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Октябрь
2024

Mosab Abu Toha, auteur palestinien : “Écrire de la poésie est un acte d’existence”

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Depuis sa naissance en 1992 au camp de réfugié·es d’Al-Shati, dans le nord de la bande de Gaza, Mosab Abu Toha a beaucoup lu, travaillé, étudié. Diplômé en littérature anglaise, il est devenu enseignant et a créé en 2017 la première bibliothèque anglophone à Gaza – la bibliothèque Edward-Saïd –, puis a obtenu une bourse pour passer quelques semestres à Harvard.

Ses textes ont été publiés, entre autres, dans le New Yorker et la New York Review of Books. Mais après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël il y a près d’un an déjà (le 7 octobre 2023), l’armée israélienne s’est mise à bombarder sa ville. Un jour de novembre 2023, il a été arrêté par la police israélienne : il tentait de fuir avec femme et enfants par la frontière au nord de Gaza.

L’exil forcé

L’annonce de son arrestation a provoqué la mobilisation de plusieurs associations d’écrivain·es à travers le monde. Finalement relâché, après deux jours de détention au cours desquels il dit avoir été battu, il a pu s’installer au Caire, où il a vécu jusqu’en juin dernier, avant de repartir aux États-Unis. Son premier recueil de poésie, qui paraît cette année en français, a été publié en 2022 là-bas alors qu’il était auteur invité à l’université de Syracuse (New York).

Mosab Abu Toha s’est mis à écrire en 2014, à 22 ans, lors d’une offensive israélienne dans les territoires occupés. Dans le courriel qu’il nous envoie depuis son pays d’exil, il tente de nous expliquer comment naît un poème : “Un poème commence dans le silence, une pensée qui fait rage dans la tête de l’auteur jusqu’à ce que les images venues d’un territoire inconnu atterrissent sur la page.”

Une atmosphère de guerre perpétuelle

Ce qui frappe, à lire ses poèmes aujourd’hui, c’est qu’ils replacent Gaza dans une histoire longue : Abu Toha témoigne d’une vie entière passée dans une atmosphère de guerre perpétuelle. “Chaque poème que j’ai écrit est une scène qui s’est déroulée dans le passé et qui, malheureusement, continuera à se produire tant qu’il y aura l’occupation, tant que l’oppresseur continuera à écraser les habitants de Gaza”, explique-t-il.

D’un strict point de vue littéraire, la poésie semble prendre avec lui une nouvelle dimension. Elle est avant tout une façon de documenter l’Histoire, de témoigner en se concentrant sur des moments qui n’apparaissent pas dans les rares images d’actualité, en partageant avec les lecteur·rices les sensations et angoisses vécues par les habitant·es de la bande de Gaza.

Conter la violence du quotidien

Certains textes, en vers libres, quelquefois très brefs, parfois accompagnés d’images, décrivent leur vie quotidienne. Ils rassemblent de petits fragments à propos des enfants, des repas, partant toujours d’un détail, infime, lequel rappelle que le poète et ses proches n’évoluent pas dans une situation normale – “J’aimerais me réveiller un jour dans un monde sans coupures de courant.”

La poésie est aussi ici un travail autobiographique très particulier, une façon de rendre hommage aux disparu·es, et on est frappé·es par la puissance de certaines images. Une maison détruite, dont la clé rouillée conservée religieusement par la famille “se languit de la vieille porte en bois”. Un autre poème parle de déplacements forcés : “Quand je suis parti, j’ai laissé mon enfance dans le tiroir.”

Une poésie documentaire

Particulièrement émouvant, le poème intitulé “Où est mon pays” : “Il est dans l’ombre des arbres sur le chemin de l’école avant qu’ils ne soient déracinés/Il est dans la photo en noir et blanc du mariage de mes grands-parents avant que les murs ne s’écroulent.” Et la poésie est aussi une façon de travailler le politique, notamment dans un texte intitulé “Mon grand-père était un terroriste” qui décrit les gestes quotidiens d’un agriculteur sur ses terres.

Mais d’autres textes disent très précisément l’horreur, et le poète travaille alors des images extrêmement violentes : “J’entre dans l’ambulance. Quelqu’un jette un cadavre près de moi. Le corps est brûlé, peut-être sans tête. Je ne regarde pas. L’odeur est atroce.” Abu Toha crée en quelque sorte une poésie-reportage, une forme capable de documenter un monde en bouleversement.

Affirmer son statut d’être humain

Pour un poète gazaoui, écrire revêt une dimension particulière. “Écrire de la poésie est pour moi un acte d’existence, une affirmation de mon statut d’être humain qui a une histoire à raconter et des sentiments à partager, explique-t-il aujourd’hui. C’est une sorte de résistance aux tentatives de l’occupation d’effacer notre existence même sur notre terre, d’effacer nos récits collectifs et personnels.”

Mais pourquoi, dans ce cas, écrire de la poésie plutôt que des romans ou de la non-fiction ? “La poésie, contrairement à d’autres genres, est capable de présenter, en une seule ligne, à la fois les expériences et les émotions.” D’ailleurs, quand on lui demande dans quel état est Gaza aujourd’hui, s’il est toujours en contact avec ses habitant·es, il répond : “L’ampleur des destructions à Gaza est inimaginable. Seul un poème peut la décrire.” Et si on l’interroge sur ce qui, à ses yeux, est le plus insupportable, il dit : “Les choses que je découvrirai plus tard avoir perdues.”

Ce que vous trouverez caché dans mon oreille de Mosab Abu Toha (Julliard), traduit de l’anglais (Palestine) par Ève de Dampierre-Noiray, 192 p., 20 . En librairie le 3 octobre.