ru24.pro
World News in French
Октябрь
2024

"Un vrai travail de détective" : Edgard Daval raconte son activité d'expert en livres anciens

0

« On ne tombe jamais sur le même livre. Tout est toujours différent ».Aucune monotonie, dans le travail d’expert d’Edgard Daval, installé à Saint-Pourçain-sur-Sioule depuis vingt-sept ans. Il expertise les livres anciens, les éditions rares et les manuscrits.Fort de quarante ans d’expérience, le cabinet bourbonnais offre son concours pour les expertises privées ou judiciaires, les successions. Effectue des missions auprès des compagnies d’assurances et les ventes aux enchères pour les études de commissaires-priseurs. « Ce sont eux ou des particuliers qui nous contactent. Quand une famille se retrouve au décès d’un proche avec un grand nombre de livres, son réflexe, c’est la salle des ventes, mais ils ont besoin du regard d’un spécialiste », raconte le bibliophile. « On a aussi des personnes âgées qui préfèrent vendre leur collection de leur vivant ».

Membre de la Compagnie nationale des experts, le cabinet est présent sur le marché international de l’art et participe à plusieurs ventes aux enchères par an, à Lyon et Paris notamment (il travaille avec les maisons de ventes De Baeque et Artcurial, entre autres).Edgard Daval, expert en livres anciens à Saint-Pourçain-sur-Sioule, parle son métier avec ferveur. La passion d'une vie. Photos Séverine TREMODEUX 

Comment devient-on expert en livre ancien ? « Il n’y a aucune formation ! », rigole-t-il.

Pour faire ce métier, il faut aimer le livre. Vibrer sur un maroquin du XVIIIe, s’exciter sur un manuscrit médiéval, aussi bien que sur une reliure moderne… Je suis né avec un livre à la main. J’ai d’abord été libraire, à Paris dans le XVIe et à Lyon, mais j’ai vite choisi le métier d’expert. Nous, on vend de la matière grise, sans le côté commercial. Et puis, cela permet de voir beaucoup plus de livres ! Ce que j’aime, c’est que dans un livre, il y a d’abord le fond, le texte, mais aussi la couverture, la qualité de la reliure… 

Avec sa consœur du cabinet Marilyne Picard, ils se déplacent partout en France : « Il y a beaucoup plus de livres dans le nord, sans doute parce que la place manque moins… ». 

Les critères pour évaluer la valeur d'un livre

Un des premiers critères est bien sûr l'intérêt du texte, qu'il s'agit d'abord de déchiffrer... Photo Séverine TREMODEUX

 Comment ça se passe ? « On va estimer le livre sur place. Il y a beaucoup de critères, l’ancienneté du livre, l’intérêt du texte, son positionnement dans le monde des idées ». Il cite aussi « l’état du livre, le papier utilisé, la qualité et l’état de la reliure, l’absence de rousseurs, la provenance, par exemple un livre ayant appartenu à Richelieu intéressera les collectionneurs ». Ce qui fait monter le prix d’un livre, c’est aussi « le caractère exceptionnel d’enluminures sur un livre d’heures ». De plus, « une première édition originale des Fleurs du mal, de Baudelaire, sera vendue de 10 à 15.000 euros, quand une deuxième édition partira à 1.000 euros à peine ».Autre défi, reconstituer l’historique des ventes d’un livre. « Ça, ce sont des éléments qu’on apporte, notre travail d’expert. On cherche le détail. Il peut y avoir un numéro ou une signature sur une page de garde. Ça, c’est un vrai travail de détective. Heureusement, aujourd’hui, il y a le Dieu internet. Des outils qui permettent de détecter la langue du livre. On utilise même l’intelligence artificielle pour localiser des exemplaires d’un livre ».

Gare aux faussaires, de plus en plus nombreux

Livre d'heures médiéval, avec ses enluminures. Photos Séverine TREMODEUXAutre nécessité, prouver qu’un livre n’est pas un faux :

Il y a de plus en plus de faussaires, il faut donc assurer la traçabilité des livres. Si j’arrive à dire qu’il a figuré dans le catalogue d’une vente aux enchères d’une XIXe, ou dans telle bibliothèque, cela fait monter la valeur du livre.

Il garantit aussi que le livre est complet : « Nous comptons les pages. Nous réalisons des notices, avec les photos prises par une photographe professionnelle, pour les institutions nationales, comme la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques ou le fond de documentation de grosses sociétés ».La notice de la Description de l'Egypte, dont un exemplaire a été expertisé par le cabinet bourbonnais. Photos Séverine TREMODEUX

Quels livres l’ont le plus marqué ? « La description de l’Égypte, récit de la campagne d’Égypte de Napoléon, avec des milliers de gravures. Ce livre extraordinaire, je sais que je ne l’aurai qu’une fois dans ma vie entre les mains ».

Un trésor découvert dans un cageot de légumes

Ce livre d'heures vient d'être vendu à Lyon pour 200.000 euros. Une pièce exceptionnelle. Les petits personnages servaient à distraire le lecteur de ce livre de prière. Photo Delphine Maleuvre. 

Il évoque un journal de voyage de 1536 d’un pèlerin parti à Jérusalem, qu’on lui avait amené « dans un simple cageot de légumes. Il raconte les attaques de pirates… Extraordinaire ». Il s’est vendu 400.000 euros. Et ce Coran, miraculeusement trouvé dans une maison quasi vide de l’Allier.

On va dans la cuisine avec le commissaire-priseur, et là, derrière la porte, sept pages tombent. En arabe. C’était une partie du Coran d’Abdelkader [chef militaire algérien, au XIXe], vraisemblablement ramené d’un séjour en Algérie par un membre de la famille et entreposé au grenier, comme cela arrive souvent. Les gens ont des trésors, chez eux ! Celui-là s’est vendu au Louvre.

Il se souvient de cet autre particulier, qui avait trouvé, dans la maison de son oncle, deux exemplaires du Coran. « Lui pensait que ça ne valait rien, ils se sont vendus 1,5 million d’euros ! Les enchères peuvent monter, si deux personnes veulent le même bien… »Parmi les livres qui le passionnent le plus, les récits de voyage des XVIe, XVIIe et XVIIIe : dans l’un d’eux, « Le voyage commence en forêt de Tronçais, quand l’armateur va faire des essais sur la qualité du bois pour les tonneaux... ». Un autre raconte les détails sanglants de son périple : « On est complètement dedans ».

Ce manuscrit en latin et en francais, livre d'heures à l'usage de Rome, attribué à des proches de Jehan Pucelle, a été réalisé vers 1325. Photo Delphine Maleuvre.

Dernière grosse vente, un manuscrit exceptionnel du XIVe, un livre d’heures exécuté par l’entourage du maître Jean Puchelle vers 1325. Il a été vendu aux enchères, à Lyon, pour 200.000 euros.Qui sont les acheteurs ? « 30 % des livres partent à l’étranger ». Il existe deux types d’acheteurs, selon l’expert. « Les vrais amoureux des livres, qui font des investissements plaisir et se fichent du prix. Certains collectionnent toute leur vie un seul auteur ». Ensuite, les traders « qui les mettent au coffre. Un ouvrage du XIVe vendu 100.000 € ne perdra pas de sa valeur. Les livres d’heures ont gagné en vingt ans 20 % de leur valeur. Un bon livre ne perdra jamais de sa valeur ».

 

Ariane Bouhours