"Pour sauver l’hôpital, osons des réformes courageuses" : l’ordonnance du Dr Mathias Wargon
Onze milliards d’euros, c’est le déficit de la branche maladie de la sécurité sociale. Deux milliards d’euros, c’est le déficit estimé des hôpitaux publics en 2024. Il n’était "que" de 569 millions en 2019 avant le Covid et de 1 milliard en 2022. La pandémie, les augmentations nécessaires de salaires, l’évolution des activités (et oui, l’hôpital de jour est moins rentable que l’hospitalisation complète), l’inflation, le prix de l’énergie, les rénovations sont une charge que l’hôpital public, aidé après le Covid et le Ségur de la santé, supporte désormais seul sans que son financement n’ait changé.
Au-delà de ses missions techniques particulières de consultations spécialisées et d’hospitalisation, l’hôpital public reste un recours au quotidien dans un environnement où le tissu médical de ville se raréfie et où la stratégie des établissements privés, de toute façon très minoritaires, est également de survivre. Il est indispensable en cas de crise, on l’a vu avec le Covid ou d’autres événements majeurs comme les Jeux olympiques, sans que personne ne se demande s’il est en état de répondre ou ne s’interroge sur l’impact de ces événements sur ce système déjà fragilisé. Il doit répondre.
Il est peu probable que la première décision de la nouvelle ministre de la Santé sera de combler le déficit des hôpitaux. Il est également peu probable que dans ce contexte, les hôpitaux arrivent à renforcer leur attractivité médicale ou paramédicale. Le temps des aides du Covid et du "quoi qu’il en coûte" est désormais révolu.
On peut se lamenter, continuer à réclamer plus de personnels, sans rien changer à notre organisation comme le faisaient avant 2020 les collectifs inter-urgences et inter-hôpitaux, syndicats d’ultragauche et professeurs de médecine. Tout changer pour que rien ne change, surtout pas les privilèges.
Manque d’évaluation
Il est assez symptomatique de voir que la première visite du Premier ministre a été faite dans un Samu, répétant en cela quasiment toutes les premières visites de ministres de la Santé ou de directeurs d’ARS. Cette structure que "le monde nous envie" est une exception française. Chaque élu local est prêt à sacrifier son service d’urgence qui traite des dizaines de milliers de patients chaque année pour garder ces SMUR qui vont au mieux en voir mille à deux mille. Pourquoi ? Parce que "cela sauve des vies", nous dit-on. Qu’en sait-on réellement ? Est-ce plus efficace que les systèmes anglo-saxons sans médecin ? Cela n’a en réalité jamais été évalué, ce qui est symptomatique de notre système : les mesures prises sont destinées à la politique et ne sont que très rarement évaluées.
En ville, peut-on également continuer à laisser les déserts médicaux sans médecin, avec comme accès aux soins une médecine de téléconsultations dégradée, ou des services d’urgences surchargés - quand ils ne sont pas filtrés ou carrément fermés, une situation dont on sait qu’elle est une des explications au vote d’extrême droite ?
De toute façon, nous savons tous que nous n’aurons pas plus d’argent. Nous nous trouvons donc au pied du mur et nous n’avons plus le choix. Soit on va vers une désintégration progressive du système tel qu’il existe aujourd’hui, avec un accès pour tous, vers à terme une médecine à deux vitesses. On le voit avec les dépassements d’honoraires systématiques dans certaines régions, jusqu’au choix fait par certains médecins de se déconventionner (NDLR : les médecins déconventionnés sont libres de leurs tarifs et leurs consultations ne sont plus remboursées). Soit on réforme ou plutôt on révolutionne le système pour garder et renforcer l’accès de tous à des soins de qualité.
Surplus d’administratifs
Les réformes actuelles du système de santé reposent sur des incitations financières ou des limitations des remboursements aux "producteurs de soins", les politiques évitant soigneusement d’apparaître comme limitant l’accès aux soins des patients, qui restent des électeurs. Un exemple récent est la réforme du financement des urgences reposant sur une combinaison de forfaits ne couvrant pas les coûts, une dotation à la main des ARS, et une faible part sur la "qualité", qualité fondée en partie sur les temps de passage des personnes âgées dont la responsabilité repose sur le fonctionnement de l’hôpital et pas sur les structures mises en place à la sortie de cet hôpital.
