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Октябрь
2024

"Je n'ai pas retrouvé la force et l'envie de repartir" : l'athlète Alexis Phelut explique pourquoi il stoppe sa carrière

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Vice-champion d’Europe juniors (2017) et espoirs (2019), champion de France 2021, 12e de la finale des Jeux Olympiques de Tokyo... Après 10 ans à franchir les barrières de 3.000 mètres steeple et alors qu'il compte sept sélections en équipe de France, Alexis Phelut a décidé de raccrocher les pointes. Le Cantalien, qui n'était par parvenu à se qualifier pour les Jeux Olympiques de Paris, n'avait plus les jambes, et surtout la tête pour poursuivre une carrière à haut niveau. Il s'en explique.

Pourquoi avoir pris cette décision à seulement 26 ans ?

« Cela fait maintenant près de trois ans que j'enchaîne les galères : pubalgie, mononucléose, récidive de pubalgie, opération... Ce qui me maintenait à flot, ce qui me donnait l'envie et la motivation, c'était les Jeux olympiques à Paris. En tant que sportif français, c'était l'objectif d'une carrière. Avoir cette perspective m'a aidé à rester motivé pendant les moments plus compliqués. Le fait que cet évènement soit maintenant passé, c'est un peu plus dur de trouver de la motivation. Et surtout, le fait que je ne sois pas encore tranquille à 100 % quant à mes capacités physiques a beaucoup pesé. Ces trois dernières années ont été dures physiquement, mais aussi et surtout mentalement. Et là, je n'ai pas retrouvé la force et l'envie de repartir pour une saison et plus... »

Où se situe votre gêne, toujours au niveau de la pubalgie ?

« Là, j'ai plutôt mal à l'adducteur. Au niveau abdominal, hanche, je n'ai vraiment plus de douleur. Mais je sens que ça tire encore au niveau des adducteurs alors que je ne fais quand même pas grand-chose. On ne sait jamais comment ça va évoluer, mais je me dis que quand je vais augmenter la charge d'entraînement et l'intensité, il n'y a que peu de chances que ça aille mieux. Si c'est pour encore jongler entre les douleurs, l'entraînement, la rééduc... J'aime quand tout est carré, faire les choses comme je le veux pour que tout soit optimal. Et là, encore une fois, ça ne partait pas dans ce sens-là. » 

Sa réflexion a évolué cet été

Pourtant, début juillet, vous vous projetiez encore sur la nouvelle olympiade et les Jeux de Los Angeles 2028. Quand avez-vous pris cette décision ?

« C'est vrai qu'à ce moment-là, je n'en étais pas là. Mais durant l'été, j'ai dû aller pas mal à l'armée (son employeur, le 7e Régiment du matériel à Lyon) ce qui m'a laissé du temps pour réfléchir et me poser des questions quand j'avais fini mes journées. À Clermont, je suis occupé en permanence donc je ne m'étais jamais vraiment posé. Mais là, je me suis rendu compte que je n'avais plus spécialement le goût d'aller m'entraîner. Durant ma carrière, j'ai fait pas mal d'intervention dans les écoles et on me demandait souvent "quand vas-tu arrêter ?" À chaque fois, je répétais que tant que je prendrai du plaisir à me lever tous les matins pour aller m'entraîner, je n'arrêterai pas. Et là, je me suis rendu compte que je me forçais, que je le faisais plus par professionnalisme que par plaisir. »

C'est donc une décision que vous avez pris seul ou avez-vous pris le temps de consulter votre entourage ?

« C'est ma décision. Après, forcément, j'en ai parlé à des gens. Mais je savais qu'à partir du moment où je réfléchissais à ça, c'est que j'allais arrêter. Je sais que quand je commence à me poser des questions, c'est qu'au final, c'est déjà acté dans ma tête. »

Est-ce que le fait d'avoir suivi les Jeux à la télévision en tant que spectateur plutôt qu'acteur a aussi joué ?

« Non, pas plus que ça. Forcément, ce n'était pas tout le temps évident de regarder les JO à la télé, même si en tant que passionné de sport, je ne me voyais pas faire autrement. Mais cela n'est pas entré dans ma réflexion. »

Notre documentaire sur Le pari olympique d'Alexis Phelut :

 

C'est la tête qui dit stop ou le corps ?

« C'est un peu les deux. Dans un premier temps, c'est le corps. Mais forcément, derrière, la tête ça joue aussi. Quand tu passes trois ans à galérer... En fait, j'ai eu le sentiment ces trois dernières années, de m'être investi pour "rien". Même si ce n'est jamais vraiment pour rien. Mais quand tu vas t'entraîner, qu'une fois sur dix t'as mal, c'est usant. Puis, c'est une discipline très contraignante. Tu es obligé d'être très sérieux dans tout ce que tu fais. C'est un métier où quand tu rentres chez toi, tu ne peux pas totalement couper avec. Tout ce que tu fais va avoir un impact sur la performance : l'alimentation, le sommeil, les activités annexes, etc. Donc c'était un peu lourd de s'appliquer à tout faire comme il faut pour pas grand-chose. Je n'ai plus envie de repartir dans ce schéma. »

Aviez-vous aussi l'appréhension de ne jamais retrouver votre meilleur niveau ?

