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Октябрь
2024

Du côté de la vraie vie

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Loreux. Petit village au cœur de la Sologne. Ce Loir-et-Cher où, dixit Michel Delpech, «  ces gens-là ne font pas de manières ». Ils font bien mieux. Loreux, disais-je, deux cent vingt-quatre habitants au dernier recensement. Une chorale, Chœur et Partage. Quelque soixante-dix choristes. Le ratio en lui-même a de quoi impressionner. Surtout dans un moment où, un peu partout, nombre de groupes chantants sombrent faute de combattants. Première cause d’étonnement, donc, l’effectif. Le second est, sans conteste, le niveau musical, le répertoire, sa diversité.

Même Monsieur le maire donne de la voix

À l’origine de l’aventure, Nadia, ce genre de personne à qui rien ou pas grand-chose ne résiste et que la perspective de soulever les montagnes n’effraie guère. Lorsqu’elle a lancé l’idée d’une chorale dans un si petit bourg, il y a eu ceux qui ont haussé les épaules, et ceux qui ont  ricané doucement. Aujourd’hui, tout le monde est là pour applaudir. Quand je dis tout le monde, c’est bel et bien tout le monde à travers la Sologne, voire au-delà. Il y a de quoi.

Répétitions, les lundis, en fin de journée, début de soirée. Ils ont de vingt à quatre-vingt-huit ans et viennent de dix-sept communes et quarante kilomètres à la ronde. En toutes saisons. L’hiver, le retour, la nuit, gare au sanglier qui traverse la route. L’animal n’est pas connu pour se soucier particulièrement de ceux qui vont chanter ou en reviennent. Juste retour de l’élu à ses électeurs, le maire de la commune donne aussi sa voix.

De gauche à droite : Denise, Michel, Nadia. Photo : DR.

Mise en condition corporelle pour commencer la répétition, mouvements divers, car chanter mobilise tout le corps.  Puis vocalises. Puis l’attaque de l’œuvre proprement dite. Décryptage du texte phrase à phrase. Viennent ensuite les premières approches chantées. Pupitre après pupitre. Pour la répétition à laquelle j’assiste, il s’agit d’un chant orthodoxe russe, Tibie Païom. Quatre voix mixtes. Tout le contraire de la facilité. Le béotien que je suis en la matière ne s’égarera pas en données, en détails qui le dépassent. Juste confesser ma surprise, très belle surprise. Bien vite, on perçoit qu’on n’a pas affaire au genre de chorale petit bras où on trousse la chansonnette à la va comme j’te pousse. Là, non. Du musical élevé, du sérieux, du lourd comme on dit. Bref, du beau. D’un seul coup la salle des fêtes de Loreux se fait chœur d’église. Ne manquent que l’encens, le pope, sa longue barbe, les ors slaves. La répétition se poursuit avec l’approche du premier couplet d’une chanson d’Obispo, L’Envie d’Aimer. Diversité oblige, voulue par le chef de chœur. Parlons-en, du chef de chœur, Michel – Mimi – Renault ! Lui et son épouse, Denise, sont à la manœuvre (bénévolement, faut-il préciser). Que dire d’eux si ce n’est que nous sommes là en présence de fieffés allumés. Ils ont cela en commun avec Nadia. Ils sont en musique comme on est en religion, prêchent la bonne note comme d’autres la bonne parole. Chœur et Partage n’est pas le seul lieu où s’exerce leur sacerdoce laïque et joyeux. Le plaisir est en effet le maître mot, d’où le souci de diversité dans le répertoire, pour la satisfaction des chanteurs d’une part, et bien sûr du public. La conviction qui prime ici est que le beau peut et doit être populaire.

Quand le chant se fait antidote

Michel Renault, de par son parcours, inspecteur d’académie, agrégé de musique passé par l’exigeante et prestigieuse Schola Cantorum (pour ne citer que ces éléments d’une trajectoire exceptionnelle) pourrait fort bien – et très légitimement – s’en glorifier, prétendre ne s’intéresser et ne s’investir que dans l’élite chimiquement pure. Tel n’est pas son propos. Le « partage » de l’intitulé de la chorale n’est pas ici un vain mot. Il est de pratique. De pratique quasi quotidienne. Car il y a certes les nombreux concerts, les prestations qui enjolivent la vie d’aînés dans les EPHAD, les répétitions, mais aussi les concerts des chœurs d’enfants qu’il a créés dans les écoles, parfois dès la maternelle. Il y court de répétition en répétition son piano sous le bras. Mimi dirige tout cela avec une tranquille et souriante autorité. L’assurance de ceux qui savent parfaitement où ils vont et où ils entendent emmener leur monde.

Justement, le mardi, son monde de Chœur et Partage – du moins les membres qui le peuvent – il les emmène à l’hôpital psychiatrique de jour de Romorantin-Lanthenay (41) où un autre ensemble vocal s’est constitué. Avec à la clef, me confie une soignante de l’établissement, des résultats plus que notables sur l’état des patients. Parmi ceux-là, une jeune femme jusqu’alors prostrée, murée dans sa tête, dans son corps ingrat, et qui, peu à peu, s’est éveillée. Aujourd’hui, elle est soliste… Une preuve de plus que le beau peut donner – ou redonner – du sens à la vie.

Le beau mis en partage via le chant choral, l’antidote miracle contre la morosité des temps, les vilenies du monde, les emmerdements grands et petits de l’existence. Les soixante-dix choristes de Chœur et Partage, et sans doute leurs semblables à travers le pays, ne démentiront pas. Ils se rassemblent, chantent. Heureux. Ici, à quatre voix mixtes mais d’un même cœur. Ainsi font les vrais gens dans la vraie vie.

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