Hyperloop : l'avion sans ailes peine toujours à décoller, même en Haute-Vienne
Est-ce que la France ne serait pas en passe de rater le train de l’hyperloop?? Après avoir pris 15 ans dans la vue par les Chinois sur la voiture électrique, des années-lumière sur les semi-conducteurs. Après avoir vu Ariane se faire rattraper par Space X, il ne manquerait plus que la patrie du TGV soit ringardisée à vitesse grand V par cette technologie hyperloop. Qui consiste, en gros, à faire circuler des passagers dans des capsules lancées à plus de 1.000 km/h, dans des tubes sous quasi vide d’air de manière à limiter toute friction aérodynamique. Pour relier Toulouse à Paris en moins de temps qu’il n’en faut à un usager du Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) pour se demander s’il a déjà franchi, ou pas, la gare de La Souterraine.
Hyperloop projet Transpod
Répondre à la question fait courir deux risques : celui de passer pour un passéiste crétin si l’on raille cette technologie futuriste, ou celui de passer pour un technophile béat si on l’encense sans mesure. Examinons plutôt les faits.
Les deux dernières nouvelles en date sur la question laissent perplexe. Aux Pays-Bas, mi-septembre, l’entreprise Hardt a fait circuler un train hyperloop à 30 km/h sur 90 mètres. Et au début de l’été, Sébastien Gendron, le pdg de Transpod, a annoncé que les travaux de la piste d’essai de Droux, en Haute-Vienne, débuteraient « pendant l’été ».
La « performance » de l’entreprise Hardt, sur la base d’images d’une capsule circulant lentement dans un tube et fournies par elle-même, a suscité beaucoup de commentaires enthousiastes, célébrant « une avancée qui ouvre la voie à des essais à 100 km/h dans le courant de l’année et qui, à long terme, permettra de voyager d’une ville européenne à l’autre à plus de 700 km/h ». Voire. La courte histoire de l’hyperloop est truffée d’avancées prometteuses et d’essais réussis.
Plusieurs projetsDepuis qu’en 2013, Elon Musk a relancé l’idée sous la forme d’un concours, mais sans y mettre un dollar, plusieurs projets ont été enclenchés. Rien n’a vraiment abouti. Normal, assurent les thuriféraires de l’avion sans ailes, qui répètent que toute technologie de rupture exige beaucoup de temps et masse d’argent.
Richard Branson en sait quelque chose. Le médiatique patron de Virgin est entré au capital d’une société californienne, aux côtés d’un investisseur bien connu dans nos contrées : la SNCF. La start-up Hyperloop One est devenue ensuite Virgin Hyperloop One. Mais après 400 millions de dollars de dépenses, Hyperloop One a rejoint définitivement une voie de garage en 2023.
Le Texas a renoncé à investir dans cette technologie pour revenir au train à grande vitesse sur rail, et ce malgré 400 essais réalisés par l’entreprise sur ses installations du Nevada. L’image des deux employés de la compagnie emmenés à 170 km/h sur un court trajet, dans leur capsule futuriste en 2020, n’aura convaincu personne.Droux ancienne gare projet hyperloop Transpod
En février 2024, Hyperloop TT, autre start-up prometteuse, qui avait construit des installations sur la base aérienne de Francazal, près de Toulouse depuis 2017, a été poliment sommée de quitter les lieux par Toulouse Métropole, propriétaire du site. Le projet, qui n’avait pas démontré grand-chose en Occitanie, s’est rebâti en Italie, avec la promesse d’un transport de fret entre Venise et Padoue à plus de 1.200 km/h en 2026 (ou 2030 selon les sources). Un contrat de 4 millions d'euros a été signé avec un opérateur ferroviaire régional, avec le soutien de la Région et de l’État, pour poursuivre les études.
En France, il reste le projet de piste d’essai à Droux (Haute-Vienne), que porte Transpod. Pour l’instant, le site choisi par l’entreprise canadienne est figé dans le temps. Droux est pourtant l’élément clé dans le projet d’envergure de Transpod envisagé à plusieurs milliers de kilomètres du vert Limousin, dans la province d’Alberta, au Canada. Droux, avec ses installations au 1/2, serait l’étape indispensable avant la création d’une ligne Edmonton-Calgary.
Un petit prototype de son Fluxjet a été présenté par Transpod à Toronto, en juillet 2022, mais il ne s’est vraiment animé que sur les images de synthèse. Bien que visiblement en sustentation, l’engin d’une tonne est resté immobile lors de sa présentation. Pas de quoi lever les doutes sur l’efficience de la technologie.
