"On se dit que c'est pas possible, qu'est-ce qu'ils font !" : déjà quatre chasseurs tués par arme à feu depuis fin août
Il y a d’abord eu ce quinquagénaire victime d’un tir possiblement parti de son propre fusil dans le Gard, le 21 août. Puis cet homme de 70 ans atteint dans la poitrine par une munition provenant de l’arme de l’un de ses camarades, le 26 août, dans les Ardennes. Le 21 septembre, en Ardèche, c’était au tour d’un autre quinquagénaire de succomber, lors d’un nouvel « auto-accident » présumé. La mort d’un homme de 42 ans dans la Loire, fauché par un projectile en pleine tête lors d’une battue, vient clore la liste des décès « par arme à feu lors d’une action de chasse » recensés par l’Office français de la biodiversité (voir encadré ci-dessous), dans une saison qui va s’étirer au moins jusqu’au 28 février – et souvent au-delà pour le sanglier.
Plusieurs blessés sont également à déplorer. Le 20 septembre, dans l’Eure, un cycliste a par exemple été touché par les plombs d’un tireur qui visait… un lapin. Plus grave : dans le Puy-de-Dôme, un quadragénaire a dû être amputé d’un pied après un coup de feu déclenché par son propre fils de 4 ans, qui manipulait son fusil chargé, le 29 septembre.
« Moins vigilants » à la reprise ?Cette mauvaise série n’a pas échappé aux responsables de la Fédération nationale des chasseurs – ils sont encore un million environ. « On sait que l’on est très attendu sur ce sujet, et c’est normal », pose Constance Bouquet, la directrice déléguée, qui préfère cependant parler d’une rechute ponctuelle plutôt que d’un éventuel retour brutal en arrière : « C’est la reprise, après cinq ou six mois de coupure, et les bonnes habitudes n’ont pas encore été reprises. Lors de leurs premières sorties, peut-être que les pratiquants sont un peu moins vigilants, moins “dedans”. Il leur faut un temps pour se roder à nouveau. »
Ce n’est pas faute d’avoir prévenu. Dans une vidéo mise en ligne début septembre, juste avant l’ouverture, Willy Schraen, l’emblématique et médiatique “patron des chasseurs”, avait notamment exhorté ses troupes à « mettre une règle fondamentale au-dessus de toutes les autres : la sécurité, toujours la sécurité, rien que la sécurité. »
« Chaque fois ou presque, reprend Constance Bouquet, les accidents sont liés au non-respect de principes élémentaires et basiques. On se dit souvent “mais c’est pas possible, qu’est-ce qu’ils font!” »
Exemple : un fusil doit être déchargé dès qu’il est posé ou que son utilisateur franchit un obstacle, histoire d’éviter qu’un coup parte par inadvertance. Ce qui n’est pas toujours le cas sur le terrain, comme l’ont prouvé quelques épisodes très récents…
Photo François-Xavier Gutton
« Les problèmes qui surviennent sont pour la plupart largement évitables. C’est ça qui est rageant et frustrant », soupire la directrice déléguée de la FNC. La responsable veut néanmoins croire que le nombre historiquement bas de morts lors des deux saisons précédentes – 6 victimes recensées à chaque fois – est le signe d’un « profond changement de comportement » et d’une « prise de conscience », illustrés par « la mise en place, à notre initiative, d’une formation décennale obligatoire sur la sécurité ».
« Tristesse et colère »Dans les rangs des “anti”, le ton est sans surprise très différent. « Quand on voit le nombre de gens touchés ces dernières semaines par des tirs, qu’ils soient chasseurs ou pas, il y a énormément de tristesse et de colère. On voit bien que malgré les grands discours de la FNC, malgré les déclarations d’intention, rien ne change vraiment », réagit Mila Sanchez, cofondatrice du collectif Un jour un chasseur (*).
La militante dénonce tout à la fois « le manque de transparence et d’honnêteté du bilan officiel publié chaque année par l’OFB » et la persistance, « en réalité », d’un « laxisme généralisé ». « S’il n’y a pas plus de morts, c’est dû à la chance bien plus qu’aux précautions prises, qui sont toujours très insuffisantes », juge-t-elle.
Michel Gauthier-Clerc
L'instauration d'un jour sans chasse écartéeEn janvier 2023, le gouvernement a dévoilé un « plan sécurité chasse » décliné en 14 mesures, parmi lesquelles « l’interdiction de la pratique sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants ». L’instauration d’au moins un jour hebdomadaire sans chasse, défendue entre autres par le collectif Un jour un chasseur, a en revanche été écartée.
« On se heurte toujours à un lobby ultraminoritaire mais très puissant, qui bloque des réformes de bon sens soutenues par une grande majorité de Français et même certains chasseurs », s’agace Mila Sanchez. Juste avant les annonces de l’an dernier, une enquête de l’Ifop avait ainsi montré que 78 % des sondés voulaient que les fusils restent sagement au fond de leurs étuis le dimanche.
(*) Le groupe a été créé par plusieurs amies d’enfance de Morgan Keane, un Lotois de 25 ans tué en 2020 par un chasseur qui l’avait confondu avec un sanglier.
Si l’on remonte un peu plus loin dans le temps, 40 morts avaient été enregistrés en 1998-1999. Ce recensement officiel est néanmoins critiqué par les anti-chasse, qui pointent une « méthode restrictive », qui tendrait à « sous-estimer » le nombre réel de victimes.
C’est ainsi que l’OFB n’intégrera pas, dans son bilan 2024-2025, la mort d’un homme en Nouvelle-Calédonie, tué début août par son cousin qui l’aurait confondu avec un cerf, au motif que la réglementation outre-mer n’est pas la même qu’en métropole. L’Office ne retenant que les décès consécutifs à un tir, il ne prendra pas non plus en compte la chute mortelle d’un chasseur de 26 ans en Haute-Savoie, le week-end dernier.
Le nombre d’accidents non mortels est lui aussi orienté à la baisse : -42 % entre 2004 et 2024, toujours selon l’OFB. La dernière saison s’est cependant achevée sur un bilan en légère hausse, avec un bond de 78 à 97 « blessés par arme à feu dans le cadre d’une action de chasse ».