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Октябрь
2024

Pourquoi la Tunisie "sombre dans l'autoritarisme" avec Kaïs Saïed réélu président

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Pour Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb, la réélection de Kaïs Saïed à la tête de la Tunisie à l’issue d’un scrutin tronqué achève de détricoter les acquis de son printemps de 2011 et coupe un peu plus le peuple de la chose politique.

Avec la réélection de Kaïs Saïed, la Tunisie ne revient-elle à la case départ, d’avant 2011 ?

Beaucoup d’acquis ont été perdus au niveau institutionnel. Mais les Tunisiens ont aussi perdu l’espoir du changement et des réponses que peut apporter le politique sur le plan économique et social. C’est déjà beaucoup. Le pays sombre dans l’autoritarisme. C’est indéniable. Mais pour une partie de la population, cet autoritarisme peut être synonyme d’ordre qui apporterait la croissance et le développement.

Une partie de population adhère donc à la personne de Kaïs Saïed ?

De l’extérieur, on peut avoir l’impression que le pays est coupé en deux entre ceux qui sont pour et sont contre. Quand on regarde les chiffres, ce n’est pas tout à fait exact. La participation est de 27 %. Les deux autres candidats ont récolté 10 % des suffrages. Si vous enlevez tout ça, vous vous retrouvez avec 20 % des gens en âge de voter qui adhèrent à son projet, sa carrure, sa prestance et qui ont foi en cet homme comme chef de l’État et en ses méthodes. Mais il n’y a que 6 % des jeunes qui se sont déplacés aux urnes.

Est-ce à dire que Kaïs Saïed est aujourd’hui un président ultra-minoritaire ?

Les chiffres de cette élection contredisent en tout cas sa volonté d’obtenir un plébiscite cinq ans après son arrivée au pouvoir avec 72 % des suffrages. Sauf qu’il n’y a pas eu de campagne, il a également été impossible de revenir sur son bilan. D’autant que les médias sont complètement verrouillés.

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Vous évoquiez son bilan. Quel est-il justement ?

Il a soit détricoté, soit vidé de leur sens toutes les institutions issues de la révolution, qui étaient très symboliques de cet élan vers la démocratie. Il est tombé dans les travers de tous ses prédécesseurs depuis 2011, c’est-à-dire qu’il n’a pas apporté de réponses politiques aux problèmes économiques et sociaux. Il explique cela par le fait qu’il y a des gens corrompus mais qu’il va finir par leur prendre leur argent. Il parle de complots ourdis par des gens qui lui auraient mis des bâtons dans les roues. Ce sont des explications tout à fait propres aux populistes. Un populisme qui lui appartient puisqu’il puise à la fois dans le souverainisme, le conservatisme. Au lieu de rassembler, il divise. Cela plaît à une partie de la population. Parmi ses électeurs, il y a beaucoup de personnes âgées et très peu de jeunes. Il a flatté une partie de la population en expliquant que la Tunisie avait remboursé sa dette extérieure. C’est vrai mais cela s’est fait au détriment des Tunisiens avec un emprunt extrêmement lourd, au prix de pénuries et d’une austérité très sévères. On est dans des slogans où on s’attache à seulement une partie de la réalité en camouflant le reste. Il a ça de commun avec les populistes, c’est qu’il met le doigt sur des dysfonctionnements mais sans apporter les bonnes réponses.

Dans quel état est aujourd’hui l’opposition ?

Une grande coercition s’est abattue sur les opposants et les intellectuels. Il est donc très difficile de s’opposer à ce régime, très difficile tout simplement de parler et d’être audible. L’opposition est désespérée, désunie. Et n’a ni figure fédératrice à proposer ni projet sur lequel elle aurait travaillé. Il n’y a donc pas d’alternative crédible qui pourrait séduire les gens. L’opposition s’en tient à des discours qui ne touchent que les élites des grandes villes.

Comment, en étant si minoritaire, Kaïs Saïed parvient à tenir le pays d’une main de fer ?

Si un populiste, soutenu par une fraction minime de la population, peut tenir un pays, c’est qu’il est soutenu par des institutions. La police, c’est sûr. L’armée, on la dit divisée mais aussi très sensible à l’image du pays à l’international. On la dit aussi attachée aux conventions internationales. Or, Kaïs Saïed en est sorti. On ne sait pas non plus quelles sont les relations entre les hauts gradés de la police et de l’armée.

Avec l’Union européenne, le président tunisien joue la carte migratoire…

Qui s’interroge aujourd’hui sur le sort d’un nombre difficile à évaluer de Subsahariens laissés dans la nature et maltraités ? On le voit tous les jours. L’Europe le sait. Les journalistes ont fait leur travail. En Tunisie, beaucoup considèrent que Kaïs Saïed a vendu le pays pour une somme modique afin de sécuriser le flanc sud de l’Europe. Mais est-ce avec une personne comme le président tunisien ou avec le Turc Erdogan que les Européens y parviendront ? Je ne sais pas.

Propos recueillis par Dominique Diogon