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Октябрь
2024

Du lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand au documentaire dans une prison brésilienne : rencontre avec Lauranne Simpere

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Ah les hasards de la vie ! Après plusieurs échecs scolaires dans sa région parisienne natale, Lauranne Simpere questionne ses parents, à l’âge de 16 ans : est-ce que j’arrête ou est-ce que je pars en internat un peu plus loin ? Intéressée par le monde du cinéma, elle dépose des dossiers dans divers établissements et c’est ainsi qu’elle atterrit au lycée Blaise-Pascal, à Clermont-Ferrand. Il y a une vingtaine d’années de cela… « Je m’en souviendrai toujours. Je suis arrivée par la zone industrielle, en voiture, avec mon père. Et là, je me suis mise à fondre en larmes en disant : “mais mon Dieu, qu’est-ce que c’est que cet endroit ?” Puis je suis arrivée à l’internat. Et en fait, j’ai très vite adoré. » Depuis, même installée aujourd’hui à Bordeaux, elle se considère comme Auvergnate d’adoption.

Un prix du jury

De ses deux années de lycéenne clermontoise, la réalisatrice de 36 ans retient « la super ambiance » et cette énergie particulière, « une émulation associative, créative, qui tout de suite m’a embarquée ». Il y avait ce bar à chicha aussi « où tout le monde se retrouvait pour faire de la musique et des courts métrages avec ce qui nous tombait sous la main ». Et le miracle a eu lieu, la jeune fille a retrouvé goût au système scolaire : « L’internat, l’étude le soir et l’option cinéma, qui était coefficient 11. Je dois dire merci à l’option cinéma ! Sans elle, je n’aurais pas eu le bac (rires). »

On le devine dans ses yeux qui pétillent, les images défilent. Les études de films, passionnantes, avec « Monsieur Guerlesquin », l’enseignant qui était « un peu la rockstar de l’option ». Le prix du jury au festival Ciné en herbe de Montluçon pour son court métrage de fin de lycée, Rêve automnal, qui lui a donné la confiance : « D’un coup, je me rends compte qu’ils ont compris ce que je voulais raconter et que faire des films, ça peut plaire à des gens. »

Franck Keller, alias Claude Brasseur. Dans les souvenirs de Lauranne Simpere, le cinéma se résumait, au début, à un métier : acteur. Son tonton était comédien, faisait de la voix off. Sa cousine courait les castings. Puis, un jour... « J’ai joué, une fois, dans une série, annonce-t-elle dans un grand éclat de rire. C’était Franck Keller, avec Claude Brasseur. L’épisode s’appelait Vincent, l’innocence même. Ma carrière de comédienne s’est arrêtée là parce que je suis morte au bout de trois minutes. Mais j’ai découvert toute la machinerie qu’il y avait autour, le travail d’équipe, la préparation aussi car j’avais fait un stage avec un cascadeur. C’est là que je me suis dit, le métier de comédien est sympa mais tout ce qui se passe derrière eux est tout aussi fascinant. »

Les soirées Volkino

Certains Clermontois se souviennent sans doute des soirées Volkino, chaînon artisanal de la vie culturelle locale. Lauranne fait partie de ceux qui ont créé l’association, en 2007, de retour d’un stage au Canada où elle a découvert le mouvement kino. « Leur slogan, c’est “faire bien avec rien, faire mieux avec peu, mais le faire maintenant”. J’ai assisté au Kino festival à Montréal. Pendant dix jours, tu as des gens qui viennent du monde entier, qui créent des films toutes les 48 heures et toutes les 48 heures, il y a des projections. Ils font le montage dans une grande salle, c’est quelque chose de génial, de dément. » À 18 ans, c’est le coup de cœur, qui réveille son côté punk : « J’en suis sûre alors, c’est ça que je veux faire (rires). »

