40 % de ces actes sont des propos et des gestes menaçants : la France face à l’antisémitisme depuis le 7 octobre
Sébastien Mosbah-Natanson, Maître de conférences en sociologie, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
meurtres.
La société française entre tolérance et préjugésLa société française serait-elle, après une période d’après-guerre pendant laquelle l’antisémitisme était fortement en régression, de nouveau gangrénée par cette haine séculaire ?
Pour éclairer cette question, qui ne se réduit pas à celle des actes antisémites, des enquêtes quantitatives (celle de la CNDCH et l’enquête « Radiographie de l’antisémitisme ») étudient opinions et préjugés sur les Juifs (les Juifs et l’argent, les Juifs et le pouvoir, les Juifs et les médias, etc.), mais aussi l’hostilité à l’égard de l’État d’Israël.
Le premier constat est que l’opinion rejette massivement l’antisémitisme. La minorité juive est considérée comme la minorité la mieux intégrée dans la société française selon les résultats de l’enquête de la CNCDH, après la minorité noire. Ainsi, 89 % des Français pensent que « les Français juifs sont des Français comme les autres », des chiffres stables d’une année sur l’autre. Ce rejet de l’antisémitisme et cette acceptation des juifs s’inscrit dans une tendance longue caractérisant une société française globalement plus tolérante.
Pour autant, ces enquêtes montrent la permanence et la diffusion de préjugés antisémites. Selon les deux enquêtes, plus de la moitié des Français adhèrent à au moins un préjugé antisémite. Elles indiquent aussi qu’un groupe, qui comprend entre 20 % et un tiers de l’opinion, est très perméable aux préjugés antisémites. Fait notable et inquiétant, selon l’enquête de la CNCDH, ce groupe est en croissance ces dernières années.Des groupes imprégnés par l’antisémitismeLa question se pose des caractéristiques sociales de cette fraction de la population française la plus imprégnée par l’antisémitisme.
Les deux enquêtes convergent pour constater le poids des préjugés antisémites traditionnels comme des formes d’hostilité centrées sur Israël dans les populations d’origine étrangère non européenne et de confession musulmane, confirmant ainsi des résultats établis sur une base plus qualitative par les sociologues Didier Lapeyronnie ou Günther Jikeli. Selon la Radiographie de l’antisémitisme, 2/3 des personnes de confession musulmane adhèrent à un nombre significatif de préjugés antisémites.
Ces données semblent confirmer, au moins partiellement, la thèse de la « nouvelle judéophobie » défendue depuis le début des années 2000 par P.-A. Taguieff. Ce dernier voit comme source principale de l’antisémitisme contemporain l’antisionisme radical ou la haine d’Israël portée par une fraction des milieux sociaux d’origine immigrée ou musulmane et soutenue par une extrême gauche historiquement antisioniste.
En revanche, le rapport de la CNCDH, suivant les analyses de la politiste Nonna Mayer, nuance la thèse de Taguieff, insistant sur la permanence de l’antisémitisme traditionnel dans la population française la plus droitière.
La Radiographie de l’antisémitisme souligne, pour sa part, la surreprésentation des « sympathisants » d’extrême gauche dans les « groupes à tendance antisémite » : 46 % des sympathisants LFI y seraient comptabilisés.
Il serait utile d’évaluer le poids des discours anti-israéliens tenus par l’extrême gauche depuis plusieurs mois, dans l’espace public ou sur les réseaux sociaux, dans la production d’un « antisémitisme d’atmosphère », selon l’expression de l’historien Marc Knobel.
Par ailleurs, l’une des enquêtes signale la surreprésentation des jeunes (moins de 35 ans) dans la fraction de la population la plus imprégnée par les préjugés antisémites.
Une sociologie complexe et des débats confusCes différents éléments donnent à voir la structuration contemporaine de l’opinion française en matière d’antisémitisme, avec ce paradoxe d’une société globalement plus tolérante et des préjugés antisémites particulièrement forts dans certaines fractions de la population.
Au regard de ces éléments, se révèle une sociologie de l’antisémitisme complexe, et pourtant indispensable pour éclairer des débats souvent confus et passionnels.