« Oui, un peu. Ce que j'aime, c'est progresser et performer. Là, rien ne laissait penser que ça pouvait être le cas. »

D'autant que le niveau, sur le plan national et international, semble avoir encore augmenté. Aviez-vous la crainte de ne plus être en mesure de participer à de grands championnats ?

« Le niveau mondial a pas mal augmenté ces dernières années, c'est sûr. Aujourd'hui, faire un top 12 aux Jeux olympiques comme j'avais pu le faire à Tokyo en 2021, c'est compliqué. Le niveau français aussi a pris de l'épaisseur. Mais ça, au contraire, j'avoue que j'aurais bien aimé être dans le match. J'aime l'adversité, c'est aussi ce qui permet de progresser. Et franchement, j'aurais adoré être à 100 % pour me mêler à la lutte pour la qualification aux Jeux de Paris. Je pense que ça m'aurait amené à réaliser de belles choses. Malheureusement, ça n'a pas été possible. »

À la fin de l'année, vous arrivez au bout de vos contrats de sponsoring (Adidas, le Crédit Agricole, le département du Cantal). Après ces trois dernières années, les négociations auraient peut-être été plus délicates ?

« Effectivement, tous mes contrats arrivent à terme. Je n'ai pas encore eu de discussions avec mes sponsors, car les négociations ont plutôt lieu en janvier. Mais c'est surtout avec l'Armée que ça s'est un peu complexifié. À la base, je ne devais pratiquement pas m'y rendre afin de pouvoir m'entraîner dans des conditions optimales. Et là, ils me demandaient d'y être presque tout le temps. Je n'étais pas forcément intéressé par cette perspective. La seule solution était d'arrêter ce contrat. Donc, là aussi, ça me faisait des revenus en moins. Pour le reste de mes contrats, je ne sais pas comment les choses auraient évolué, mais à mon avis pas forcément dans le bon sens vu mes trois dernières saisons. Au mieux, ça aurait baissé. Au pire, je n'aurais certainement rien eu. Cette situation n'a pas été le déclencheur de ma prise de décision, mais je ne peux pas nier que ça n'a pas compté. Il faut bien que je vive et je n'avais pas envie de galérer. »

Donc l'athlé, c'est fini ? Ou vous continuerez de pratiquer à titre amateur ?

« Oui, c'est fini. Moi, je prends du plaisir lorsque je me fixe des objectifs, que je les atteigne ou non. Ce que j'aime dans l'athlé, c'est la performance et progresser. Si je n'ai plus ça, comme ces trois dernières années, je ne suis pas assez passionné de ce sport pour poursuivre, juste pour m'amuser. Ça ne me dit rien d'aller faire un footing, comme ça, de temps en temps. Ça ne fait que quelques semaines que j'ai réellement arrêté, donc je manque peut-être encore un peu de recul, mais ça ne me manque pas du tout. »

Ça fait quoi de se dire que c'est fini ?

« (Rires) C'est un peu spécial... Forcément, il y a des moments où je me dis que c'est quand même dommage parce que c'est toute ma vie depuis 10 ans. Mais au final, c'est plus du soulagement. »

« Ça me prenait beaucoup la tête, ce n'était pas facile au quotidien. Quand tu mets tout en œuvre, mais qu'au final, t'enchaînes les échecs et les galères, ce n'est pas facile à vivre. Je suis content de me détacher de tout ça. »

Que va-t-il vous rester de l'athlétisme ?

« Plein de beaux souvenirs. J'ai quand même eu la chance de faire de belles choses, même si ça n'a pas duré très longtemps. Que ce soit mes médailles chez les jeunes, comme ma première aux championnats d'Europe juniors (l'argent en 2017), ou les Jeux olympiques de Tokyo. J'ai vécu des choses incroyables que je ne pensais pas forcément connaître. Je pars avec la satisfaction de me dire que j'ai participé à la plus grande course possible : une finale olympique (12e en 2021). C'est un milieu qui m'a aussi permis de rencontrer plein de très belles personnes, comme mon entraîneur, Jeff (Pontier), avec qui j'ai bossé toute ma carrière, mon kiné (Yohann Levadoux). Je me suis fait plein d'amis. Ça m'a aussi permis d'évoluer dans ma vie de tous les jours. De base, j'étais quelqu'un d'assez timide, je me suis ouvert et j'ai évolué sur plein de points. Ça m'a fait grandir plus vite. J'en retire beaucoup de positif. »

Si vous deviez ne garder qu'un seul souvenir, ce serait lequel ?

