Plus de 2.500 personnes mobilisées en Creuse contre les "méga-usines à bois"
Quatorze hectares artificialisés, 130.000 tonnes de bois, soit 160.000 m³ consommés par an, issus de sept départements à la ronde. « Le projet de la méga-usine à bois à Guéret, c’est ça. C’est vertigineux. Certains petits exploitants forestiers nous le disent. En une seule journée, cette méga-usine pourrait produire leur production à l’année. Nos forêts pleurent déjà », a rappelé la trentaine d’associations environnementales, rassemblées en Creuse, ce samedi.
Les manifestants ont tous dit “non” ce samedi 5 octobre, au projet porté par Biosyl. Quelques centaines de personnes, banderoles et pancartes aux slogans revendicatifs, ont rejoint dans la matinée les abords de la parcelle, encore en friche. A la tête de la balade informative, Mathilde Panot, députée et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale et Catherine Couturier, ex-députée de la Creuse, se sont notamment invitées pour soutenir la cause.
Parmi les élus présents à cette journée de mobilisation en Creuse, la députée européenne Marie Toussaint (Les Ecologistes) ou encore Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’assemblée nationale.
Les collectifs opposés aux “méga-usines” ont alors présenté leurs divers arguments aux élus et aux manifestants. Parmi eux, Jacques Descargues, ancien secrétaire général de l’office national des forêts. Il a fait le déplacement depuis la Corrèze pour se joindre à la mobilisation. « Je lutte contre ces projets, jusque dans le Pays basque. Ce massif du Limousin est riche en biodiversité. On livre nos forêts, notamment les privées, pas protégées, sur un plateau aux grosses industries. On raisonne à court terme, mais le cycle de la forêt est situé entre 100 et 200 ans. La machine arrière est pratiquement impossible. C’est souvent irréversible. Il faut prendre conscience de tout ça. »
Symboliquement, le cortège a ensuite érigé une grande tour en bois sur un rond-point à proximité du terrain. « Il symbolise notre surveillance. Nous continuerons à surveiller. Nous serons présents physiquement si les camions et la construction de l’usine commencent », a scandé dans le mégaphone l’un des organisateurs, déterminé.
Trois procédures en coursPar ailleurs, la bataille juridique est toujours en cours. À ce jour, trois autorisations administratives ont été délivrées dont deux permis de construire. « Mais il y a des vices juridiques importants, estime Yann Fauconnier, avocat au barreau de Clermont-Ferrand défendant l’abandon du projet. J’ai déposé trois requêtes au tribunal administratif de Limoges, les procédures sont toujours en cours. » Les délais d’examen de ces dernières sont d’environ deux ans. Un délai assez long alors que le PDG de Biosyl, Antoine de Cockborne, envisage un début des travaux à la fin de l’année 2024 pour une ouverture espérée en 2026. « Dès qu’il y aura une machine sur le terrain pour commencer les travaux, je déposerai un nouveau recours pour stopper cela », annonce toutefois l’avocat. La lutte entre les partisans à l’implantation et les opposants risque, de fait, de s’inscrire dans la durée. La mobilisation s’est terminée sur le parvis de l’hôtel-de-ville par une série de prises de paroles.
En attendant, le cortège a sensiblement vu ses rangs gonfler, en début d’après-midi. Ils étaient près de 2.500 manifestants à avoir répondu à l’appel, devant la gare routière de Guéret, avant de rejoindre la mairie. Ève, couronne de fleurs autour de la tête pour montrer son attachement à la forêt, est venue naturellement avec une amie. « J’habite en Creuse. Je me balade souvent en forêt à cheval ou à pied. Des coupes rases j’en vois déjà régulièrement. C’est triste. Si ce projet voit le jour, ça sera encore pire pour notre belle forêt et notre biodiversité en général. Je devais être là », témoigne-t-elle.
Quelques heurts en fin de manifestationParticulièrement calme, le climat s’est ensuite électrisé un instant devant la préfecture. Les manifestants avaient au travers de la gorge la décision de la préfète, qui n’a pas donné suite à la réalisation d’une étude d’impact environnemental de la parcelle. Toujours symboliquement, les plus courageux ont déballé des sacs de granulés de bois pour en lancer quelques poignées au-dessus des grilles. Le bâtiment étant bouclé par les forces de l’ordre, l’action en cours a conduit à l’interpellation de deux individus. Sans que les évènements ne dégénèrent plus. La foule a terminé son périple de l’autre côté de la place Bonnyaud, devant la mairie. Marie-Françoise Fournier, maire de Guéret, a clos les prises de parole. « Notre nature est notre seule richesse. Quarante emplois de créés par Biosyl, mais combien de perdus dans nos petites entreprises locales ? » De quoi faire réfléchir chacun comme il l’entend.Quelques heurts ont éclaté en fin de manifestation. En cause : l’arrestation de deux individus dont un ayant lancé un escabeau dans les jardins de la préfecture. Plusieurs pots de fleurs de commerçants ont également été cassés.
Les réactions :
Bruno doucet (association canopée) : « En Creuse, il y a déjà un volume de bois sur pied qui est en train de décroître. Chaque année, la forêt sur pied creusoise grandit d’un million de mètres cubes. Aujourd’hui, l’industrie prélève déjà 1,2 million de mètres cubes. Donc on est déjà en déficit. Il faut inverser la tendance. Mais au lieu de ça, on rajoute des usines comme Biosyl qui vont venir chercher 160.000 mètres cubes de feuillus par année. Car ce qu’il faut savoir, c’est que ce seront à 80 % des feuillus qui seront prélevés à 130 km à la ronde. Par ailleurs, il existe déjà des usines Biosyl, notamment une à Cosne-Cours-sur-Loire. Et on voit comme elle s’approvisionne, avec des coupes rases. » Marie Toussaint (députée européenne, Les Ecologistes) : « On peut vouloir un autre avenir pour nos territoires où il y a des forêts. Ce n’est pas contre l’économie, contre l’emploi. Au contraire. Les pellets qui seront produits par Biosyl ne seront pas destinés à la consommation locale. Ils seront envoyés plus loin. Donc, il faut arriver à sortir de cette économie qui détruit les emplois et la nature en même temps. » Mathilde panot (présidente du groupe lfi à l’assemblée nationale) : « Nous savons ce que ça donne quand il n’y a pas de débat démocratique. On va re-déposer des projets de loi transpartisane. Le sujet de l’encadrement des coupes rases est une question fondamentale pour mettre fin à la mainmise des multinationales sur le bois. La France a énormément de retard, il n’y a pas de législations. Et ça donne des projets aberrants comme celui-ci. Il faut qu’on mette des règles, c’est un enjeu vital. » Marie-Françoise Fournier (maire de guéret) : « Notre nature est notre seule richesse. Quarante emplois de créés par Biosyl, mais combien de perdus dans nos petites entreprises locales ? Et par quoi allons-nous remplacer cette nature ? Par ailleurs, je regrette qu’il n’y ait eu aucune concertation en amont. C’est une catastrophe écologique qui nous guette. »Bérenger cernon (député LFI de l’Essonne) : « Cette mobilisation est une grande réussite. C’est ce qui va nous permettre de porter ce sujet-là à l’Assemblée nationale. Si on n’a pas la mobilisation populaire derrière, on ne peut pas y arriver. C’est un sujet qui me tient à cœur que je porterai avec conviction. L’objectif, c’est que cette loi soit votée mais aussi appliquée, qu’il y ait de véritables contraintes sur l’exploitation de la forêt. »
Texte : Vincent Faure et Pacôme BienvenuePhotos : Floris Bressy