70 ans après, cette ancienne salariée d'EDF raconte les travaux titanesques de la centrale hydroélectrique de Montpezat
Entre 1947 et 1954, l’Ardèche a connu l’un de ses plus grands chantiers avec la construction du complexe hydroélectrique de Montpezat. Connue, parfois décriée, pour turbiner les eaux de la Loire supérieure et des hauts plateaux avant qu’elles arrivent en Haute-Loire, cette centrale hydroélectrique a embauché jusqu’à 1.200 personnes pendant ses immenses travaux. Rares sont celles à y avoir travaillé et à encore être en vie désormais. Parmi elles, Simone Baderou, entrée sur le chantier de Montpezat à l’âge de 19 ans comme secrétaire pour EDF. Soixante-dix ans après la fin des travaux, Simone était de retour à la centrale de Montpezat. Une journée émouvante de fin septembre pour celle qui n’était pas revenue sur le site même depuis 1955.Lors de la conférence organisée à Montpezat, Simone a pu échanger avec Marc Lantheaume dont le père, Jean, était le premier chef de quart et avait participé à la mise en service de la centrale. Photo l. ciochettoAujourd’hui âgée de 93 ans, et installée en Ardèche après une carrière professionnelle aux quatre coins de la France avec EDF, elle a pu redécouvrir la centrale et livrer tous ses souvenirs. En très grande forme, la nonagénaire s’appuie sur une mémoire impressionnante, riche de détails, dans laquelle elle puise d’innombrables anecdotes. Lorsqu’elle parle de Montpezat, son premier chantier avec EDF, Simone le fait avec une rare précision.
Elle rejoint sa sœur Augusta comme secrétaireSimone Mounier, de son nom de jeune fille, est née le 7 février 1931 en Ardèche, sur la commune de Chirols, « au pied du château de Ventadour, au village du Pradel. Il y a d’ailleurs une petite centrale hydroélectrique juste en face » aime-t-elle à rappeler.Simone, à droite, au secrétariat du lot aval à Montpezat, avec sa soeur Augusta à gauche, le 8 janvier 1952.En arrivant devant les infrastructures de Montpezat avec les bureaux au sein des bâtiments extérieurs, elle ne peut s’empêcher d’évoquer les souvenirs associés à chacun de ces lieux et tous les visages qui refont surface dans sa mémoire plus vite que le funiculaire ne remonte de la salle des machines souterraine. Pendant la guerre, Simone était scolarisée à Aubenas, où elle a passé un brevet d’enseignement commercial. Elle a rejoint ensuite Cannes pour poursuivre ses études. À 19 ans, elle a été embauchée par EDF. « Ma sœur Augusta (son aînée née en 1928, NDLR) travaillait déjà comme secrétaire pour la Société Générale d’Entreprises, à Montpezat. Dès que j’ai obtenu mon diplôme, elle m’a appelée et m’a dit : “Simone, tu montes à La Palisse (l’immense chantier du complexe hydroélectrique était divisé en deux lots distincts : amont et aval NDLR) !” Je suis donc rentrée le 7 juin 1950. J’ai commencé sur le chantier du barrage. Au début, on m’avait donné un vélo et il fallait aller de Saint-Cirgues-en-Montagne à La Palisse avec ! Puis j’ai eu un logement sur place. C’était sommaire… Les WC : c’était un cabanon le long de la Loire. Dans la première chambre que j’occupais, il y avait des jambons qui séchaient ! »Magnifique photo de Simone réalisée par Claude Coste à Montpezat, avec le chien du photographe (il était un peu la mascotte et avait été adopté par beaucoup de monde sur le chantier), et l’une des Jeep utilisées pour parcourir les différents sites en travaux. Le photographe est malheureusement décédé l’an passé dans le Gard, à l’âge de 94 ans. Photo Claude Coste - archives famille Baderou
Georges Soullié : « On l’appelait le patron ! »Très rapidement, dès le mois d’octobre 1950, elle est partie rejoindre le lot aval du chantier. « J’ai retrouvé ma sœur Augusta qui a ensuite rejoint EDF. » Elle est toujours en vie aujourd’hui.Des cinq années passées au secrétariat du chantier, plusieurs personnalités ont marqué Simone. C’est le cas du responsable de l’ensemble du chantier : Georges Soullié. « Il était hébergé à Vals-les-Bains, comme tous les cadres EDF. C’est lui qui supervisait tout. C’était un homme très compétent, un homme formidable. Il venait toujours faire un tour sur le chantier. À chaque fois, même si nous étions en avance sur les prévisions, je prévenais les surveillants de sa venue. Mais il trouvait toujours une petite chose à faire remarquer ! Tout le monde l’appelait “le patron” ! Il était respecté. »Simone et Elise devant l'un des éléments de la conduite forcée en cours d'installation.Montpezat a non seulement marqué la carrière de Simone, mais le chantier a véritablement bouleversé sa vie. C’est pendant les travaux que la jeune femme a rencontré Jean Baderou, devenu son mari en 1954, puis le père de ses quatre enfants. « La dernière fois que j’ai visité la salle des machines sous terre, c’était pour notre mariage, le 7 août 1954 ! Cela avait été tout un périple pour pouvoir y accéder à l’époque ! », se remémore-t-elle.