Lauranne revient régulièrement à Clermont-Ferrand et ne rate pas une édition du Festival du court métrage (photo Francis Campagnoni).De retour à Clermont, elle en parle à un pote. Une association se crée, des courts métrages sont réalisés et projetés dans des bars de la ville. Puis ça prend de l’ampleur. « À un moment donné, nous sommes sortis des bars et nous allions salle Camille-Claudel. C’était de vrais événements, avec des concerts, des DJ, des projections. Il y avait un monde fou… »

Un BTS au Puy-en-Velay

Pour Lauranne, cette folle parenthèse aura duré une année. « Au bout d’un an, il a fallu que j’établisse un schéma de vie un peu plus carré », se rappelle-t-elle aujourd’hui, visiblement amusée par l’exercice du voyage dans le temps.Après Volkino, elle se lance dans un BTS en alternance au Puy-en-Velay, pour se perfectionner dans la technique du montage. Essentiel selon elle pour compléter la panoplie de la réalisatrice. Elle ramène de là-bas un diplôme et une bande de copains dont Adrien, qui partage les mêmes visions et la même envie de bosser ensemble.

Quelques mois plus tard, les voilà posés à Bordeaux (ah les hasards de la vie et ce couple de Bordelais, rencontrés lors d’un road trip en Europe de l’est, qui lui avaient « survendu la ville »). L’association Douze films productions naît très rapidement, les premiers projets arrivent, avec du spectacle vivant, un peu d’institutionnel aussi. « Au début, on se faisait la main, on apprenait à travailler… »

Projets socioculturels à Bordeaux

Une expérience vécue au Brésil (lire ci-dessous) lui donne envie de se recentrer sur des projets socioculturels. Ses camarades sont partants et la petite association devient Douze films, tout court. Pendant des années, les projets d’éducation autour de l’image et du cinéma s’enchaînent, ici avec des malades d’Alzheimer, là en immersion dans une maison d’enfants à caractère social, plus tard avec l’institut national des jeunes sourds…

Sur le tournage de son court métrage "Héritières".Lauranne s’épanouit dans ce format mais n’oublie pas la fiction pour autant. Ainsi, le tournage de son court métrage, Héritières, en 2021, convainc toute l’équipe de se lancer dans la production. La coopérative 12 Bis productions a vu officiellement le jour le 2 septembre dernier. Ainsi démarre une nouvelle étape dans une carrière, déjà riche et hétéroclite, lancée par hasard le soir où Lauranne a choisi de partir en internat à Clermont-Ferrand.

Deux aventures marquantes au Brésil

En 2014, Lauranne Simpere participe à un concours de scénario baptisé "Talents en court" à Contis. Elle apprend qu’une boîte de production brésilienne spécialisée dans l’éducation par le cinéma dans le nord-est du Brésil recherche un jeune réalisateur pour les accompagner sur le projet « Cinema no interior ». Au culot, elle postule et elle est choisie. Trois mois d’immersion, de tournage, d’échanges culturels, de rencontres. « Une grosse épopée », résume la jeune femme qui a tourné sur place un documentaire. L’aventure lui sert de déclic et aiguise sa fibre sociale. « J’ai vraiment découvert que le cinéma peut être utile. »

Deux ans plus tard, la même société de production la rappelle pour un nouveau projet, « Ciné liberdade ». Il s’agit cette fois-ci de faire des films au sein d’un centre de détention pour mineurs, avec des jeunes qui font partie de gangs. Marquant, évidemment. Elle n’a pas oublié le visage de Daniel, considéré comme sociopathe et pourtant si timide avec une caméra dans la main. « Le dernier jour, il m’a confié : “Je ne sais pas quand je vais sortir mais quand je partirai d’ici, j’irai à Rio de Janeiro. Je volerai un appareil photo et je t’enverrai mes images…” » Ou cet autre gamin, froidement lucide : « Il me dit : “Fais gaffe, ne t’attache pas trop à nous parce qu’on a une durée de vie qui n’est pas énorme…” » Lauranne avoue que le retour en France, à la suite de cette expérience, a été « dur ». « J’ai mis un moment à réussir à rééquilibrer mon curseur d’empathie », glisse-t-elle dans un sourire.

Thierry Senzier