« J'hésite. Il y a d'abord mon titre de champion de France à Angers, en 2021. C'est ce qui m'a permis de me qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo et ça a été un gros soulagement. J'avais déjà fait les minima à deux reprises, mais la qualif' était loin d'être acquise. Puis, il y a le moment où mon nom apparaît sur le tableau d'affichage à l'issue de la série des JO de Tokyo. Je termine 3e en devançant le 4e de quelques centièmes (seuls les trois premiers étaient qualifiés pour la finale). Pendant la course, j'avais le sentiment que j'étais devant, mais je n'étais pas sûr à 100 %. Alors quand j'ai vu mon nom, j'ai été rempli de soulagement et de joie parce que j'étais vraiment venu pour aller en finale. »

Et si vous aviez pu changer une chose à votre carrière, laquelle cela aurait été ?

« Généralement, je ne suis pas du genre à revenir en arrière. Je n'aime pas trop ressasser le passé. Mais je me dis que je n'aurais peut-être pas dû me faire opérer de ma pubalgie à la hanche (en mai 2022). Même si l'opération semblait inéluctable, quand je vois ce que ça a donné derrière, je me dis que si j'avais pu savoir ce qui allait se passer, comme le fait de toujours avoir des douleurs, je ne l'aurais peut-être pas fait. Mais c'est facile à dire aujourd'hui.

Après, honnêtement, je ne regrette pas grand-chose. Je pense que j'ai plutôt bien réussi à mener ma barque en m'entourant des bonnes personnes et en mettant toutes les chances de mon côté pour être le plus performant possible.

« Forcément, après les Jeux de Tokyo, je m'attendais à mieux, parce que j'étais jeune et que je savais que j'avais encore une bonne marge de progression et pas mal de choses à mettre en place. Mais c'est le sport, et c'est aussi ce qui en fait sa beauté. Tu ne sais jamais comment les choses vont évoluer. Pour moi, ça n'a pas forcément évolué de la bonne manière, mais au moins j'aurai fait mon maximum. »

Puis, je n'oublie pas que j'ai aussi été chanceux. Sans le Covid-19 et le décalage des Jeux de Tokyo de 2020 à 2021, je n'aurais jamais pu participer aux JO. »

Quel est le premier plaisir que vous vous êtes autorisé en tant qu'athlète retraité ?

« J'apprécie de ne plus me prendre la tête. De base, je suis plutôt un bon vivant, j'aime bien manger et boire un petit coup. Et avant, soit je me l'interdisais, soit, si je me permettais un petit écart, je culpabilisais derrière. Donc juste faire les choses comme j'ai envie est un vrai plaisir. Sortir au resto, boire une bière et me coucher un peu tard, sans avoir de sentiment de culpabilité, c'est très agréable. »

Un futur qui s'inscrit au sein de la ferme familiale

Fini l'athlé donc, mais y a-t-il d'autres sports qui pourraient vous attirer ?

« Je ne sais pas encore exactement. Je sais que je reprendrai quelque chose. Il y a beaucoup de disciplines que j'aimerais faire, je vais peut-être avoir du mal à faire un choix. Mais ce qui est sûr, c'est que je ne ferai pas un sport trop dur physiquement. Je me suis assez fait mal comme ça (rires). Mais je sais que j'aurai besoin de faire quelque chose pour sortir de mon quotidien. »

Et côté professionnel, la suite de votre vie va-t-elle se dérouler au sein de la ferme de votre père, à Chanterelle (Cantal) ? 

« Oui, tout à fait. Mon père cherchait à embaucher quelqu'un depuis un petit moment, donc ce sera moi. Au début, je serai un "simple" employé pour véritablement me rendre compte du milieu, même si je connais déjà un peu, et voir si reprendre l'exploitation à terme est véritablement ce que je veux faire. Mon père attend aussi que j'amène de la nouveauté, que j'apporte ma petite touche pour que je puisse m'épanouir dans ce métier. » 

Avez-vous déjà des idées concrètes de ce que vous aimeriez apporter ?

« Oui et non. J'ai quelques petites idées, mais je ne me rends encore pas trop compte de ce qui est faisable ou pas. Personnellement, j'aime bien rencontrer du monde pour partager et échanger. Donc, j'aimerais bien ouvrir un peu la ferme au monde extérieur. Mon père a déjà commencé en ouvrant un gîte à côté de l'exploitation. » 

Il n'y aura pas de retour en arrière possible ?

« Il ne faut jamais dire jamais (rires). Mais honnêtement, ça m'étonnerait très fortement. Ca ne fait pas longtemps que j'ai pris la décision d'arrêter, mais je constate que je me sens mieux, je suis soulagé d'un poids. Je le vis très bien pour le moment. »

Propos recueillis par Vincent Balmisse