé, une structure autoportante et modulable qui « permettra au spectateur une déambulation, un voyage émotionnel neuf au cœur de cet écho de vie et d’espoir déposé par George Sand sur nos territoires du cœur de France », souligne Emmanuel Gérard (*), le directeur de la Cité de la tapisserie. Vous ne voyez pas à quoi ça pourrait ressembler et c’est normal : ça n’a tout simplement jamais existé dans l’histoire de ce savoir-faire pourtant ancestral. Mais la tapisserie d’Aubusson, en plein renouveau depuis une bonne dizaine d’années, n’est plus à une innovation près.

Imaginez : une George Sand représentée clope au bec quand même Lucky Luke a dû troquer sa cigarette contre une brindille dans les années 80. De quoi, là aussi, bouleverser les codes.

"Pour installer l’écrivaine dans notre présent et faire résonner sa voix d’extrême contemporanéité, je choisis de la représenter en fumeuse. Elle fumait des cigares et la pipe, je lui mets une cigarette entre les doigts, arborant la pose d’une fumeuse d’aujourd’hui, déterminée et un peu crâne."

Crânes, peut-être pas mais déterminées, Sarah Chassain, Clémence Tonnoir et Agathe Juillet le sont. À la tâche depuis mars dernier dans cet atelier de la manufacture Four où rien, de prime abord, ne laisse penser qu’ici se trame un projet conséquent. Pas d’effervescence, encore moins de métier monumental. Mais sans doute le calme olympien qui règne ici est-il indispensable.

« C’est vrai qu’on n’a jamais vu ça », concède Marie-Catherine Chassain, la directrice. À ses côtés, les trois jeunes lissières opinent du chef. Au printemps, quand elles se sont toutes trois mises à l’ouvrage, elles savaient qu’il s’en passerait des saisons avant que l’œuvre ne tombe du métier. Deux ans de travail seront nécessaires, soit « quelque 8.000 heures », traduit la directrice.

Cette nouvelle génération de lissiers prête à relever tous les challenges

Mais les lissières maîtrisent l’art de la patience comme celui de manier les flûtes et passer les fils. Toutes trois font partie de cette nouvelle génération de lissiers qui n'est pas, elle non plus, à un challenge près. Il n’y a pas si longtemps, Sarah Chassain et Clémence Tonnoir avaient d’ailleurs déjà relevé le défi d’une Miyazaki d’envergure : Le Voyage de Chihiro, une pièce de huit mètres sur trois. Comme il semble loin le temps – pourtant pas si vieux – où le métier ne faisait plus rêver.

"Il y a dix ans, pour la première promo formée à la Cité, il avait fallu aller à la pêche. Là, on est à la huitième promo et on a eu 70 candidatures pour douze places !"

Mais depuis, les appels à la création contemporaine, les tentures Tolkien et Miyzaki sont passés par là.Miyazaki... Sarah, un Chihiro tatoué sur l’avant-bras, n’a pas oublié en effet le “forcing” opéré pour que Pierre-Olivier Four, le dirigeant de la manufacture, candidate lors de l’attribution de la deuxième tapisserie de la tenture dédiée au maître japonais du film d’animation. À ses côtés, il y avait déjà Clémence.

Aujourd’hui, le renouveau se paie même le luxe de franchir une nouvelle étape avec cette pièce hommage à George Sand. Pour ces lissières, « le challenge », comme elles disent, est encore plus grand. Par la taille, oui mais pas seulement.

"Elle est d’un seul tenant, il faut penser à tout. Elle est assez épaisse et au fur et à mesure du tissage, il va rester peu d’espace entre le métier et le banc."Marie-Catherine Chassain (Directrice de la manufacture)

Mais Clémence, Sarah et Agathe s’en accommodent. Les deux premières tissent assises, la troisième debout, échangeant parfois leur place pour ne pas céder à la lassitude, peut-être, d’œuvrer sur le même morceau.

Déjà près de 6 mètres tissés

« Miyazaki, c’était plus tranché, rapporte Sarah. Là, c’est plus flouté, il y a plus de fondus. C’est aussi beaucoup plus grand, oui, et il y a plus d’interprétation. La principale difficulté, en fait, c’est la chaîne qui se ramollit et le carton qui bouge. » « Mais on ne s’ennuie pas, le dessin est toujours très varié », reprend Clémence.

Dévoilée pour les 150 ans de la mort de George Sand

Françoise Pétrovitch a choisi de représenter George Sand « entourée de personnages, ou plutôt d’apparitions […]. Placé au-dessus de la figure allongée, l’oiseau représente la liberté et l’espace infini. Chez George Sand, l’oiseau revêt un sens réel mais aussi poétique et sacré ».

Dans le livret de présentation du projet, l’artiste souligne également l'originalité de cette structure autoportante et modulable : « On découvrira la tapisserie comme on tourne les pages d’un livre d’images, chapitre après chapitre, pan après pan ».Pour cette tapisserie monumentale, laine creusoise, bouclette, laine de soie, bambou, rayonne, coton… seront utilisés. Elle sera achevée en avril 2026 mais dévoilée deux mois plus tard, le 8 juin, pour les 150 ans de la mort de George Sand.

Imaginez : aujourd’hui, presque un quart du travail est déjà fait. « On est à 5,70 mètres, précise Agathe. On est au premier carton. Le deuxième, les cheveux, on devrait le commencer d’ici la fin de l’année. » Car, si habituellement, la cartonnière (Delphine Mangeret) dessine un seul et unique carton, pour cette pièce, elle en fera quatre. Des cartons non numérotés qui interpellent aussi les visiteurs : « Ils nous demandent comment on fait pour tisser sans les numéros de couleurs », s’amusent Clémence, Sarah et Agathe.

Et des couleurs, elles vont en voir en passer durant ces deux années. « Sur le chapelet de base, on a 680 couleurs mais là, on doit déjà être à 800 ».Imaginez, oui, vous ne pouvez faire que ça car il faudra patienter jusqu'au 8 juin 2026 pour voir à quoi ça ressemble.

Séverine PerrierPhotos : Bruno Barlier

(*) Dans le livret de présentation du projet Hommage à George Sand.