L’acteur et réalisateur Michel Blanc est décédé
Michel Blanc s’est fait connaître comme acteur au sein de la troupe du théâtre du Splendid, un café-théâtre fondé en 1974 dans le sillage de Mai 68. L’explosion du Splendid au cinéma, en 1978, avec Les Bronzés, puis sa suite Les Bronzés font du ski réalisés par Patrice Leconte, fut énorme. Trop peut-être.
Tous ses membres ont sans doute rencontré le même problème : être identifiés à leur rôle. Thierry Lhermitte incarnait le beau gosse tombeur, mais un peu con ; Gérard Jugnot, le beauf méchant ; Christian Clavier, le petit nerveux prétentieux, etc. Et Michel Blanc a longtemps eu du mal à se défaire de Jean-Claude Dusse, ce personnage de petit moche dragueur, éternel loser, qui l’a poursuivi pendant des années (et le poursuivra sans doute au-delà de la mort). Rançon du succès ? Même après avoir rasé sa moustache et tondu entièrement son crâne, on continuait à le ramener à Dusse (j’en fus témoin dans une rame de métro il y a une dizaine d’années).
Un acteur récompensé
Pourtant, il y a indubitablement un autre Michel Blanc. La preuve en est qu’il est sans doute l’un des acteurs et auteurs français les plus récompensés, et que, mis à part un César d’honneur remis à toute la troupe des Bronzés 30 ans après, ces distinctions prestigieuses n’ont rien à voir avec le Splendid : prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour Tenue de soirée de Bertrand Blier en 1986, prix du scénario à Cannes pour Grosse fatigue, un film qu’il a écrit et réalisé, César du meilleur acteur dans un second rôle pour L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller, sans oublier ses cinq Molière pour des adaptations de pièces anglo-saxonnes, etc. Et cela, sans compter les nombreuses nominations.
Après la séparation de la bande du Splendid, dont on sait aujourd’hui qu’il fut l’un des initiateurs, Michel Blanc s’est tourné vers des rôles plus sérieux. Tenue de soirée de Bertrand Blier (1986) impressionne particulièrement : sa vulnérabilité y prend une nouvelle dimension. Pour la première fois peut-être, il est choisi pour incarner un objet de désir fort. Le personnage joué par Gérard Depardieu tombe brutalement amoureux de lui et l’entraîne dans une aventure où les notions de genre sont redéfinies. Tour à tour blafard ou grimé, il dévoile des émotions et des intonations qu’on ne lui connaissait pas. Le film est un triomphe public.
Un acteur courtisé devenu réalisateur
Michel Blanc devient un acteur courtisé, au-delà du champ de la comédie. Monsieur Hire (1989), sombre adaptation de Simenon par Patrice Leconte, lui vaut sa deuxième nomination au César du meilleur acteur. Au début des années 1990, cependant, ce crédit de grand acteur dans des films “sérieux” s’émousse assez vite. Il faut dire que l’acteur consacre désormais beaucoup d’énergie à sa carrière de réalisateur. Celle-ci débute avec le triomphe public de Marche à l’ombre (César de la meilleure première œuvre en 1985), dont il est également l’interprète aux côtés de Gérard Lanvin. Le film joue sur les codes classiques du buddy-movie masculin, en y ajoutant un soupçon de sentimentalité peu virile, avec des câlins entre hommes et des déclarations d’amitié quasi énamourées. Marche à l’ombre explore aussi une France encore peu filmée, celle des squats et des populations immigrées entassées dans des bâtiments insalubres. Malgré l’immense succès du film (plus de 6 millions d’entrées), Michel Blanc attend dix ans avant de se lancer dans une nouvelle réalisation.
En 1994 sort Grosse fatigue, coécrit avec Jacques Audiard, une comédie angoissée sous l’influence de Bertrand Blier. Michel Blanc y incarne son propre rôle, plongé dans une intrigue kafkaïenne où un double essaie de l’évincer de sa propre vie. Entre Monsieur Klein de Joseh Losey et un épisode un peu perché de Dix pour cent, le film fait défiler tout le cinéma français de l’époque pour incarner le cauchemar paranoïaque de l’exclusion de son auteur. Bien que sombre et étrange, le film trouve à nouveau son public et réunit plus de deux millions de spectateur·ices.
Cinéaste à succès mais peu prolifique, Blanc ne réalisera que trois films par la suite : Mauvaise passe en 1999, encore plus sombre et qui échouera au box-office, le très choral Embrassez qui vous voudrez en 2002 (un nouveau grand succès) et sa suite peu convaincante en 2018, Voyez comme on danse.
Chez Téchiné
Durant cette période, l’acteur trouve un rythme de croisière assez stable, alternant entre succès publics, comme Je vous trouve très beau d’Isabelle Mergault (2005) ou la reformation des Bronzés (2006), et des films plus tournés vers l’art et essai. Par exemple, le très beau Les Témoins (2007) d’André Téchiné, dans lequel il incarne un médecin gay dans les années 1980, luttant contre l’explosion de l’épidémie de sida. Ou encore La Fille du RER (2009) du même Téchiné, dans lequel il interprète un avocat chargé du dossier d’une jeune fille (incarnée par Émilie Dequenne) ayant inventé une agression antisémite, et qui retrouve un amour de jeunesse (joué par Catherine Deneuve). Enfin, dans L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller, il excelle en directeur de cabinet cauteleux, rôle qui lui vaudra un César.
Michel Blanc était né avec un souffle au cœur, et c’est ce cœur qui s’est arrêté de battre ce 3 octobre entraînant son décès à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, à l’âge de 72 ans.