La fille de son père
Isabelle Pandazopoulos signe un premier roman mettant en scène une psychanalyste méconnue: Anna Freud.
Le célèbre psychanalyste Sigmund Freud eut, avec sa femme Martha, six enfants. Anna fut la petite dernière. Celle qui donna le plus de fil à retordre à son père. Celle, aussi, avec laquelle il noua une relation éminemment complexe. C’est à elle, vilain petit canard de la portée, que l’écrivaine Isabelle Pandazopoulos consacre son premier roman. Un personnage fascinant qui aurait pu faire sienne la phrase de Marie Darrieussecq : « Les femmes n’ont pas de nom. Elles ont un prénom. (…) Elles s’inventent dans un monde d’hommes, par effraction. »
Le principe du cordonnier mal chaussé
Pour Anna tout fut difficile et ce dès la naissance. Enfant non désirée, elle sera mal aimée par sa mère. Son enfance sera jalonnée de différents maux psychosomatiques, dont la dépression et l’anorexie. Elle nourrira une jalousie morbide pour ses frères et sœurs, n’ayant qu’un seul rêve : être la préférée de son père. Durant trois années, Freud la prendra en analyse, à raison de trois séances par semaine. Même si analyser ses proches était déjà largement déconseillé, nombreux furent ceux, à l’époque, qui passèrent outre cette recommandation. Anna, contrairement aux femmes de sa famille, émit très tôt le souhait de travailler mais ses parents s’y opposèrent. Opiniâtre, elle parviendra pourtant à ses fins et deviendra institutrice. Métier auquel elle finira par renoncer du fait de sa santé fragile. Le roman s’ouvre en 1946. Anna est entre la vie et la mort. Pour prendre soin d’elle sa mère a fait appel à une garde malade à laquelle Anna va conter l’histoire de sa vie. Les chapitres alternent harmonieusement entre passé et présent. 1946 à Londres, où la famille Freud est venue se réfugier à la veille de la guerre. 1920, à Vienne, où Anna fit ses premiers pas en tant que psychanalyste pour enfants. C’est la formidable ascension de cette jeune femme fragile que retrace l’écrivaine avec une empathie communicative.
Émancipation impossible
Tout au long de son parcours Anna sera soutenue par l’écrivaine Lou Andréas Salomé et, malgré leur différence d’âge, les deux femmes resteront soudées à vie. Le chemin d’Anna Freud croisera aussi celui de l’Américaine Dorothy Burlingham. L’attirance entre les deux femmes est immédiate. Mais le terme d’homosexualité jamais prononcé. Celle-ci était alors considérée comme une déviance et empêchait d’exercer en tant que psychanalyste. Anna Freud avait donc toutes les raisons d’être discrète. « Ne jamais rien en dire. A personne. Jamais. A personne. A lui non plus. Elle s’en ferait une règle absolue ». On peut cependant arguer qu’il ne fut pas dupe. Au fil des pages, Isabelle Pandazopoulos explore avec infiniment de subtilité la relation d’Anna et Sigmund Freud. Une relation ô combien ambiguë. Sa vie durant Anna cherchera à s’émanciper de la figure du père et y restera pourtant maladivement attachée. Après sa mort en 1939, elle écrira « je l’emporterai avec moi. C’est avec lui que je veux être enterrée. C’est ça que je veux, m’enrouler dans son odeur et disparaître, comme sa bien-aimée, sa seule aimée, son unique enfant ». Avec Les Sept maisons d’Anna, Isabelle Pandazopoulos signe une remarquable biographie romancée qui a le mérite de mettre en lumière une fille, mais aussi son célèbre père au soir de sa vie. Passionnant.
368 pages.
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