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Октябрь
2024

Megalopolis, le chef d’œuvre inconnu de Maître Coppola

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Dans Le Chef-d’œuvre inconnu, Balzac explore la quête obsessionnelle de l’artiste pour atteindre la perfection. Le grand Maître Frenhofer y consacre des années à la réalisation de son chef-d’œuvre qu’il veut complet et absolu. Il sacrifie sa santé mentale pour créer une toile qu’il considère parfaite, mais qui n’est en réalité qu’un incompréhensible naufrage, un « chaos de couleurs, de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme », comme le perçoivent ses premiers observateurs.

À travers Megalopolis, projet définitif et testamentaire sur lequel il travaille depuis 40 ans, Francis Ford Coppola, comme le peintre de Balzac, cherche à réaliser une vision artistique idéale, une œuvre monumentale qui synthétise sa vision du monde, ses idées sur la civilisation, nourri de toutes ses références. Les critiques du film de Coppola évoquent majoritairement, non sans raison parfois, un film confus, inintelligible, aux effets criards qui éclipsent tout le propos.

Frenhofer, désespéré devant l’incompréhension de ses pairs, brûla ses toiles ainsi que son atelier. Coppola s’est montré prêt à sacrifier son patrimoine à travers ce projet autofinancé bien qu’impossiblement rentable. Chez ces tenants d’une radicalité artistique qui peut confiner à la folie, la même volonté de devenir soi-même avant de mourir.

L’œuvre de Frenhofer constitue un reflet de ses rêves et de ses frustrations. Megalopolis reflète toutes les aspirations artistiques de Coppola, et plus encore ses préoccupations thématiques. Comme dans Le Parrain et Apocalypse Now, il s’agit de l’Amérique, sa grandeur, sa corruption, et plus généralement de la folie autodestructrice des hommes, de leur noblesse aussi.

De même que les premiers témoins de la faillite artistique de Frenhofer repèrent, dans le chaos de la toile, « un pied délicieux, un pied vivant » qui les pétrifie d’admiration, les spectateurs de Megalopolis peuvent distinguer les bribes d’une œuvre, certes complexe et déroutante, mais riche et lumineuse. Avec un propos simple mais nécessaire : notre démocratie est en danger et requiert un sursaut moral. Il ne s’agit pas uniquement de New York / New Rome du XXIème siècle, mais de toute notre civilisation, de la Grèce antique jusqu’à la démocratie libérale, des Catilinaires jusqu’à Hamlet, pour ne citer que quelques-unes des trop nombreuses références du film.

Dans Mégalopolis, point de menaces externes, à l’exception d’une sonde nucléaire soviétique en déshérence. Tous les dangers sont intrinsèques. Quels sont-ils ? Pêle-mêle : la perte de la décence commune au sein des élites, la faillite de la transmission, l’impossibilité de toute concorde, le règne de la vulgarité, la perte du goût de la liberté et du risque. Ces faiblesses, exploitées par des démagogues et des cyniques, fragilisent les fondements de la res publica.

Le propos est tout autant politique que moral. Dans cette décrépitude généralisée de cette New Rome qui ne voit émerger aucun héros, deux thématiques purement liées aux affaires de la cité émergent : la question de la dette, devenue si imposante qu’elle entrave toute marge de manœuvre politique, et celle de notre rapport au progrès et à la science, tiraillé entre obscurantisme cynique et transhumanisme vaniteux.

Tout ceci confère au film un réel intérêt, une profonde originalité. D’autant plus que ce chant du cygne de Coppola n’est pas un chant de désespoir. Le salut est possible, individuellement comme politiquement. La culture nous sauvera, et peut-être avant tout la philosophie. Et pas n’importe laquelle, celle de Marc-Aurèle, au cœur d’une bataille de citations approximatives, mais néanmoins éloquentes. Le monde a besoin d’ordre, de sagesse et de progrès, du mos majorum romain couplé à la sempiternelle recherche américaine de la Nouvelle Frontière. Dans un environnement de mièvrerie ou de conformisme, cet appel à la vigueur et à la responsabilité individuelle, bien que mâtiné de tristesse et de confusion, paraît salutaire. Rien que pour cela, merci Monsieur Coppola.