BIG 10 : focus sur la notion de progrès " for good " en entreprise
" Nous croyons que les entrepreneurs sont une des grandes solutions aux problèmes de notre société, car ils mettent chaque jour leur existence en jeu au service du progrès ", avait déclaré Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, en préambule de BIG 10. Quoi de mieux pour débattre du progrès en entreprise que de convier trois entrepreneurs chevronnés sur le plateau Big média à l'occasion du plus grand rassemblement busines d'Europe ? Eva Sadoun, présidente et cofondatrice de Lita.co et de Rift, Thomas Huriez, président de 1083 et Thomas Breuzard, directeur du modèle de permaentreprise chez Norsys, sont venus débattre au coeur de l'Accor Arena Paris, le 10 octobre dernier. Extraits.
Redéfinir la notion de progrès en 2024
Le progrès " for good " peut-être défini comme une démarche visant à placer l'impact sociétal au coeur de la croissance économique, notamment grâce aux nouvelles technologies et outils digitaux. Largement plébiscité dans les grands groupes, est-il pour autant une réalité dans les PME françaises aujourd'hui ? " Il me semble évident que le progrès est culturellement lié au développement de l'entreprise, c'est-à-dire au niveau de la croissance et du volume d'affaires, explique d'entrée Thomas Breuzard. On ne peut évidemment plus se satisfaire de cela en 2024, il faut les coupler à un progrès social et environnemental. "
De son côté, Thomas Huriez a du mal à cerner ce qu'est le progrès en 2024, avançant son aspect flou : " Nous avons connu le communisme, puis le socialisme et enfin le capitalisme. Nous sommes quelque peu orphelins du 'isme' de demain ! L'altermondialisme n'est pas clair, l'anticapitalisme ne définit pas un vrai projet, la transition est un chemin mais pas une destination. Notre projet de société n'est pas clair. Lorsque nous aurons une direction commune, nommée, il sera plus simple de tous s'y rejoindre. "
Eva Sadoun travaille quant à elle sur la question du " care " (les soins permanents et quotidiens, ayant pour fonction d'entretenir la vie en la nourrissant en énergie, NDLR) actuellement. " J'ai trouvé dans le care une théorie qui allie autant la question de la revalorisation de l'utilité de l'économie, que de la revalorisation de métiers utiles à la société, qu'un moyen d'apporter de la prospérité à moyen terme et également de questionner notre utilité en tant qu'humains sur cette planète ", décrit-elle. Car si la majorité des entrepreneurs sont partis de la théorie de l'homo economicus pour développer leur business, pour tendre vers l'intérêt général, le care demande une interdépendance. " Il faut accepter le fait que l'on soit toutes et tous vulnérables et sur cette base, reconstruire une société ", défend la présidente de Lita.co.
La permaentreprise ou le futur du monde du travailLa permaentreprise repose sur trois piliers indissociables : prendre soin des humains, de la planète, se fixer des limites et partager les richesses. " Ce n'est pas de la décroissance, justifie Thomas Breuzard, directeur permaentreprise chez Norsys. Il convient de recentrer le débat : oui on peut créer de la richesse, mais il faut le faire sans dégrader les conditions d'existence des êtres humains. " Est-ce qu'aujourd'hui les offres de produits et services répondent à des besoins réels et utiles ? Est-ce que l'on prend soin des salariés pour y arriver ? Est-ce que l'on considère à leur juste valeur les ressources naturelles dont on a besoin pour réaliser nos activités ? " Nous avons trouvé dans la permaculture une formidable source d'inspiration pour réinventer notre modèle d'entreprise, se réjouit Thomas Breuzard. " Chez Norsys nous possédons une croissance stable alors que depuis quatre ans, tous les marchés fluctuent. Le turn-over est beaucoup plus faible que chez nos concurrents et nous maitrisons notre bilan carbone. "
Être rentable tout en préservant la planète, une équation à laquelle Thomas Huriez tente de répondre chaque jour avec 1083, une marque de vêtements éco-conçus et made in France, lancée en 2013. " Il y a quelques années, gouverner son entreprise revenait à savoir bien gérer son argent, concède l'entrepreneur basé à Romans-sur-Isère. Désormais, il convient également de bien gérer son personnel tout en veillant à la préservation de l'environnement. Si on ne prend pas soin des trois piliers de la permaentreprise, non seulement l'activité n'est pas durable, mais vos salariés finissent par s'en aller. " Le fait qu'Eva Sadoun évoque le care sur le plateau fait écho, selon lui, aux métiers manuels dont on n'a pas su prendre soin dans l'industrie française. " Les métiers manuels ont longtemps été désavoués dans notre pays. Quand tous les salariés d'une usine se nomment 'opérateurs', alors que chacun occupe un poste différent, on ne respecte ni les talents, ni les savoir-faire ", se désole-t-il. La permaindustrie, pendant industriel de la permaentreprise, doit permettre de se recentrer sur cet aspect humain indispensable, d'après lui.
