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Октябрь
2024

Le procès Pétain par Julian Jackson

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Le grand historien britannique, Julian Jackson, viendra parler du procès Pétain qu’il a analysé en détail dans son livre Le procès Pétain. Vichy face à ses juges , paru cette année aux éditions du Seuil.

Julian Jackson, professeur émérite à l’université Queen Mary de Londres, est spécialiste de l’histoire de la France des années 30 et 40. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont plusieurs ont été traduits en français (*). Interview.

Dans votre ouvrage, vous citez cette phrase de François Mauriac : « Un procès comme celui-là n’est jamais clos ». En quoi était-ce un procès impossible ? N’était-ce pas un procès nécessaire ? « Mauriac n’est pas le seul à penser que le procès ne réglera rien. De Gaulle le pense aussi. C’est ainsi qu’il réplique à Pompidou qui considère qu’avec la mort de Pétain en juillet 1951, “c’est une affaire liquidée” : “Non, dit De Gaulle, c’est un grand drame historique et un drame historique n’est jamais terminé”.

Le procès était inévitable. On était dans le temps de l’épuration. Les personnes impliquées dans la Collaboration devaient répondre devant les tribunaux. Il était impossible de ne pas juger le principal responsable du régime. De Gaulle aurait préféré un procès par contumace [ ndlr : en l’absence de l’accusé ].

La France était très divisée. Cette histoire était encore brûlante et touchait la vie des gens. Nombreux étaient ceux qui pensaient que Pétain avait fait de son mieux. Ce n’était donc pas un procès qui allait panser les plaies. Il était impossible en ce sens que si l’on avait une documentation énorme, elle était en vrac et il aurait fallu des mois au procureur pour trier ces documents.

À un moment le procureur général Mornet a considéré que son rôle n’était pas celui d’un archiviste, mais consistait simplement à retenir des éléments pour bâtir un procès contre Pétain. Mais, si l’on avait beaucoup de documents, on manquait aussi de beaucoup d’éléments, dont on dispose aujourd’hui, grâce aux recherches de Paxton et de Klarsfeld, notamment tout ce qui concerne la persécution des juifs et les rafles.

Il fallait tirer un trait sur le passé, même si, en le faisant, on savait que le procès n’allait pas clore les débats, mais on le faisait aussi d’une certaine manière pour légitimer le nouveau gouvernement de De Gaulle. Il fallait montrer que l’armistice avait été un acte de trahison. Toute la légitimité de De Gaulle reposait sur cette idée. ».

Vous écrivez aussi qu’aujourd’hui le dossier Pétain est clos ? L’Histoire a-t-elle jugé ? « Aujourd’hui, après tout ce temps et les découvertes archivistiques des années 70-80, on connaît plus ou moins la vérité historique. Il y a de nombreux points qui ne sont plus discutables : par exemple, on a pensé pendant longtemps qu’il y avait peut-être eu un double jeu entre Pétain et les Britanniques, on a même avancé les propositions les plus fantaisistes comme des accords secrets signés avec Churchill.

Sur les faits le procès est réglé. Mais le pétainisme n’est pas mort. On le voit avec quelqu’un comme Éric Zemmour, dont les affirmations n’ont cependant ébranlé en rien l’historiographie de la période. Même les héritiers de Vichy, comme le Rassemblement national, se distancient de Pétain, parce que, à part les fidèles, ils ont conscience que défendre Pétain n’est plus possible. Mais cela ne veut pas dire que les idées qui ont été portées par Vichy ne soient pas actives. Un seul exemple : faire la différence entre un « vrai français » et un « français de papier », qui est une formule à la mode, vient directement de Pétain.

C’est tout à fait le contraire de la tradition républicaine où un citoyen français est un citoyen français et ses origines ethniques ou religieuses n’ont aucune importance. ».

Le titre de la version anglaise de votre livre est « La France en procès ». Dans la version en français, le sous-titre est « Vichy face à ses juges ». Pourquoi ce changement ? « C’est un choix de l’éditeur, d’ordre stylistique, et je pense que ce n’était pas un bon choix. Je le regrette. Même l’éditeur aujourd’hui est de cet avis. Le titre anglais souligne le fait que dans le procès Pétain, la France jugeait la France. C’est ce qui distingue ce procès du procès de Nuremberg ou du procès de Tokyo, où ce sont les Alliés qui jugent les Allemands ou les Japonais.

Quisling en Norvège est certes jugé par les Norvégiens, mais il ne représente rien, tandis que Pétain en un sens était la France. Son procès est donc le procès de quelqu’un qui semblait avoir incarné la France et qui est jugé par des Français. »

(*) La France sous l’Occupation, 1940-1944 (Flammarion, 2004), De Gaulle, une certaine idée de la France (Seuil, 2019). En rapport étroit avec le sujet de son nouveau livre, l’on peut également citer The fall of France. The Nazi Invasion of 1940 .

Pratique. Conférence de Julian Jackson, samedi 19 octobre, à 14 h 15 au Centre culturel. Adhérents : entrée libre ; non-adhérents : participation de 5 €.