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Октябрь
2024

"Liberté, égalité, ténacité" : Tanaland, un pays virtuel où les femmes viennent se réfugier

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« Liberté, égalité, ténacité » telle est l’une des devises du Tanaland, le pays virtuel devenu un asile potentiel pour toutes les femmes lassées par la désobligeance ordinaire et la violence tout aussi banale des commentaires machistes. Avocate en droit de la famille et en droit des victimes, Betty Rygielki a rejoint la « trend » dès la fondation de la communauté née sur TikTok. « Je me suis sauvée, j’ai intégré Tanaland » s’amuse la Valenciennoise non sans pointer le fondement sérieux de son repli stratégique vers la tribu des Tana(s). Tana, si vous n’y êtes pas, comme l’insulte, abréviation de « putana » (pas besoin de traduction, si ?), répandue sur les réseaux sociaux lesquels, par un exceptionnel excès de scrupules, se sont mis à bannir le mot « pute ». Ainsi explique-t-elle,  « Tana, c’est la réappropriation de cette insulte misogyne que prononcent depuis plusieurs mois des hommes » à l’encore « des femmes trop maquillées à leur goût ou qui ont un peu trop de followers ou encore qui ne sont pas habillées comme ça leur convient ».

Un énorme buzz

« La fondatrice de Tanaland, Salimatou, élève de terminale de 18 ans, dite Hadja (hadja – bh2 sur TikTok) a fait une vidéo dans laquelle elle dit qu’elle quitte la France pour s’installer à Tanaland » décrypte-t-elle. Le 16 septembre, la jeune TikTokeuse se mettait en scène valise en main claquant la porte du monde des haineux pour rejoindre le pays plus candide de Tanaland. Résultat « 1,4 million de vues » en comptant les visiteurs de celles qui ont immédiatement récupéré la trend.

« Ce retournement de stigmate, de ceux théorisés par les sociologues, a créé un immense buzz » en transformant une insulte « en un concept positif », constate Betty Rygielski. Un énorme buzz aussi qui a consisté à se « rendre compte qu’il y a autant de femmes qui ont envie de se retrouver dans un endroit “safe” ». Parce qu’« elles vivent dans la peur »…

Aya Nakamura, Première ministre ?

Positif, le mouvement est aussi dérangeant puisqu’en réponse, la sphère misogyne a créé Charoland, (ndlr : abréviation de charognard pour désigner un dragueur compulsif) un État tout aussi impalpable, à l’iconographie très calquée sur celle de Tanaland mais où les femmes sont objetisées à souhait…Féministe engagée, militante » l’avocate valenciennoise « dénonce les violences systémiques vécues par les victimes » […] dans des vidéos un peu grinçantes qui lui valent parfois des ennuis ». À Tanaland, elle vient « se poser dans un univers “safe” ce qui est agréable quand on est une femme exposée ».

Vivre tranquille dans un monde aux couleurs de Barbie qui n’existe pas dans la vraie vie ? Pas seulement, expose Betty Rygileski, « parce qu’on a grandi dans une société sexiste, on voit que certaines personnes qui entrent à Tanaland sont aussi très empreintes de cela. Or Tanaland, c’est un endroit où l’on doit lutter contre les rapports de domination […] travailler sur des propositions ».

18 millions de citoyennes

Phosphorer sur l’égalité, maturer un projet pour le vivre-ensemble, il y a du pain sur la planche au Tanaland. Les nombreuses créatrices de contenus qui abondent la tendance – on compterait 18 millions de citoyennes – font aussi preuve d’imagination pour planter un décor plus léger, ambiance palmiers-cocktails-sable chaud. On y voit déjà un drapeau, on y entend des essais d’hymne national, on circule presque dans les rues de Tana City tandis qu’il se murmure déjà qu'Aya Nakamura pourrait en être Première ministre… « Nous poussons pour que Hadja soit présidente, mais d’autres personnes » se sont autodécerné le titre ou « ont été poussées par leur communauté » pointe Betty Rygielski à l’heure où les influenceuses Polska et ToomuchLucile, cibles privilégiées des masculinistes, sont plébiscitées par le peuple de l’utopique contrée. Pour que la société du Tanaland soit vraiment novatrice, l’avocate quinquagénaire voyait plutôt une sorte de collégialité.

On est toutes en capacité de prendre des décisions.

Tanaland « peut être une communauté un peu plus égalitaire […] On peut réfléchir à un autre modèle qui ne serait pas calqué sur l’existant. On doit toutes pouvoir apporter notre pierre à l’édifice ».

Se sentir en sécurité

« Notre quotidien est fait de mixité et on n’avance pas comme on le souhaiterait, sur la violence, sur l’égalité, sur la représentativité… Le but de ces endroits en non-mixité est de trouver des solutions entre nous pour les importer dans la société » réelle. Le temps de la réflexion donc pour un micro-monde 100 % féminin qui n’envisage pas de naturalisation pour la gent masculine… « Mais il faudra que la question se pose et que le vote se fasse entre citoyennes » affirme l’avocate.

Des appels ont été lancés via certaines vidéos pour trouver un havre physique susceptible de donner une terre voire une île au Tanaland. Ce n’est pas que de la rigolade. À la lumière de son métier, Betty Rygielski le constate. « Aujourd’hui, il y a des femmes et des enfants qui ont vraiment envie de fuir par ce qu’il y va de leur vie. Il y a 200 femmes qui sont violées par jour en France… Il y a de nombreuses personnes qui ont besoin de se sentir en sécurité et cela n’émerge pas dans la société dans laquelle on vit actuellement ».

Sophie Leclanchésophie.leclanche@centrefrance.com