La sortie de l’hôpital est d’ailleurs un des points aveugles quand on parle de dysfonctionnements hospitaliers. Tout le monde se plaint du manque de lits. Selon les commentateurs, c’est la faute du gouvernement, des hôpitaux eux-mêmes qui n’embauchent pas, ou des personnels qui rechignent à la tâche. Personne n’évoque le fait que si des modalités de sortie à domicile ou en institution beaucoup moins coûteuses étaient mises en place, une partie des problèmes de lits seraient réglés.
Le surplus d’administratifs est mis en avant fréquemment. Mais que font ces administratifs ? Ils répondent à des réglementations de plus en plus lourdes ou à des demandes d’indicateurs qui vont dans tous les sens, provenant de toute la hiérarchie technocratique remontant au ministre, chacun ajoutant sa petite demande. Au niveau de l’hôpital, c’est un technocrate qui dirige. Aussi bonne que soit sa formation, c’est aussi une exception française que ce ne soit pas un professionnel de santé qui dirige l’hôpital, le directeur étant dans ce cas le secrétaire général.
Fuite des personnels
Le recrutement hospitalier est problématique et très coûteux, tout en ne s’alignant jamais sur les rémunérations ou la qualité de vie que les professionnels de santé peuvent trouver ailleurs. Dans ces conditions, non seulement on n’attire plus les jeunes qui voudraient se former aux métiers paramédicaux mais on conduit aussi à une fuite des personnels médicaux vers des professions plus rémunératrices et souvent moins intéressantes. Ceux qui restent ne sont donc jamais évalués sur leur productivité de peur qu’ils ne quittent aussi le navire.
L’hôpital ne repose que sur la bonne volonté de quelques-uns qui s’épuisent. Paradoxalement, si on veut faire des économies on devra rechercher l’excellence médicale et administrative. Oui, il faudrait faire baisser la bureaucratie hospitalière et son organisation en silo. Mais cela veut aussi dire redonner une vraie autonomie aux établissements et un fonctionnement plus conforme aux besoins hospitaliers et à une organisation réellement centrée sur le patient avec un management efficace.
Le corporatisme médical est une plaie de notre système de santé. Le médecin est au centre de tout. Les autres professionnels de santé sont considérés comme des auxiliaires contrairement aux pays étrangers, sans pouvoir décisionnaire, sans responsabilités propres dans le soin - sauf en cas d’erreur. On a vu la réception des infirmières de pratiques avancées par les syndicats libéraux et surtout par le conseil de l’ordre, gardien du temple d’un corporatisme vieillissant. On connaît aussi les réactions de ce même corps médical quand on a proposé aux pharmaciens de vacciner.
Pour que notre système survive, il faudra aussi responsabiliser les patients. Les plus libéraux veulent qu’un reste à charge soit imposé aux malades. C’est typiquement la fausse bonne idée conduisant les plus pauvres à ne pas se soigner et in fine à coûter plus cher (ne parlons pas d’éthique). Mais attendre du système qu’il réponde immédiatement à toutes les demandes, quelle que soit leur gravité, tout en étant fiable à 100 %, est impossible. La santé est un droit, décider soi-même des modalités de recours ne l’est pas. Il n’est plus possible de laisser le patient recourir aux soins qu’il pense nécessaire. Les filières, les orientations (comme celles préconisées en cas d’appel au service d’accès aux soins, le SAS ou à l’accueil des urgences) doivent être respectées. La juste prescription doit être imposée.
Tout cela nécessitera du courage politique auquel il serait pourtant naïf de s’attendre. Les ministres de la Santé, généralement faibles politiquement, se succèdent à un rythme supérieur à celui de nos stagiaires. Il est temps de créer une agence indépendante de la refondation du système, avec des professionnels de santé et des administratifs expérimentés, et non pas une énième structure bureaucratique consommatrice de temps et d’argent. Elle devra faire des propositions émanant des professionnels eux-mêmes, avec des administratifs et l’assurance maladie, responsabilisés sur la santé publique et les soins. Notre système est en urgence vitale. Il est temps d’agir.
* Mathias Wargon est chef de service des urgences et du Smur en Seine-Saint-Denis