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Philippe Jaenada enquête et en quête aux confins de la France et du Paris des années 1950

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Se plonger dans un nouveau roman de Philippe Jaenada est chaque fois un exercice qui requiert patience et attention. Pour, au final, un plaisir qui vaut tous les efforts consentis.

L’écrivain l’avoue dès l’entame - il s’en amuse presque : il ne sait pas écrire court. À chaque nouveau projet, il promet à son éditeur de se contenir, peine perdue ! Près de 480 pages pour La désinvolture est une bien belle chose, l’écriture est dense, profuse, pointilliste, balançant entre introspection, récit drolatique et démonstration.

Comme dans La petite femelle, La serpe ou Au bonheur des monstres, le fait divers est son fil conducteur. Philippe Jaenada s’empare comme personne de cette matière délicate, sombre, parfois nauséabonde, mystérieuse. Il la prend à bras-le-corps, creuse les témoignages et la presse de l’époque, explore les zones d’ombre, avoue ses doutes, trouve des éléments concordants pour éclairer d’un nouveau jour des dossiers hors normes.

Récit d'une époque

Cette fois, la mort, dans le Paris bohème des années 1950, de la jeune et jolie Kaki, qui un matin s’écrase au pied d’une chambre d’hôtel. Son personnage, dont il ne subsiste qu’une photo en noir et blanc, Philippe Jaenada ne la lâche plus.

À l’aide de quelques amis bien introduits, croisant littérature d’époque et écrits méconnus, dénichant des proches et des descendants, il redonne à Kaki une identité, des amours, une famille, un métier, des errements et des excès aussi ; une vie qu’il reconstitue patiemment, se livrant à un implacable travail d’enquête.

Ni les êtres, ni l’esprit de l’époque, auquel Kaki et ses amis, à force d’alcool, de musique et de plaisirs charnels, tentent d’échapper, construisant une part du mythe de Saint-Germain-des-Prés.

Quête personnelle

Une enquête qu’il double d’une quête personnelle. Écrire, pour Philippe Jaenada, raconter des personnages, narrer d’autres vies que la sienne est l’occasion de se chercher lui-même et de dessiner, sans la moindre concession, le portrait de la société d’alors et d’aujourd’hui.

Au volant d’une voiture de location, l’homme cette fois se lance un défi : au départ de Dunkerque (point de départ de son précédent roman), sans femme et sans assistance, il parcourt la France par ses bords de mer et ses frontières. Des confins géographiques qui le conduisent à passer au crible les us et coutumes de ses contemporains, en observateur sensible qui manie l’autodérision aussi bien que l’humour noir, l’analyse politique autant que la dégustation du whisky (une quête dans la quête, celle d’un bon verre dès l’heure de l’apéritif sonnée).

"Camera obscura", de Gwenaëlle Lenoir, la vérité des morts dans le viseur

Le lien avec la mort de Kaki ? Un goût pour l’humain, une acuité du regard, une poésie des sens et des mots qui entraînent son lecteur dans un voyage dont il ne sort pas indemne. Éprouvé, mais touché au cœur, proche de Kaki comme de son auteur. Assuré, comme ses amis Moineaux, que la désinvolture est une arme à double tranchant. 

La désinvolture est une bien belle chose, de Philippe Jaenada  (Mialet Barrault) ; 496 pages, 22 €.

Blandine Hutin-Mercier