Un couple du chantierToutes ces années de travaux ont permis à de nombreux couples de se former. Beaucoup d’ouvriers ont rencontré de jeunes ardéchoises avec qui ils ont fait leur vie, c’est une réalité sociale du chantier.C’est l’histoire de Simone et son mari, aussi celle du photographe Claude Coste qu’elle a bien connu. Chargé des sondages et des analyses de la roche dans les galeries, il photographiait toute la vie du chantier et en a saisi toute la dimension humaine : des moments de convivialité aux visites les plus solennelles, des congères en hiver aux baraquements des cités provisoires… « Claude avait épousé Josette, une fille de Montpezat-sous-Bauzon », se souvient la nonagénaire. Claude et son épouse sont hélas décédés à quelques mois d’intervalle l’un de l’autre, l’an passé dans le Gard. Ils étaient très proches des Baderou à l’époque du chantier comme en témoignent les nombreux clichés de Claude (voir ci-contre).Simone a rencontré son mari Jean Baderou sur le chantier de Montpezat. Ancien parachutiste, il était initialement employé par une société spécialisée. « Jean était né en 1930. Avant de rejoindre EDF, il travaillait pour Luscan. Il appliquait un revêtement noir bitumeux sur les parois de la conduite forcée », se souvient Simone. Ils se sont mariés en juillet 1954. « Pour notre mariage, nous sommes descendus visiter la salle des machines de la centrale?! » Photo claude coste - archives famille baderouQuant à Simone et son mari Jean (décédé en 2006), après Montpezat, ils sont restés à EDF. Au gré des grands chantiers en cours, ils ont ainsi participé à la construction du barrage de Grangent dans la Loire ou encore à celle de l’usine marée motrice de la Rance en Ille-et-Vilaine. Une vie au rythme des grands travaux, de l’hydraulique au nucléaire, jusqu’à la centrale de Fessenheim en Alsace, où son fils, Pierre, venue l’accompagner en Ardèche dernièrement aux côtés de son épouse, Gisèle, est resté faire sa vie.Avant de partir de Montpezat, Simone ne peut toutefois s’empêcher de penser : « Une année, il faudra que mes fils descendent voir cette centrale. Elle est belle à l’intérieur ! » Si le rendez-vous n’est pas encore fixé, nul doute que Simone redécouvrira la salle des machines, 70 ans après son mariage.
Fin septembre, dans l’ancienne salle des commandes de la centrale, une conférence était donnée par Flore Vignié, chargée de mission patrimoines industriels au Parc naturel des monts d’Ardèche et docteur en géographie. Une soixantaine de personnes, dont beaucoup de passionnés par le sujet, y ont assisté.Flore Vigné est revenue en détail sur les débuts et l’évolution de l’hydroélectricité en Ardèche. Puis elle a retracé l’histoire du complexe de Montpezat et sa construction, en donnant de nombreuses explications sur le chantier des différents ouvrages qui composent le site.
Un patrimoine à valoriserElle abordait enfin une notion un peu nouvelle et finalement capitale aujourd’hui. Celle du patrimoine que représentent ces centrales hydroélectriques. Compte tenu de la singularité de Montpezat (notamment sa salle des machines enterrée), c’est « un monument du patrimoine industriel », symbole de cette France d’après-guerre en quête d’électricité. Elle évoquait le label « Architecture contemporaine remarquable » qui pourrait, par exemple, être attribué à la centrale de Montpezat. Pendant tout le chantier, des liens se sont créés entre Simone et les autres salariés d’EDF, comme le photographe Claude Coste (tout à gauche sur la photo), qui a réalisé beaucoup des clichés de Simone et de sa sœur sur cette période. Photo DR - archives famille Baderou
À Jaujac et Lac-d’Issarlès. Pour les 70 ans de la centrale, une exposition a vu le jour, grâce au travail de l’historienne Sophie Maneval et de la réalisatrice Claire Lauzon. Elles ont rencontré les derniers acteurs du chantier de Montpezat. Cette exposition « offre une expérience immersive aux visiteurs par la possibilité d’entendre des témoignages », rappelle EDF. L’exposition aborde les enjeux d’avenir sur la production énergétique. Elle sera visible en mairie de Jaujac du lundi 14 octobre au jeudi 7 novembre puis en mairie du Lac-d’Issarlès du mardi 12 novembre à la fin décembre.
Lionel Ciochetto