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Октябрь
2024

Visiteur de prison, un lien très particulier tissé entre bénévole et détenu

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Tous les mardis, Philippe Bernaz parcourt 80 kilomètres aller-retour pour se rendre au centre pénitentiaire de Riom. Pourtant, aucun de ses proches n’est emprisonné. Il n’est pas non plus avocat, ni surveillant de prison. Mais bénévole à l’association nationale des visiteurs de prison (ANVP, voir encadré). À l’origine de son engagement, une rencontre au forum des associations de Thiers, en septembre 2023.

"Je n’avais pas d’idée précise en allant y faire un tour, retrace l’Orléatois, aujourd’hui retraité. Je connaissais l’association de loin mais ce jour-là, j’ai eu une longue discussion avec Joëlle Monier, la présidente de la section Puy-de-Dôme." Philippe Bernaz repart de la Maison des sports avec des brochures de l’ANVP et la solide volonté d’en devenir un membre actif.

Se rendre utile

"J’avais déjà une connaissance du milieu carcéral, explique-t-il. J’ai commencé comme assistant de service social dans les années quatre-vingt. Dans ce cadre, j’ai rencontré des personnes qui avaient des problèmes avec la justice, eu affaire à la protection judiciaire de la jeunesse."

Une association quasi-centenaire. L’association nationale des visiteurs de prison (ANVP) est née en 1932, avant d’être reconnue d’utilité publique en 1951. Depuis sa création, elle œuvre au "soutien moral et matériel aux personnes détenues et à leurs familles ainsi qu’à l’assistance pour un retour positif dans une société apaisée". L’ANVP compte 1.500 membres, dont 1.100 sont visiteurs en métropole comme en outre-mer. Dans le Puy-de-Dôme, ils sont au nombre de 37, dont 30 visiteurs."Nous sommes des témoins auprès de nos concitoyens de cet univers un peu mystérieux qu’est la prison, explique Joëlle Monier, présidente de l’association dans le département. Nous accompagnons également les détenus à leur sortie, dans un objectif d’aider à la réinsertion." Pour candidater, il faut savoir "gérer ses émotions", s’engager à respecter la confidentialité des échanges et avoir un casier judiciaire vierge.

L’Orléatois exerce à La Réunion, à Saint-Etienne, à Avignon… Reprend des études à l’Institut national des études territoriales (INET) de Strasbourg. Avant de terminer sa carrière à Clermont-Ferrand en tant que directeur de l’action sociale du Département du Puy-de-Dôme et professeur associé à l’école de droit de Clermont-Ferrand.

Puis, l’heure de la retraite sonne, ce qui "ne constitue pas pour moi un arrêt des activités", insiste Philippe Bernaz. "J’ai du temps libre et j’ai toujours été intéressé par le droit, la justice et le milieu carcéral."

Être visiteur de prison était un bon moyen pour moi de me rendre utile à des personnes qui en ont besoin.

Alors, sans nouvelle de l’ANVP depuis deux semaines, il relance l’association et se voit proposer une première rencontre avec deux membres expérimentés de l’association. Dans un café, ils évoquent ensemble son parcours, sa motivation. "À l’issue de ce premier entretien, on m’a remis une fiche avec des questions très précises du style : 'Quelle serait votre réaction si vous étiez amené à rencontrer l’auteur d’un crime sexuel ? L’auteur d’attouchements sur des enfants ?'. Mes réponses ont ensuite servi de base à un second entretien plus approfondi."

Un milieu très codifié

Philippe Bernaz est également convoqué par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ainsi que par la police. Au terme de ces démarches lui sera délivrée une attestation d’agrément valable deux ans dans tous les établissements pénitentiaires du Puy-de-Dôme, c’est-à-dire pour la seule prison de Riom.

Les visiteurs doivent se rendre au parloir avocat.

"J’ai également suivi une formation de deux jours préalable au fait de pouvoir visiter un détenu pour la première fois", ajoute l’Orléatois. Puis, mardi 6 février 2024, c’est le grand saut. Du détenu qu’il visitera, Philippe Bernaz ne connaît que le nom, l’âge et le numéro de la maison d’arrêt. Un bénévole expérimenté de l’ANVP le guide lors de ses premiers pas dans l’établissement pénitentiaire, et le laisse au parloir. 

On met les pieds dans un environnement que l’on ne connaît pas du tout, très codifié. On ne peut pas débarquer la fleur au fusil, il faut se rappeler que nous sommes tolérés dans les prisons et que nous devons rester à notre place.

Ce sont les détenus eux-mêmes qui font la demande de recevoir la visite d’un bénévole de l’ANVP. La personne que rencontre Philippe Bernaz ce jour-là ne voit pas sa famille au parloir. "Vous avez demandé à recevoir un visiteur, me voilà. Tout ce que nous nous dirons sera confidentiel", commence l’Orléatais. Il n’existe que deux situations dans lesquelles le bénévole a le devoir de prévenir un membre de l’administration pénitentiaire : s’il a connaissance d’un projet d’évasion, ou si le détenu se confie sur des idées suicidaires.

Trouver des terrains communs

Au cours de la désormais trentaine de rencontres entre Philippe Bernaz et "son" détenu à la prison de Riom, les sujets varient. Projets professionnels, problèmes du quotidien de la vie carcérale, politique, vie de famille, co-détenu… Le visiteur de prison a pour mission "d’écouter sans jugement, avec le moins possible d’idées préconçues". 

Je ne donne pas mon point de vue, ne parle pas de ma vie personnelle : on ne peut pas devenir potes.

"Ce n’est pas forcément passionnant ce qui se raconte. Cela peut être très banal, ou à des années-lumière de nos centres d’intérêt personnels." L’Orléatais raconte alors l’histoire de ce détenu taciturne, dont le visiteur peinait à tirer quelques mots. "Il se trouve que ce monsieur adorait la littérature. Son visiteur n’y connaissait pas grand-chose, mais lui a proposé de lire le même livre que lui en même temps. Il a trouvé ce moyen pour partager quelque chose avec le détenu."

La raison de l’incarcération n’est pas forcément abordée, même si elle est souvent rapidement révélée par le prisonnier au cours des échanges."La matière humaine est l’essence même de cette activité, explique le visiteur. Ces personnes sont incarcérées pour de bonnes raisons : il faut protéger la société et les victimes. Mais si les détenus sont privés de liberté, ils font toujours partie de la société. Ils ont des besoins, ils ont le droit d’avoir des contacts. Cela leur permet de sortir un peu de la bulle carcérale, de se projeter sur leur sortie."

Retraité actif, Philippe Bernaz est également président de l’association de danse Clermont Tango. Il fait le jardin, se préoccupe des abeilles et de la nature car "dans dix ans, qui sait à quoi cela va ressembler ?". "Au début de ma carrière, je voulais sauver le monde. Maintenant, j’ai plus de distance, de recul." Mais pas moins de volonté, ni de générosité.

Louise Llavori