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Le paradoxe de l’opulence : quand payer plus d’impôts devient un choix

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Cet article a été co-écrit avec Julien Madiès, diplômé de l’Université de Saint-Gall (Suisse) et de la London Business School.

Thierry Madies, Professeur d'économie, University of Fribourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Taxer davantage les (super-)riches permettrait pour beaucoup de réduire les inégalités de revenu et de patrimoine, de financer la transition écologique et d’améliorer des services publics en déshérence. De surcroît, taxer les contribuables à due proportion de leur capacité contributive est un principe qui peut être défendu aussi bien par ceux d’entre nous qui sont épris de justice sociale que par ceux qui croient davantage aux vertus de l’individualisme. En effet, une société inégalitaire induit une perte de confiance généralisée et de cohésion sociale qui se traduit tôt ou tard par moins de création de richesses.

Il se pourrait cependant que les recettes fiscales supplémentaires soient plus faibles que prévu compte tenu de la concurrence fiscale internationale. L’effet positif de faire contribuer davantage les super-riches est, peut-être et avant tout, d’ordre symbolique : tout le monde doit contribuer équitablement au financement des éléments constitutifs du vivre ensemble et pas seulement ceux qui ne peuvent pas échapper à l’impôt.

Trouver les bonnes incitations

Notre argument est qu’il serait sans doute plus efficace de parier pour partie sur une contribution fiscale volontaire des plus riches au-delà d’un certain seuil de revenu et de patrimoine que sur la seule coercition. Le comportement des super-riches est, en effet, régi par les mêmes désirs et aspirations que chacun d’entre nous et peut donc être orienté par des incitations adaptées. Les plus riches paieraient une contribution fiscale supplémentaire volontaire.

Une première façon de faire serait d’introduire des taux d’imposition (marginaux) majorés, non obligatoires, au-delà d’un certain seuil de revenu imposable et de patrimoine pour les contribuables les plus riches qui, de fait, échappent pour partie à l’impôt. Cela concernerait aussi bien l’impôt sur le revenu que l’impôt sur le patrimoine. Par exemple, au-dessus du taux marginal d’imposition le plus élevé, les contribuables pourraient choisir de façon volontaire un taux marginal d’impôt encore plus élevé.

De façon alternative, la contribution volontaire pourrait porter sur la partie de l’impôt des plus riches correspondant à un impôt moyen, au moins supérieur à celui payé par la tranche de revenu (ou de patrimoine) immédiatement inférieure. Ceci afin de réduire le risque de dégressivité de l’impôt. Mais comment alors faire en sorte que les super-riches paient davantage d’impôt volontairement ?

L’envie d’avoir envie… de donner

Nous explorons deux pistes qu’il faudrait évidemment soumettre au critère de constitutionnalité. La première voie à explorer est de jouer sur le sentiment de responsabilité engendré par l’affectation de cette contribution supplémentaire à une dépense spécifique. Contrairement à l’impôt qui est non affecté (à une dépense publique particulière), on pourrait proposer d’affecter la surtaxe payée par les plus riches à des dépenses publiques considérées comme prioritaires par les pouvoirs publics (sur la base d’un large consensus) comme l’éducation, la transition écologique ou la santé, transformant de fait une partie de l’impôt en un prix pour service rendu. Ceux-ci choisiraient le poste de dépenses auquel ils souhaitent affecter cet impôt volontaire.

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Cette solution a l’avantage de créer un effet de saillance en mettant en relief certaines dépenses publiques, ce qui renforce la pression citoyenne sur les priorités définies par les pouvoirs publics ainsi que sur les contribuables les plus riches. Elle a aussi un avantage par rapport à la philanthropie, souvent source d’optimisation fiscale : les dépenses en question correspondent non pas aux seules préférences des plus riches mais à celles de la société.

En poussant cette idée encore plus loin, les super-riches pourraient superviser eux-mêmes l’utilisation de cette surtaxe en collaboration avec les services de l’État afin d’apprécier l’efficacité des biens publics produits et services rendus. Cela ferait des ultras riches des mécènes modernes menant à bien des projets d’intérêt public, selon leurs termes mais tout en rendant des comptes à la collectivité. Une telle approche permettrait non seulement d’augmenter les recettes fiscales mais aussi de renforcer le lien entre les super-riches et les projets publics prioritaires non clivants, créant ainsi une société moins polarisée.

Payer plus ? Un jeu ?

Une seconde solution serait de jouer sur le caractère compétitif des super-riches à travers un mécanisme de « gamification » de cette contribution volontaire à l’impôt. Par exemple, les contribuables pourraient choisir de majorer le montant d’impôt qu’ils paient avec des incitations telles que la mention de leur nom sur des lieux publics ou la création de « titres honorifiques » fondés sur leur contribution fiscale.

Arte Septembre 2024

Un tel système ne serait pas sans rappeler celui des rangs et des niveaux, mécanismes de progression courants dans les jeux vidéo. Cela permettrait de transformer dans l’esprit des plus riches le surplus d’impôt payé en un gain de pouvoir symbolique et social. La transparence d’un tel système inciterait également les super-riches à se livrer à une concurrence vertueuse afin de contribuer au bien collectif, du moins si cela conduit à une émulation et non à la constitution de « listes noires ».