Au Liban, récit d'une vie douce avant la guerre
Six heures. C’était l’heure où le café de ma rue ouvrait ses portes, dans le quartier musulman de Hamra, à l’ouest de Beyrouth. Ouvriers et riches entrepreneurs partageaient deux petits bancs qui jonchaient ce bar détenu par un couple d’une soixantaine d’années. Il faisait beau, environ 26 degrés, c’était le mois de mai. Je me souviens de la bienveillance extrême des Libanais. Personne ne voulait que je paye mon jus d’orange. Le matin, avec des inconnus, je parlais de tout et de rien, mais surtout pas de la guerre, un énorme traumatisme pour les Libanais. En mélangeant français, arabe et anglais en une phrase, beaucoup de discussions que j’ai eues avec des habitants étaient ponctuées par des rires ou des blagues sur la situation géopolitique de la région, sans se douter de l'horreur à venir.
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« Beyrouth est mille fois morte et mille fois revécue », disait la poétesse libanaise Nadia Tuéni. Je crois avoir compris cette expression lorsque j’ai commencé à visiter la capitale. Les traces des multiples guerres étaient déjà partout : des bâtiments étaient arrachés de leur façade à côté de villas sublimes dans beaucoup de quartiers.
Crise économiqueLa guerre a aussi mené le pays dans une profonde crise économique, sociale et sanitaire. En raison de l’incapacité du gouvernement libanais à réunir suffisamment d’argent pour payer les importations de carburant étranger en provenance d’États comme l’Irak, la quantité d’électricité produite pour le pays a considérablement diminué.
Par conséquent, l’électricité n’était pas toujours au rendez-vous : entre 19 heures et 21 heures, c’était le moment de faire cuire ses pâtes ou de se sécher les cheveux. De même pour l’eau potable qui s’achetait sur commande. Un géant baril d’eau minérale arrivait tous les lundis. On s’y habitue très vite. Il faut dire que la vie était aussi très douce : la mer était à cinq minutes de ma rédaction, les déplacements s’effectuaient à moto, pour 200.000 livres libanaises (soit deux euros environ). La nuit, les bars s’animaient et les évènements culturels affichaient complets dans la ville.
Après trois mois de travail dans la capitale, je ne voulais plus partir. Amis, collègues… Je quitte le Liban le 30 juillet 2023, en me promettant de revenir l’année prochaine.
« Tout a changé »Puis, le choc : le lundi 23 septembre 2024, au moins 558 personnes libanaises sont tuées, dont 50 enfants et 94 femmes par des attaques israéliennes, au sud du Liban. Coups de fil sur coups de fil, je prends des nouvelles de mes proches. Clara, mon ancienne colocataire, me raconte l’ambiance horrifique de l’ancien quartier où je résidais. « Tout a changé. L’inquiétude est partout, tout le temps. Le bruit de l’aviation israélienne est omniprésent dans la ville », explique la jeune journaliste franco-libanaise. « Les enfants n’ont pas école, tout le monde est en télétravail et il n’y a plus personne le soir », s’attriste celle avec qui j’ai partagé les meilleurs apéros sur le toit de notre bâtiment. Un toit sûrement interdit aux résidents maintenant, de peur de recevoir un missile.
Le soir, on ne dort pas. Je voyais le ciel s’éclairait depuis l’appart à chaque frappe israélienne.
La paniqueDu côté de mes anciens collègues, c’est la panique. Dans un vocal sur le réseau social Instagram, j’entends des nouvelles de ma collègue Nadine, via une autre collègue. Sa maison a été bombardée près de Tyr, au sud du Liban. Elle a fui le pays, du jour au lendemain. Et je ne sais toujours pas où elle est. « Elle est partie en panique », me confie Myriam, 57 ans, directrice d’un magazine culturel et francophone au Liban. Ma directrice a l’habitude de se réfugier dans les montagnes pour éviter les bombes. « Quand la guerre a commencé, j’avais huit ans. Depuis, on a toujours eu des problèmes et ce n’est pas près de s’arrêter », confie-t-elle. « Je n’ai plus de plan B à mon âge. Je vais rester dans ma cave et attendre », s’insurge la Libanaise.
Aujourd’hui, je n’ai pas de nouvelles de certains amis restés dans le pays du cèdre pour le travail. Le Liban est fort, et il renaîtra, comme il l’a toujours fait. J’en suis sûre.
Ilyana Hamiti