Les conseils d'Eva Sadoun, Thomas Huriez et Thomas Breuzard aux entrepreneurs" Il est plus facile de poser les bonnes bases plutôt que de conduire le changement une fois l'entreprise lancée, conseille d'emblée Thomas Breuzard. Il faut bien penser aux trois piliers de la permaentreprise dès le départ et résonner en termes de service ou produit utile. " Et ainsi cocher toutes les cases d'un business pérenne.
" L'entrepreneuriat c'est dur, donc réfléchissez-y à deux fois avant de vous lancer, plaisante Eva Sadoun. On prend des risques financiers, mais aussi personnels, avec un aspect santé mentale à bien prendre en compte afin de gérer efficacement vie professionnelle et vie personnelle. " La cofondatrice de Lita.co et de Rift exhorte les entrepreneurs à se lancer dans des activités qui les transcendent, qui font appels à des choses inhérentes à leur vie. " Entreprendre est une véritable aventure de vie, pour les dix ou quinze prochaines années de votre vie. Lancez des choses qui font appel à votre coeur... et votre care ! "
Pour Thomas Huriez, président de 1083, il est crucial de ne pas mettre de distance entre les gens et leurs décisions. Il s'explique : " Lorsque l'on voit l'état du monde actuellement, je me dis que nous ne sommes pas tous irresponsables, mais 'aresponsables'. C'est-à-dire que nous ne sommes pas en mesure d'être en responsabilité, en conscience de tout ce qui se passe, tellement les conséquences des choix que l'on fait sont loin de nous, ce qui est désengageant. Vous ne mettriez jamais de pesticides sur des tomates de votre jardin amenées à être mangées par vos enfants ? Pour autant vous n'allez pas forcément consommer bio, alors que cela revient au même. " Une façon de faire réfléchir les entrepreneurs sur le réel impact du Made in France, de la production locale, des circuits courts, etc. La proximité a clairement une conséquence sur l'engagement.
La mise en place du " for good " chez 1083, Lita.co et Norsys" Nous avons créé un conseil éthique il y a 7 ans chez Norsys, s'enthousiasme Thomas Breuzard. Nous avons rédigé une raison d'être, c'est-à-dire l'idéal vers lequel nous souhaitons tendre. En résumé, quel est le progrès auquel nous voulons contribuer en tant qu'entreprise ? L'éthique s'est imposée rapidement, aussi bien au niveau de nos salariés que des clients de Norsys. " Une entité dédiée a donc été créée en interne, inscrite dans le statut de la société, avec un rôle de conseil vis-à-vis du comité de direction, composé de salariés, de membres de la direction mais aussi des personnes externes qualifiées sur le sujet. " Nous sommes en train d'inventer la nouvelle culture de l'entreprise, ajoute Thomas Breuzard. Nous créons par exemple des outils pour que nos commerciaux puissent décider eux-mêmes ce vers quoi il faudrait aller pour le développement de leur activité. Qu'ils puissent renoncer à des projets dissonants avec notre modèle de la permaentreprise et soient également à même de réfléchir à des choses nouvelles en termes de transition écologique. "
Pour Eva Sadoun, la mise en place de la semaine de quatre jours sonnait comme une évidence. " Nous l'avons acté en mai 2024 et avons fait le pari que réduire le temps de travail est un vrai moyen de rendre les gens plus heureux et aussi plus efficaces. Et puis surtout lutter contre un mensonge de notre économie, qu'elle soit sociale ou pas, de toujours mettre en avant la valeur travail. Cette dernière est trop importante dans nos vies, même si c'est une belle valeur. Je pense qu'il est essentiel de pouvoir bien s'occuper de ses enfants, d'aider ses parents ou grands-parents, prendre le temps de vivre mieux tout simplement en sortant de cette dynamique de surperformance. Tout ceci doit nous permettre d'inventer une nouvelle économie. "
Chez 1083, la mise en place du " for good " est passée par deux événements, d'après son président. " En 2018, en pleine levée de fonds avec des fonds à impact, nous avons intégré, avant la loi PACTE d'ailleurs, une mission dans nos statuts et nous sommes tous au service de cette dernière, explique Thomas Huriez. Et puis le fait d'avoir réintégré la production était important pour moi. Sur 100 collaborateurs chez 1083, la moitié est constituée par du personnel de production, des tisserands, des ourdisseurs, des couturiers... Notre entreprise crée mais aussi partage. L'usine est un lieu de production de biens, mais aussi un endroit où l'on produit de l'émotion. L'estime de ces métiers s'en trouve réhaussée avec un personnel qui se sent valorisé ", conclut l'entrepreneur.
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Cet article a été publié initialement sur Big Média BIG 10 : focus sur la notion de progrès " for good " en entreprise