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Le télétravail a trouvé son équilibre au fil du temps

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Longtemps à la traîne, la France s’est, en 2020, brusquement et massivement convertie au télétravail sous la contrainte de la pandémie de Covid-19?; brusquement, massivement et durablement, pensait-on.

Des entreprises, toutefois, semblent vouloir revenir en arrière à l’exemple, outre-Atlantique, d’Amazon. « En observant ces cinq dernières années, nous continuons de penser que les avantages d’être tous ensemble au bureau sont importants », explique ainsi, dans un courrier adressé mi-septembre à ses salariés le PDG du géant américain, Andy Jassy. Conséquence : début janvier, les 300.000 employés administratifs d’Amazon passeront plus de temps au bureau… En France, cette décision unilatérale soulèverait une fronde à lire un sondage de l’APEC (Association pour l’Emploi des Cadres) daté de décembre 2023. On y apprend que 45 % des salariés bénéficiant du télétravail démissionneraient si cette possibilité leur était enlevée. Ce chiffre grimpe à 57 % chez les cadres.

« La pandémie avec le renvoi massif des salariés chez eux, soit en télétravail, soit à ne rien faire, a amené ceux-ci à réfléchir sur leur travail, a fortiori si celui-ci a été mis suspens dans le cadre des confinements, relève le sociologue Jean-Yves Boulin, chercheur associé au laboratoire Irisso (université Paris Dauphine, PSL, CNRS). Mais, en France, l’attachement au travail et à l’entreprise reste fort. »

Trois catégories de télétravailleurs.

« Dans le chaos de la pandémie, rappelle-t-il, le télétravail a bondi. Si la plupart des entreprises ont paré au plus pressé, d’autres avaient anticipé. En 2019, une grève des cheminots qui s’était étirée sur trois à quatre semaines en avait notamment incité quelques-unes à s’équiper en ce sens. Aujourd’hui, on estime qu’un quart des salariés, soit près de six millions, ont recours au télétravail. » C’est bon gré mal gré que l’habitude a été prise.

« Globalement, reprend le sociologue, les travaux de terrain que j’ai menés esquissent trois catégories de télétravailleurs. Il y a les “enthousiastes” environ un tiers d’entre eux. Moins de temps de transport, le confort du domicile, souvent une maison avec jardin et une pièce pour s’isoler, ceux-là s’épanouissent. À l’opposé, il y a les “réfractaires”, soit un cinquième des télétravailleurs pour lesquels le télétravail est subi, pas choisi. »

Double journée

« Enfin, complète le chercheur, il y a les “ambivalents”, près de la moitié des télétravailleurs, qui voient et les avantages et les inconvénients : la liberté des horaires, la disponibilité pour les siens, le temps de transport, si de l’ordre d’une demi-heure, comme sas entre le bureau et le domicile, mais aussi l’isolement, une moindre sociabilité, le flou de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle. Parmi ceux-ci, beaucoup de femmes en raison des inégalités de genre. Tâches domestiques, éducation des enfants, activité professionnelle : leur double journée est compliquée par un inconfort relatif. La pièce pour s’isoler est pour “lui”, le coin improvisé dans le salon ou la cuisine pour elle… »

Les entreprises, aussi, ont appris à faire avec. « Passé la pandémie, les employeurs ont voulu réguler le télétravail. Aujourd’hui, les données officielles évaluent le télétravail à deux jours hebdomadaires en moyenne. Le 100 % télétravail est rare en France. Il ne concerne que quelques entreprises et métiers spécifiques tels les développeurs. »

Et nombre de manageurs considèrent encore que le télétravail est synonyme de distance au travail. « Les enquêtes disent pourtant le contraire, corrigent le chercheur. La plupart des salariés déclarent travailler plus et mieux. Mais, la culture du contrôle reste forte en France. Elle l’est d’autant plus auprès des manageurs de proximité qu’elle participe de leur légitimité. Les entreprises, surtout, savent combien le travail entre échange, aide, partage, est une œuvre collective. Les discussions informelles autour de la machine à café relèvent de cette dynamique. »

Flex office

Des entreprises ont, pour encourager ce retour des salariés, investi dans l’amélioration du cadre de travail. D’autres, au contraire, voient dans le télétravail une valeur d’ajustement. « Le flex office avec des postes de travail plus nommément attribués ajoute une couche de désocialisation, pointe le sociologue. Des confinements successifs, des entreprises ont retenu l’immobilier comme source potentielle d’économie… »

Quand les loisirs creusent les inégalités sociales

Et de conclure : « En France, il n’y a pas vraiment de demande de retour dans l’entreprise des salariés en télétravail sauf quand celui-ci dépasse les deux jours hebdomadaires. Les entreprises qui sont passées à la semaine de quatre jours ont bien plus que les autres tendances à réduire ou supprimer le télétravail. »

Jérôme Pilleyre

Lire. Jean-Yves Boulin, Laurent Lesnard, Les batailles du dimanche. L’extension du travail dominical et ses conséquences sociales, PUF, 2017, 24 €