Camille Emmanuel décrypte le phénomène new romance : "J'ai même trouvé de la gay amish romance"
C’est drôle. Vraiment drôle. Intelligent. Tellement intelligent. Et punk. À l’image de Camille Emmanuelle qui manie la nuance et l’intransigeance camusienne avec une facilité envoûtante.
Le livre balance tout du long entre pour et contre la new romance. Tu as tranché ?
C’est dangereux de trancher. Ça sous-entend une vision puriste de la littérature. Et ça s’attaque toujours aux romans populaires. Est-ce que c’est bien écrit?? Je ne trouve pas, mais c’est très efficace narrativement. Sur le contenu ? Ça interroge sur cette génération post metoo, qui a accès à énormément de contenu féministe et en même temps va poncer ces récits assez réacs.
Le principe est quand même : à la fin les connards deviennent gentils si tu les sauves, donc c’est ok s’ils te maltraitent. Les femmes seront sauvées par l’amour, donc le message c’est « si un homme te fait du mal, c’est parce que tu n’as pas assez tendu l’oreille. »
En plus de la charge mentale, il faut sauver les hommes. Mais il y a une ambivalence entre attirance du mâle alpha et la pensée féministe. On ressent bien dans le livre que le féminisme est un état de dissonance, de combat interne.
Le féminisme est une remise en question. J’ai du mal quand il est une sorte de pureté. Comme s’il fallait tout cocher. Je ne veux pas qu’une gamine de 16 ans ne se sente pas féministe parce qu’elle n’est pas dans la norme. C’est un effort, et parfois on fatigue. Expliquer à chaque Noël qu’on n’est pas une féminazis… Je ne peux pas passer ma vie en colère non plus.
L’identification est-elle forte chez les lectrices ?
La new romance est toujours écrite à la première personne. J’ai offert un roman à ma nièce et direct, elle me dit « non, c’est écrit il ou elle, j’aime pas ». Je ne pense pas qu’on lise de la new romance et qu’ensuite on passe à Annie Ernaux. Tu ne lis que ça, parce que tu es trop ciblée. L’appareil éditorial est tellement fort qu’il submerge tout. Dans le pass Culture, la new romance a dépassé les mangas. Je conseille aux adultes d’en lire un ou deux, ça suffit de toute façon. Et pouvoir parler. Dire que les femmes ne sont pas toujours en position de vulnérabilité. Que les hommes ne sont pas toujours des salops, donc il ne faut pas accepter quand ils le sont.
Il y avait, avant, les romans à l’eau de rose.
C’était des univers assez éloignés. La new romance est contemporaine, ce n’est pas le châtelain, veuf… Et puis, cela va beaucoup plus loin. L’héroïne peut se faire séquestrer, violenter… Mais c’est un détail.
Il y en a un où le mec fait des viols en groupe, mais il ne viole pas l’héroïne et ça devient une preuve d’amour. Il y a des genres : step father, ennemy to lovers, slow burning… On dirait des tags de sites pornos. Il y a de tout, j’ai même trouvé de la gay amish romance.
Et ton expérience personnelle d’autrice ?
Il y a 10 ans, j’écrivais de la new romance en me disant qu’il n’y aurait rien de pire. Et puis est arrivée la dark romance. Et là, l’ultra dark romance arrive. 50 nuances de gris, c’est mignon, mais ça ne suffit plus qu’il y ait des menottes et qu’on la garde captive. Je ne l’ai fait qu’un an, mais je touche encore des sous. Chaque année, on reçoit tout ses droits en même temps. C’est un peu vexant quand je touche 4 euros sur mes livres et beaucoup plus pour ma new romance Cucul, de Camille Emmanuelle, éd. Verso, 256 p., 19,50 € Propos recueillis par Simon Antony