« On ne sait pas le faire »Beaucoup n’y ont jamais cru. Et en premier Jean-Louis Pagès, élu écologiste de la région Nouvelle-Aquitaine et fin connaisseur du dossier. « Techniquement, réaliser le vide presque total dans un tube de trois mètres de diamètre, sur 400 km, on ne sait pas le faire. Ça pose des problèmes de sécurité colossaux. Il faut remettre de l’oxygène pour pouvoir sortir de la capsule, puis du tube, sachant qu’une porte est prévue tous les 40 mètres ».
Lancement du défrichement à Droux, avec Sébastien Gendron (à gauche)
François Lacôte, ingénieur, ancien responsable des programmes TGV à la SNCF et ex-directeur technique d’Alstom transport, est lui l’auteur d’une analyse qui fait le miel des opposants à l’hyperloop et dont le titre se suffit à lui-même : « l’hyperloop est une formidable escroquerie technico-intellectuelle ». Il y démonte, en ingénieur, la technologie du train sans aile.
Quelle rentabilité??Et même en admettant que, techniquement, cela fonctionne un jour, les questions économiques et sociales demeurent. « Un TGV, ça emmène 1.200 personnes, rappelle Patricia Pérennes, économiste spécialiste des transports ferroviaires. L’hyperloop, c’est une trentaine ou une quarantaine de personnes par capsule. On pourrait faire une capsule toutes les deux ou trois secondes, mais avec les temps d’arrêt, d’installation des voyageurs, ça ne marchera pas. »
« Un transport urbain ou inter-urbain doit être capable de gérer les pointes de fréquentation, rappelle Patricia Pérennes. Si tout le monde veut prendre l’hyperloop à 8 heures du matin pour aller au boulot, ou le vendredi soir pour partir à la veille des vacances de Noël, ce n’est pas possible. »
« Si l’on considère qu’il faut du temps entre deux capsules, ce sera l’équivalent de seulement deux à trois TGV dans la journée, ce ne sera jamais rentable. »
L’hyperloop promet aussi de transporter du fret à grande vitesse. Pas des billes de bois ou des tuyaux en ciment qui peuvent se contenter de trains classiques, mais du fret « sensible au temps de transport » expliquait Sébastien Gendron en juin dernier. « Mais quelle est la marchandise qui a besoin de voyager à 1.000 km/h?? réplique Patricia Pérennes. Les produits frais?? Ça ne périme pas aussi vite que cela. Est-ce que c’est pour faire venir plus vite des fraises produites en Chine?? À part les greffons d’organes, il y a peu de marchandises qui réclament une telle rapidité. » Et le transport hyper-rapide de colis justifie-t-il une telle infrastructure??
Hyperloop projet Transpod
Reste aussi le problème de l’acceptation sociale et écologique de ces tubes métalliques montés sur des piliers en béton, qui relieront deux villes au minimum éloignées de 200 km l’un de l’autre, sans desservir les territoires intermédiaires. « Cela pose la question du type de société que l’on veut, prévient Jean-Louis Pagès. Ce serait un outil de métropolisation à outrance, pire encore qu’une LGV. »
Les sceptiques de l’hyperloop ont souvent un point commun : ils aimeraient que ça marche. « Intellectuellement parlant, sourit Jean-Louis Pagès, j’adorerais que ça fonctionne, mais je pense que c’est techniquement infaisable. » Patricia Pérennes, qui ne s’avance pas sur l’aspect technique des choses (« je ne suis pas ingénieure »), songe qu’« à la limite, dans les cas où il y a moins de problèmes d’aménagement du territoire, dans les Émirats, au milieu du désert ou de territoires très peu peuplés, pourquoi pas, si quelques personnes riches peuvent se le payer… »
Même un projet en IndeLes sceptiques assurent que rien ne verra jamais le jour. Sébastien Gendron ou les autres porteurs de projet, comme l’entreprise Hardt, y croient dur comme fer. « Il y a des lignes potentielles au Texas, mais aussi en Australie, en Arabie saoudite. La Corée, la Chine, l’Inde, la Turquie développent cette technologie », détaille Sébastien Gendron.
Et si c’est un leurre, pourquoi y aurait-il encore des oreilles attentives aux sirènes de l’hyper vitesse?? « Le vrai objet de ces entreprises, éclaire Jean-Louis Pagès, c’est de faire financer des études de faisabilité d’un pays à l’autre, en argumentant sur le fait “qu’ils sont en avance, là-bas, on va prendre du retard si on ne fait rien”. Leur business, c’est le marché des études aux collectivités. Et pour que le miroir aux alouettes fonctionne, il faut alimenter la communication et le buzz. Elles vendent du rêve sans croire elles-mêmes à ce type de projets. »
Pour Patricia Pérennes, c’est encore plus simple : « c’est l’effet Elon Musk. Il a mis son nom dessus, et comme beaucoup de gens sont persuadés que c’est un génie… »
Jean-Louis Mercier